samedi 24 février 2018

Criminels par procuration



On s'est passionnés, ces dernières semaines, pour quelques affaires criminelles hors du commun: Gregory, Maëlys, Alexia... Ça nous a même davantage intéressés que l'actualité politique.

Ça donne d'abord le sentiment d'une vie plus intense. Vivre peut être périlleux, tout n'est pas englué dans la banalité.


Et puis, ça permet de s'afficher plein de compassion pour les victimes. On est des gens bien, on est du côté de ceux qui souffrent.

Quant au meurtrier, on en façonne l'image d'un monstre absolu, de quelqu'un totalement en-dehors de l'espèce humaine; on n'aurait évidemment avec lui aucun point commun.


Mais est-ce bien sûr ? Qui nous fascine le plus dans un fait divers sanglant ?  Est-ce que c'est vraiment la victime ? Est-ce que ce n'est pas plutôt le meurtrier, son ambiguïté, sa part d'ombre ?

Pourquoi, d'ailleurs, lit-on des romans policiers, voit-on des films d'horreur ? Pourquoi "Crime et Châtiment" de Dostoïevsky est-il considéré comme l'un des grands livres de la littérature mondiale ?


Dans l'art, dans la littérature, on  trouve, en fait, l'occasion d'assouvir, de manière détournée, nos impulsions criminelles, de devenir des meurtriers par procuration. Moi-même, souvent, la nuit, dans mes rêves, je suis hantée par des crimes que j'aurais commis. Et puis, après avoir lu "Crime et Châtiment", je me suis dépêchée d'aller refaire, avec passion, le parcours de Raskolnikov dans Saint-Pétersbourg.


On le sait aujourd'hui: les criminels ne sont ni des monstres, ni des "anormaux", ni des fous. Ce sont, le plus souvent, des gens parfaitement ordinaires qui donnent, un jour, libre cours à leurs impulsions.

"Le crime est le fait de l'espèce humaine" écrivait Georges Bataille dans le prolongement de la pensée de Sigmund Freud.


Ça veut dire qu'il y a une duplicité essentielle en nous et qu'on est tous susceptibles de basculer, tout à coup, du côté noir du désir et de la passion. Le pire criminel est, en réalité, mon frère en humanité. Il y a même une étrange proximité entre le saint et le criminel.
C'est une idée qu'on récuse aujourd'hui absolument à une époque où on se prétend tous vertueux, exemplaires, pleins d'humanité.

Jamais même on n'a d'ailleurs autant exalté l'engagement caritatif, la démarche humanitaire. Est-ce que ça n'est pas aussi le signe d'une haine accrue des autres ? Tous ces gens qui veulent se faire passer pour des saints tout au long de leur vie sont peut-être, finalement, les plus effrayants (cf. le récent scandale de l'association humanitaire britannique Oxfam).


Une série de tableaux bien "dans l'air du temps" avec la représentation d'une femme criminelle: Judith décapitant Holopherne. Curieusement, c'est l'un des thèmes qui a été le plus exploité dans la peinture.

On reconnaîtra ici les Judith du Caravage, d'Artemisia Gentileschi (la plus cruelle), de Cristofano Allori (la plus belle), de Valentin de Boulogne (la plus prosaïque). Et aussi celles de Cranach, de Jan Massys et de Franz Von Stück

4 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

"Le crime est le fait de l'espèce humaine" écrivait Georges Bataille dans le prolongement de la pensée de Sigmund Freud"


Tout est résumé dans cette simple phrase...

Il suffit de constater les tueries mondiales en tous genres et comme dernièrement aux USA...(on n'en parle déjà presque plus) en attendant les prochaines... alors que la majorité des personnes se refusent d'admettre les motivations pourtant faciles à comprendre...les spécialistes de la criminalité expliquant parfaitement ce phénomène de A à Z, mais les individus regardant malheureusement trop TF1... :-) ont trop de mal à décoder...

Chaque être humain a sa part d'ombre en effet, et il doit être facile de passer à l'acte.

Bien à vous.

Jeff

nuages a dit…

Le film "Ni juge ni soumise", qui suit de près une juge belge truculente, Anne Gruwez, permet de plonger dans les abîmes de l'âme humaine et de ses pulsions criminelles.

Dans une interview, la juge Anne Gruwez dit ceci : «Le fait est peut-être monstrueux mais ce n’est pas pour ça que la personne qui l’a commis est un monstre. Si vous dites que c’est un monstre, vous admettez son caractère inhumain, vous le rejetez, alors que c’est un de vos semblables. Il n’a fait qu’exacerber une des pulsions qui se trouve dans tout être humain… J’aime les gens."

L'interview complète : https://www.moustique.be/20402/10-choses-savoir-sur-anne-gruwez

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

En effet ! Il y a en chacun de nous une part d'ombre. On est marqués par une duplicité essentielle même si on a bien du mal à reconnaître cela.

Les guerres donnent, en plus, l'opportunité d'être criminels en toute bonne conscience.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Ce film "Ni juge ni soumise" est vraiment excellent et j'essaie d'en faire la publicité.

La juge est un personnage extraordinaire. Elle incarne bien le non-conformisme des Belges. Il me semble qu'une telle juge est impossible en France. Elle serait tout de suite virée.

Sinon, je souscris, bien entendu, à l'intégralité de son propos. Le criminel est mon proche.

Bien à vous

Carmilla