samedi 25 février 2017

De la maladie


On a tous lu l'extraordinaire bouquin "Mars" de Fritz Zorn. La maladie comme révélation, transfiguration. Presque une épreuve nécessaire sans laquelle on ne connaîtrait à peu près rien de la vie.


C'est l'idéologie en vigueur, à la mode. La souffrance, la maladie auraient une vertu morale, une fonction de rédemption. En baver, ça vous serait bénéfique, ça vous conduirait à relativiser les choses, à devenir plus lucide, ça vous rendrait plus fort. 


L'adage nietzschéen, "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", ça fait partie des propos les plus communs de la philosophie de bistrot.

La maladie aurait un sens, ce serait une épreuve héroïque qui permettrait de s'affirmer. 

D'ailleurs, quand on est malade, il ne faudrait pas se laisser aller, il faudrait se battre et ce seraient les plus forts qui parviendraient à vaincre la maladie. Ce volontarisme de boy-scout, ça me révulse. C'est faux et abject !


On n'arrête pas d'enrober de morale la maladie. On en vient presque à considérer qu'elle aurait du bon parce que, dans une société obnubilée par la consommation et le plaisir immédiat, elle permettrait de retrouver les "vraies valeurs".

C'est, bien sûr, une idéologie ultra-réactionnaire et ça explique qu'en fait on prête bien peu attention à la souffrance de l'autre. La douleur, on proclame, bien sûr, qu'on fait tout pour la soulager mais, en fait, ça n'est pas notre préoccupation première. On s'attache, plutôt, à bien séparer, d'une frontière totalement étanche, le monde des bien portants de celui des malades.


La maladie, c'est aujourd'hui une incongruité insupportable  (relire à ce propos l'extraordinaire moment de "la Recherche" où Swann annonce aux Guermantes qu'il va bientôt mourir) et c'est pour ça qu'on lui prête une vertu morale: c'est la manière la plus efficace de la rejeter, en la réintégrant dans nos catégories mentales.


On s'affiche plein de compassion mais on traite les malades, en toute bonne conscience, comme des parias, des rejets de la société: des asociaux, presque des délinquants


Il n'est qu'à fréquenter les hôpitaux. Moi-même, je les connais assez bien même si je n'ai encore jamais été gravement malade. Je ne me suis jamais sentie aussi désemparée, aussi seule qu'en pénétrant dans cet univers totalitaire, presque carcéral: la choséification (on porte un numéro), la privation complète de liberté (interdiction absolue de sortir), des horaires et une discipline de caserne. Et puis la terrible condescendance des personnels soignants qui vous écrasent de leur supposée compétence et qui font bien attention à vous faire sentir qu'ils n'appartiennent pas au même monde que vous.


De la maladie, de mes petites maladies, je n'ai personnellement rien retiré, rien appris. Je ne suis devenue ni meilleure, ni pire. Je me suis simplement sentie parcourue de rêves et d'angoisses atroces, de monstres affreux qui venaient me hanter. J'en ai été déprimée, attristée, épouvantée, rien de plus.


La maladie est un simple drame personnel, incommunicable, une froide épouvante. Elle n'a aucun sens, aucune signification profonde, juste une expérience personnelle. On ne parviendra peut-être à mieux la comprendre que lorsqu'on l'aura soustraite à tout point de vue moral.


Tableaux de deux grands peintres polonais: Jan LEBENSTEIN (1930-1999) et Zdzislaw BEKSINSKI (1929-2005).

Ce post m'a été inspiré par le livre bouleversant et terrifiant de Ruwen OGIEN: "Mes mille et une nuits. La maladie comme drame et comme comédie".

Ce post est, aussi et surtout, dédié à une amie, Anne, à la quelle je me sens incapable de parler, d'écrire. J'espère qu'elle me comprendra. Me pardonner est, bien sûr, impossible mais qu'elle sache, du moins, que je pense, sans cesse, à elle.

Enfin, l'hiver cède, hélas, du terrain ! Pour le prolonger, je vous conseille d'écouter "Froid" de Laura Cahen, chanson de son dernier album "Nord". Ça se trouve, bien sûr, sur You Tube.

samedi 18 février 2017

La vengeance en horreur


La vengeance, c'est l'un des thèmes privilégiés du cinéma. On peut, tout de suite, citer plein de films: "Django unchained", "La mariée était en noir", "Lady Vengance", "Old boy", "The revenant", "Furie", "Kill Bill" etc... Tous de grands succès d'audience. Un film sur la vengeance, ça marche à tous les coups.


C'est un peu pareil en littérature mais à un moindre degré et puis c'est un cran au-dessus : "Le comte de Monte-Cristo", "Les Hauts de Hurlevent", "Michael Kohlhas", "La cousine Bette", "Colomba", "Les liaisons dangereuses", "Moby Dick".


Ça montre bien que l'une des fonctions de l'Art, c'est d'explorer les soubassements réprimés de la civilisation.


La vengeance s'oppose, en effet, au Droit et à la Justice. Mais le Droit et la Justice, on déteste ça, on vit ça comme une castration, une frustration. Au fond de nous-même, on préfère faire justice soi-même. L'émotion et le Droit, c'est incompatible et presque tout le monde préfère l'émotion au Droit.


