samedi 8 avril 2017

Vivent les élites !


On semble avoir découvert une nouvelle grille de lecture politique: on assisterait aujourd'hui à une révolte du peuple contre les élites arrogantes. Outre son caractère simplificateur (qu'est-ce que le peuple, les élites ?), cette analyse m'inquiète et me dérange beaucoup.

En réponse, je reproduis, ci-dessous, un texte récent de Jacques Attali, "Pour une apologie des élites", auquel je souscris entièrement.



"J’aimerais concentrer ma colère sur un sujet : la dénonciation des élites, tellement à la mode aujourd’hui que le mot lui-même est devenu une insulte, et qu’il est même de bon ton de se défendre d’en faire partie.
J’en ai assez de voir mis dans le même sac les riches, les puissants, les élus, les journalistes, les professeurs, les intellectuels, et tous ceux qui « savent ».
Il est honteux et dangereux de les mêler dans le même opprobre. Qu’on puisse critiquer l’action des riches et des puissants, qu’ils le soient par l’argent ou le mandat, est légitime.

Par contre, qu’on critique ceux qui ne doivent leur statut qu’à leurs diplômes ou à leurs œuvres est inacceptable. Il faudrait au contraire glorifier le savoir et les diplômes, admirer ceux qui les obtiennent et les prendre en modèle. Il faudrait admirer ceux qui font de longues études, applaudir ceux qui créent des œuvres d’art ou des entreprises, les artisans qui façonnent des objets, et qui, sans nuire à personne, ont un impact positif sur le monde. Même si, accessoirement, ils s’enrichissent.
A dénigrer ainsi l’excellence, on n’encourage pas les plus jeunes à étudier, à augmenter leur niveau de savoir. On ne valorise que l’aplomb et le culot. ‎On n’écoute que ceux qui crient fort, qui font scandale. On ne s’intéresse qu’à ceux qui ne dérangent qu’en apparence, et qui n’ont aucun impact sur le monde.












Les pays qui agissent ainsi se condamnent au déclin, face à ceux qui font de la réussite scolaire, de la création, de l’innovation, une obsession. Et qui, en conséquence, mettent en place des moyens pour que tous puissent y avoir accès.
Ceux qui discréditent ainsi les vraies élites sont, pour la plupart, en Occident. Ceux qui idolâtrent les gens qui font tout pour mériter d’en faire partie sont essentiellement en Asie.

En France, particulièrement, on assiste, dans bien des médias et des partis politiques, à un tel dévoiement. Et ceux qui devraient résister, parce qu’ils ont travaillé pour cela, se couchent trop souvent devant cette démagogie. Elle domine sur les réseaux sociaux, où l’apologie de la médiocrité est le corollaire naturel de l’anonymat. Elle triomphe dans les médias. Elle sert de critère de vrai dans bien des partis politiques : plus on a de diplômes, plus on est suspect, accusé de faire partie d’une « élite autoproclamée, cosmopolite et mondialiste », et donc discréditée.



Alors, je veux faire ici l’éloge de cette élite-là. De ceux qui se sentent des êtres humains avides de savoir et de créer avant d’être les produits d’un terroir, qui considèrent que les diplômes acquis, qui les placent dans une élite démocratique, leur donnent le devoir d’être utiles à ceux qui n’ont pu y parvenir. De ceux qui font tout pour « devenir soi », pour se trouver, pour se respecter et trouver ce en quoi ils sont uniques. De ceux qui aident les autres à faire partie de cette élite légitime, en décloisonnant les voies d’accès à l’excellence universitaire, trop souvent réservées aux enfants de cette même élite. Il n’est rien de moins « autoproclamé » que ceux qui ont travaillé dur pour obtenir des diplômes".


Tableaux de l'Avant-Garde russe. Le mouvement qui a pris naissance à la fin du 19 ème siècle s'est prolongé jusqu'en 1930. Il y a eu une étrange floraison et liberté artistiques dans les années 20. Avant d'être broyée, une partie des "élites" s'est associée à la Révolution. C'est à méditer.

7 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour dame Carmilla !

