samedi 21 janvier 2017

Sodome et Gomorrhe


J'ai relu un peu de Proust ces dernières semaines.

Sur la sexualité humaine, à peu près rien n'a été écrit de plus scandaleux. Le complément timide, raffiné, de Sade. Mais avec Proust, il ne suffit pas de baiser pour être transgressif. "La Recherche", est-ce que ça pourrait être lu, compris, aujourd'hui ?

D'abord presque tout le monde est inverti (ça, aujourd'hui, c'est dans la norme) mais, surtout, l'homosexualité n'est pas dépeinte sous des abords heureux, ceux d'une pleine félicité ou d'un choix indifférent.




Proust parle même d'une malédiction, d'une "race maudite". De quoi faire hurler les mouvements LGBT et tous les "cools" qui aiment "s'éclater" "sans se prendre la tête", tous les adeptes de l'effacement des différences, du "on est tous pareils".

La sexualité n'est pas un choix, elle est un destin, elle a, toujours, une dimension un peu tragique. La sexualité, l'homosexualité, sont criminelles.

Et peut-on être vraiment bi, à la fois hétérosexuel et homosexuel ? Probablement pas !


Des propos pareils, aujourd'hui c'est intolérable.

Cela c'est Sodome. Et Proust inscrit à l'un des frontispices de "La Recherche": "La femme aura Gomorrhe et l'homme aura Sodome".

Mais que savait Proust et que sait-on de Gomorrhe, du plaisir féminin, du continent noir freudien ?


On a tendance à penser que Gomorrhe, c'est l'exact inverse de Sodome et que parmi les femmes, il y aurait d'un côté, les lesbiennes, hommasses, des garçons déguisé en filles ou des filles qui se rêvent en garçons, et de l'autre les femmes normales, straight, bonnes amantes, convenables en tous points.

C'est plus compliqué que ça. Il y a semble-t-il une différence essentielle. La plupart des femmes s'intéressent aux autres femmes ce qui n'est pas le cas, je crois, des hommes hétérosexuels.


Un homme est incapable d'avoir un jugement sur la beauté d'un autre homme et y est même totalement indifférent. Alain Delon ne fait bander aucun homme hétérosexuel.

Toute femme, en revanche, perçoit immédiatement la beauté d'une autre femme, y est sensible et l'évalue immédiatement. Un strip-tease féminin, ça n'est pas totalement déplaisant mais je ne suis pas sûre qu'un strip-tease masculin plaise à beaucoup d'hommes. On a moins de tabous concernant le corps.

Les femmes aiment s'observer, s'épier; elles sont à l'affût de l'autre, elles vivent dans la rivalité mimétique, elles se jalousent, se provoquent sans cesse.


Si on se fait belles, si on consacre un temps infini à son apparence, c'est bien sûr pour séduire les hommes mais c'est, aussi et surtout, pour défier les autres femmes. Et d'ailleurs on sait bien que seules les femmes peuvent apprécier notre élégance. Si un homme me dit que j'ai une belle robe, je m'en fiche à peu près parce que, de toute manière, il n'y connaît rien. Mais si une copine me dit que je suis habillée comme une plouc ou une pauvresse, alors là ! il me faut deux jours pour m'en remettre.

L'important, ce n'est pas d'être belle, c'est d'être la plus belle et jusqu'où est-on capables d'aller pour ça ?


C'est pour ça qu'on veut tout connaître de l'autre, qu'on traque chacun de ses petits secrets. De ma copine Daria, je connais l'intégralité de sa garde-robe, de ses trucs de beauté. On aime se caresser, s'embrasser, dormir ensemble sans aller jusqu'à la relation physique, ça n'a pas d'importance. On se hait et on s'adore.

Notre manière de nous aimer: partager nos amants. Mes rêves: coucher avec les maris de mes copines; c'est, aussi, une autre manière de les aimer.

Tout ça pour dire que le saphisme, c'est très sensuel, très vaste, très compliqué. Et que l'amour féminin, c'est une réalité profonde mais ça dépasse, largement, la dimension physique.On peut se haïr, s'aimer, sans baiser mais ça n'en est pas moins profond.