A titre personnel, la vengeance, ça m'effraie, c'est quelque chose que je refuse absolument. Même les copines qui m'ont piqué des mecs, je ne leur en veux pas et il ne me viendrait pas à l'idée de me venger. Et d'ailleurs, je fais la même chose: je suis attirée par les mecs de mes copines. Le désir mimétique, c'est assez vrai.


Et aussi, tous ceux qui m'ont humiliée, agressée, presque violée.

Ça m'arrive très souvent, chaque jour en fait. Chaque jour, on me siffle, on essaie de me peloter, on me fait des remarques plus ou moins subtiles.

Mais je ne les déteste pas, je n'ai pas envie de me venger d'eux !


Tout ça, c'est très peu de chose. Tout ce qui est personnel, je m'en fiche complètement. D'une manière générale, je suis indifférente, je me sens au-dessus ou plutôt à côté de ça. La haine, la concupiscence, qu'on peut me porter, ça ne m'atteint pas. L'humiliation, c'est la vie ! Et puis, si, a contrario, je fais rêver un peu, c'est merveilleux !

Mais éprouver, moi-même, de la haine, vouloir me venger, je m'en sens incapable.

Mais peut-être aussi que je suis une conne, une cruche !


C'est vrai que je n'ai encore jamais connu d'événement absolument dramatique dans ma vie et que mes propos peuvent donc apparaître ceux d'une affreuse pétasse. Que ferais-je si l'on avait assassiné l'un de mes proches ?


La réponse la plus extrême est celle du Christianisme: pardonner ! C'est vrai que c'est une position quasiment intenable.

Malgré tout, c'est celle dont j'essaie de faire un principe.


Tableaux de Karl HUBBUCH (1891-1979), allemand et influencé, bien sûr, par l'expressionnisme.

Ce n'est évidemment pas une peinture qui fait rêver; c'est sans doute révulsant ! C'est même déprimant mais ça exprime, aussi, ce dont j'ai horreur.

samedi 11 février 2017

La vie contrainte


Ma vie courante, quotidienne, n'est pas toujours très drôle. En ce moment, j'ai même la tête sous l'eau: lever à 5 H 15 pour un retour, chez moi, à 20 H au mieux mais souvent bien plus tard.


Et puis, toute la journée harcelée par un tombereau de mails (50 à 100 tous les jours) et aussi par les commissaires aux comptes, les services de l'Etat, les syndicats...



Je dors mal, je suis fatiguée. Des loisirs, des vacances, c'est une utopie! Rien que le week-end pour me soûler et me défoncer !



On m'agresse, on m'engueule, on me fait la morale, on me réprimande: faut faire ci, faut faire ça ! Il faut dire que ma boîte enchaîne les mauvais résultats, on a vu trop grand, on croule sous l'endettement. Je dois être nulle, complètement incompétente. Et puis, je suis une conne, rien qu'à voir ma dégaine !


Alors les rumeurs les plus folles courent: on ne va plus pouvoir payer le personnel, on va faire des coupes sombres, licencier des centaines de personnes.


On me traîne dans la boue, il faudrait me virer tout de suite!


C'est le déferlement mais j'essaie, comme toujours, de demeurer impassible, stoïque Et je sais aussi qu'on ne veut rien comprendre à ce que je dis: tout est cloisonné, bétonné. Je suis, de toute manière, une ennemie. Heureusement, j'ai appris l'indifférence.

Comment survivre ? C'est la question que je me pose chaque jour ! Je m'arrache chaque matin.


Bizarre: on prête souvent aux dirigeants d'entreprises une vie agréable, de multiples loisirs et aventures amoureuses. Moi, ça n'est vraiment pas comme ça que je vois les choses, je n'ai tout simplement pas le temps et puis je suis, sans cesse, taraudée par l'angoisse ! Les amours, l'argent, je ne peux pas en profiter.

J'ai souvent envie de disparaître, de partir quelque part où personne ne pourra me retrouver: la Sibérie, le Kosovo, le Kirghizistan.


Mon expérience, c'est plutôt celle de la solitude, de l'incompréhension, de l'hostilité. Ça explique, en partie, mon blog.

















Tableaux de Kay SAGE (1898-1963) américaine, épouse d'Yves TANGUY. Leurs œuvres sont, évidemment, très proches.

dimanche 5 février 2017

"OSTALGIE"



Cette année, c'est le centenaire de la Révolution d'Octobre en Russie. Je ne sais pas si ce sera célébré mais ce qui est sûr c'est que les 70 ans d'expérience communiste qui ont suivi sont largement effacés de la mémoire collective. Il est vrai que presque plus personne ne sait ce qu'a été le communisme puisque ceux qui l'ont véritablement connu sont de moins en moins nombreux; ils ont tous, aujourd'hui, plus de 50 ans.

"Le mur de Berlin", qu'est-ce que c'est que ce truc de vieux  ?


Et puis, on laisse entendre, surtout à l'Ouest, qu'il y aurait maintenant une nostalgie générale de l'ancien système (une "Ostalgie"), que c'était finalement le bon temps et qu'on ne vivait pas si mal.