« Et ceux qui devraient résister, parce qu'ils ont travaillé pour cela, se couche trop souvent devant cette démagogie. »

Après avoir terminé la lecture: Décadence de Michel Onfray, et surtout en suivant la campagne présidentielle en France, je m'interroge. Où est cette élite ? Celle qui devrait débattre et non pas se livrer à un spectacle désolant, voir se cacher et laisser faire par dépit où lâcheté.

J'ai pris le cas de Onfray parce que c'est un bouseux qui est sorti du rang, qui s'est instruit et qui est devenu le philosophe que l'on sait à l'image d'Albert Camus qui lui aussi était originaire d'un milieu très modeste, dont Onfray a écrit une biographie philosophique.

Avec du travail, de la volonté et du courage, nous pouvons arriver à construire. Les gens semblent avoir oubliés une chose dans leur quête de tout désirer afin de posséder sans effort comme si tout leur était due, la société c'est nous les citoyens et il me semble que La France, d'une moins une certaine partie de sa population l'a oublié.

Elle était où l'élite en Allemagne en 1933 ? Elle était où l'élite mondiale en 1939 lorsque les polonais ont été vaincu ? Elle était où l'élite de France en mai 1940 lorsque la Wehrmacht débouché dans les Ardennes? Et, en si bon chemin continuons. Elle était où l'élite américaine en novembre dernier lorsque Trump a été élu.

Lorsque j'écoute les propos simplistes de ces candidats à la présidentielle de France, je me demande : est-ce les dignes descendants de Montaigne, Jaurès ou Camus et de bien d'autres qui n'ont pas entendu qu'on leur glisse une cuillère d'argent dans la bouche pour agir et créer?

De l'extérieur, j'avoue que je trouve la chose à la fois désolante et inquiétante. Vous avez bien raison Dame Carmilla de vous inquiéter.

S'il faut se préparer au pire, le pire n'est jamais certain. Soyons tout de même vigilant.

Bon vent et bonne chance

Richard St-Laurent








Anonyme a dit…

Quel vieux slip, Attali !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vous mettez bien l'accent sur un problème essentiel: les intellectuels, les "élites", ont-ils su s'opposer au totalitarisme ? Pas vraiment, en effet. Souvent on a préféré défendre la Terreur plutôt que la liberté. Faut-il, pour autant, rejeter les élites ? Le peuple a-t-il été plus clairvoyant ?

S'agissant de Michel Onfray, j'avoue que je ne le lis plus depuis un certain temps: il écrit trop et n'a pas peur des approximations ! Mais je reconnais qu'il fait l'objet d'un mépris dérangeant de la part des "intellectuels" français. Au vu des réactions exprimées, on peut, effectivement, se demander si les élites, en France, ne méprisent pas, profondément, le peuple.

S'agissant des élections présidentielles en France, il y a, au moins, Emmanuel Macron qui est un homme de culture même si celle-ci peut apparaître stéréotypée. Les autres, c'est, effectivement, la cata ! Mais c'est vrai que je préfère Justin Trudeau, plus moderne que les politiciens français.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Anonyme pour votre commentaire lapidaire !

Même si je cite Attali, ça ne signifie pas que je suis une inconditionnelle.

Je reconnais qu'il est, en effet, assez "formaté".

Mais il est, aussi, très intelligent et très cultivé et souvent pertinent. Il n'est donc vraiment pas "un vieux slip".

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonjour CARMILLA

Je me plais à répéter depuis des décennies et à qui veut bien l'entendre, cette phrase indémodable d'Albert CAMUS:

"Je crois en l'homme mais c'est une cause perdue".

A laquelle on pourrait ajouter aujourd'hui:

Il y a aussi l'égoïsme des élites... et de leur faillite.

Comment expliquer que depuis plus de 20 ans la France ait connu un des plus forts taux de chômage en Europe, une des plus vertigineuses hausses de la dette publique et que les finances publiques soient en aussi mauvais état ?