Tableaux de Christian SCHAD (1894-1982), Gerhard RICHTER (1962), Pierre MOLINIER (1900-1976), Kees Van DONGEN (1877-1968), Tamara LEMPICKA (1898-1980)..

6 commentaires:

Unknown a dit…

Je suis tout à fait de votre avis chère Carmilla ! mais ce n'est pas nouveau.

Et c'est avec plaisir que je retrouve l'illustration du Mirage finlandais, livre que vous nous avez conseillé et que je termine à l'instant.
Un peu perplexe au début, j'ai fini parme plonger avec beaucoup d'intérêt dans la Finlande dans années 20 et 30.
Miss Milja est vraiment un curieux personnage, mais combien bouleversante.
Je ne savais rien bien sûr des évènements tragiques qu'a connu ce pays.

Merci encore Carmilla !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Ariane,

Votre approbation me fait plaisir. Je doute toujours un peu, en effet, de ce que j'écris parce que j'accentue les choses.

C'est bien sûr en pensant à la couverture du "Mirage Finlandais" que j'avais posté ce tableau de Tamara Lempicka. C'est en effet un assez bon livre qui apprend plein de choses sur l'histoire d'un pays méconnu. Je ne savais pas non plus grand chose de l'histoire de la Finlande.

Je recommande la visite d'Helsinki. J'avais beaucoup aimé. Il y a beaucoup d'immeubles Art Nouveau très beaux et très originaux. Il y a aussi l'omniprésence de la mer et il ne fait pas si froid qu'on l'imagine. Et puis, on peut acheter de beaux objets, de qualité et de bon goût.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Sans vous dérober à vos rêveries, fantaisies, idiosyncrasies personnelles et à vos folies singulières vous présentez là encore et toujours quelque chose de très pertinent et de néanmoins différent et beaucoup plus explicite que la pensée commune du simple quidam...

Mais les gens sont suffisamment intelligents pour l’accueillir et le comprendre.

Il y a aussi la façon dont votre récit crée votre propre public, votre auditoire...
avec un langage émotionnel bien à vous, certes, à travers lequel vous exprimez la force affective de vos expériences... qui ne sont pourtant pas de la littérature.

Il est vrai aussi que les femmes sont plus délicates et plus expérimentées que les hommes dans le domaine de la séduction, de la capacité d'aimer...et de haïr.

Ce que je préfère en priorité chez la femme, c'est son charisme et sa morphocinétique...et chez l'homme,... la façon dont il tient ses couverts à table et si ses chaussures sont bien cirées...mais ça s'arrête là.


Amicalement.
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Dans la vraie vie, je ne suis pas du tout fofolle ou bizarre. Je suis, au contraire, quelqu'un de très intégré.

Dans mon blog, j'essaie, simplement, d'aller à l'encontre des idées dominantes mais il ne faut pas toujours me prendre au pied de la lettre. Toute écriture est création, recréation, de soi.

La séduction, c'est très compliqué. Il faut que ce soit subtil. Il est possible que les hommes soient moins experts en la matière.

Les chaussures, les couverts, ce sont en effet des détails qui, souvent, tuent.

Bien à vous

Carmilla

nuages a dit…

A propos de la Finlande, je viens de voir un excellent film finlandais, "Olli Mäki", tourné en noir et blanc, et qui se passe en 1962. Un jeune boxeur d'origine populaire va affronter un champion noir américain. Toute l'ambiance de l'époque est très bien restituée, et le film a même été tourné en 16 mm, avec de la pellicule Kodak Tri-X, ce qui rend l'esthétique 1962 encore plus crédible. Je ne sais pas si ce film passe à Paris.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Le film était dans les salles parisiennes au mois d'octobre dernier mais, en raison peut-être de critiques mitigées, il n'est pas resté longtemps à l'affiche.

Je ne l'ai moi-même pas vu mais j'avoue qu'hormis Kaurismaki, je ne connais pas grand chose au cinéma finlandais.

Bien à vous

Carmilla