Étrange falsification ! Je puis vous assurer que presque personne à l'Est (sauf les Russes qui préfèrent être pauvres mais puissants et redoutés) ne regrette l'ancien système.


La période communiste est abhorrée. La raison est très simple: le niveau de vie a triplé ou quadruplé depuis près de 30 ans grâce... au capitalisme. La Pologne, l'Ukraine, la Russie, des années 90 et d'aujourd'hui, ça n'a, strictement, rien à voir.


Il devient urgent de rappeler ce qu'était la société communiste, cette vie de caserne infantilisante, grotesque et humiliante, ce monde du Père Ubu, cruel et ridicule. Ça tempérerait peut-être les ardeurs de certains candidats "de gauche" à une certaine  élection présidentielle.


Je me réfère bien sûr, moi-même, à mes parents mais la "finance", tellement honnie en France, c'est sûr qu'elle avait été éradiquée (même pas de banques) et l'argent aussi. Il ne circulait qu'une monnaie de singe qui ne permettait de s'acheter à peu près rien: des flacons de vinaigre, des cornichons, des soutiens-gorge est-allemands taille 105, des chaussures tchécoslovaques pointure 45, de multiples chapkas synthétiques. La seule denrée constamment disponible, la vodka. A par ça, rien de rien: pas de cafés, de restaurants, de lieux de rencontre, de loisirs. Il n'existait qu'une monnaie reconnue: le dollar et, à défaut, le mark.


Les rapports marchands avaient été abolis. Plus rien ne valait plus rien ! Les prix, ça n'existait pas ! Grâce à ça, la qualité des produits était désastreuse. L'U.RS.S., c'était un grand cloaque, un pays sale, crasseux,  où rien ne marchait, rien ne fonctionnait. Tout était de guingois, de travers, tout s'effondrait !


On n'osait pas appuyer sur un bouton électrique, ouvrir un robinet, aller dans des toilettes publiques ! Un téléviseur, c'était un appareil très dangereux, parce que ça explosait, souvent, inopinément. Un frigidaire, ça chauffait plus souvent que ça ne refroidissait. Une voiture, ça tombait, systématiquement, en panne. Les besoins essentiels, l'eau, l'électricité, les transports, l'alimentation, ça n'était pas assuré. Le téléphone, ça n'existait quasiment pas. Tout était infect, immangeable, imbuvable, en déliquescence !


Sur le plan économique, c'était le tiers-monde ! On était, absolument, misérables ! On était, juste, logés pour rien (on vivait, même, dans des appartements surchauffés en hiver) et on avait un emploi minable garanti à vie. Indéfiniment peinards dans la médiocrité !


La survie économique, on l'assurait avec autre chose: des trafics, des magouilles, de petits business minables.


Mais c'est vrai que le système avait aussi des aspects séduisants. Contrairement à l'image habituellement diffusée à l'Ouest, le système communiste ne reposait pas, simplement, sur une répression policière féroce, la surveillance généralisée des uns par les autres.


Mais non! c'était une dictature molle, bonasse (du moins après Staline), avec la quelle on pouvait conclure d'inavouables arrangements. La corruption, la petite corruption, était généralisée. Le Droit, on ne savait pas ce que c'était, ça n'existait tout simplement pas. Et puis, la corruption, ça n'était pas si  désagréable que ça: tout pouvait s'arranger et ça permettait de développer les liens sociaux, d'entretenir des relations cordiales.


Surtout, on ne foutait absolument rien ! Le stress du boulot, on ne connaissait pas. Le revenu universel, prôné par Messieurs Hamon et De Villepin, a, ainsi, déjà été expérimenté, avec grand succès, dans le monde communiste. On faisait semblant de travailler pour un semblant de salaire.


Il y avait aussi la solidarité et l'égalité: tous les pauvres étaient riches et tous les riches étaient pauvres ! Un rêve Mélenchonno-Pikettiste !


Et d'ailleurs, on vivait dans une innocence absolue. Pas d'angoisse, d'interrogations ! Si on était minables, ce n'était pas de notre faute,  c'était celle du Grand Autre, le Parti, l'Etat, sur lequel on pouvait taper à loisir (je signale à ce propos que la parole était beaucoup plus libre qu'on ne l'imagine). Ça vous structurait et on n'était coupables, responsables de rien. 


Enfin, c'était la grande convivialité, ces innombrables soirées à se saouler, à échanger, à refaire le monde. C'est à ça que je suis demeurée le plus sensible et dont je suis la plus nostalgique.


Finalement, pour qui aspirait à la sécurité et entretenait des rêves modestes, le système convenait très bien. Il garantissait une vie tranquille, sans trop de soucis, mais qui était bien loin de l'esprit révolutionnaire.


Affiches des années 20 des célèbres frères STENBERG, Vladimir (1899-1982) et Georgii (1933). Nés à Moscou, ils ont épousé la cause de la Révolution et participé au Constructivisme. Je trouve ça, personnellement, extrêmement fort, presque indépassable. On n'a jamais su mieux composer une image.