Mais c'est bien Sciences Po, en grande partie, sans oublier l'Ena , et autres fabricants d'élites qui ont abouti à ces résultats...en n'arrivant même plus à faire bander la FRANCE pour le mois des élections présidentielles de MAI 2017, même avec de petits nouveaux fraîchement sortis du moule...habillés costumes cravates MIR couleurs... représentant la désolation suprême, tous partis confondus , médias vampirisants compris...

Sciences Po fait tout ou presque... des journalistes influents aux avocats d’affaires qui sont devenus les grands ordonnateurs des affaires patrimoniales sans compter les autres:

Hauts fonctionnaires, dirigeants politiques, banquiers, communicants, etc... qui passent souvent par cette école.

Ainsi se fait l’intégration de la classe dominante française.

Cinq ans rue Saint Guillaume, cela laisse des traces et surtout des relations... je protège mes arrières...tu protèges les miens...comme au combat, mais là on n'y perd pas la vie.

Tout irait mieux en effet si les élites se distinguaient par leur réussite à la tête du pays. Il est un discours populaire cynique qui fleurit dans plusieurs pays en développement, même dans nos communes, selon lequel il ne faut pas en vouloir aux dirigeants d’être corrompus parce qu’ils sont ... efficaces.

En France, il est difficile de dire que les solutions des dirigeants français soient efficaces en ce moment depuis plusieurs années, et les prochains auront du pain sur la planche...à faire changer les mentalités et à redresser la barre.

On ne saurait d’ailleurs s’en prendre aux seuls politiques(TOUS) tant les "élites" sont imbriquées, notamment par les écoles.

Les contrôles croisés régissant les conseils d’administration des grandes sociétés françaises ressemblent fort à un contrôle de clan.

On n’y refuse jamais l’augmentation de la rémunération d’un PDG qui siège dans son propre conseil d’administration et réciproquement...Ce n'est pas prêt de changer.

On ne se désolidarise jamais d’un PDG mis en cause par un actionnaire étranger ou plus petit...

Le cumul des rémunérations, des parachutes dorés, des stocks options, donne une mesure de la haute idée qu’ils se font d’eux- mêmes...


Qui peut évaluer JACQUES ATTALI?

"Si Jacques Attali n’est pas un cas particulièrement original, il présente toutefois le mérite de révéler le contraste entre l’avidité à évaluer les autres et le traitement de faveur réservé à ses propres performances.

Louis PINTO



Max Weber a, sans concession, énoncé le principe :

« L’homme heureux se contente rarement du fait d’être heureux ; il éprouve de surcroît le besoin d’y avoir droit. Il veut aussi être convaincu qu’il mérite son bonheur, et surtout qu’il le mérite par comparaison avec d’autres. Et il veut donc également pouvoir croire qu’en ne possédant pas le même bonheur, le moins fortuné n’a que ce qu’il mérite »...


Finalement on n'a rien fait de plus con que l'être humain, il y a ceux qui ont les idées, bien rémunérées... et il y a ceux qui turbinent...




Bien à vous.
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff pour votre commentaire longuement argumenté.

Je souscris à votre analyse sur la situation économique de la France mais je trouve que vous avez la dent vraiment dure avec les "élites" et spécialement les gens issus de Sciences-Po Paris.

Je ne suis pas convaincue.

Les grandes décisions économiques qui ont plombé la France ont, tout de même, bien été prises par le pouvoir politique et non par des techniciens. Je ne suis vraiment pas sûre que "les élites" soient entièrement responsables.

Je me méfie toujours des critiques virulentes des "élites". Du reste, c'est un terme que je n'aime pas car il est effectivement arrogant et surtout, je ne sais pas quelle catégorie de personnes il désigne. J'ai moi-même fait d'assez bonnes études mais je ne considère nullement appartenir à l'élite.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Vous verrez en vieillissant, vous aurez peut-être la dent dure comme moi...mais vous êtes déjà équipée comme vampire...

Alors comme c'est la trêve Pascale ce week-end, je m'octroie un assouplissement dans mes convictions.

Joyeuses Pâques CARMILLA et bon chocolat...sans modération.

Bien à vous
Jeff