samedi 22 octobre 2016

Lettres


C'est la saison des prix littéraires. Cette année, je crois que c'est un grand cru. Voilà les livres que j'aimerais couronner. Curieusement, les 5 premiers livres que j'ai sélectionnés entretiennent de multiples correspondances: le crime, l'insignifiance, la manipulation, le féminisme.



Leïla SLIMANI: "Chanson douce". J'avais beaucoup aimé le premier roman de Leïla Slimani: "Dans le jardin de l'ogre" (aujourd'hui en poche) qui, ô scandale, parlait du vécu d'une nymphomane. Son dernier bouquin est également troublant, très fort, questionnant les détours et méandres du psychisme humain. On y parle des rapports de classe, de la sujétion, fascination, dépendance, de la domesticité. Mais aussi de l'argent de l'amour.


Ivan JABLONKA: "Laëtitia ou les hommes". Ce n'est pas un roman mais ça se lit comme tel. Un crime banal et sordide, resitué dans toute sa dimension, pas seulement psychologique, individuelle, mais surtout politique, sociale, culturelle. La découverte fascinante (je l'avoue pour moi), de la France profonde, provinciale: la misère économique, spirituelle. Un monde où violenter les femmes est considéré comme normal. Un livre féministe, un très bel hommage à une jeune fille, Laëtitia, tragiquement décédée en janvier 2011.


Régis JAUFFRET: "Cannibales". Une correspondance amoureuse entre deux femmes, l'amante et la mère. Un projet monstrueux: dévorer l'homme qu'elles ont en commun. Ce qui frappe avant tout dans ce livre, c'est l'extraordinaire qualité et élégance de son écriture. Un bijou pervers, cynique et rusé, qui évoque irrésistiblement le "Liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos. Régis Jauffret est vraiment un des grands écrivains français.


Yasmina REZA: "Babylone". Comment préserver la dignité de l'existence, l'arracher au kitsch, à la banalité ? C'est le combat que mène, sans discontinuer, Yasmina REZA. Un crime déchire tout à coup un quotidien morose et dépressif. Très fort sous une apparente simplicité


Zygmunt MILOSZEWSKI: " La rage" ("Gniew" en polonais). Je ne lis qu'exceptionnellement des romans policiers. Ça m'apparaît toujours plein de clichés. Mais j'ai découvert, l'an dernier, l'écrivain polonais Miloszewski ("Un grain de vérité"). Certes, ce sont des livres imposants: 500 pages. Mais ils constituent, d'abord, une description féroce et très juste de la Pologne contemporaine, bien loin des préjugés en cours. Et puis le crime a, là encore, une dimension politique, sociale. Le précédent livre posait la question de l'antisémitisme (pas seulement en Pologne) de manière très novatrice. Celui-ci parle de la violence faite aux femmes et du féminisme.  Une surprise: l'auteur se débarrasse, à la fin du livre, de son héros, le Procureur Szacki, envoyé en prison pour 15 ans. Y aura-t-il une suite ?


Frédéric PAJAK: "Manifeste incertain 5". Une passionnante biographie de Vincent Van GOGH. Un beau livre, aussi, magnifiquement illustré de dessins de l'auteur. Généralement, les biographies de peintres, ça me barbe. Mais Frédéric Pajak met très bien en lumière les moments décisifs et souvent méconnus de la vie de Vincent Van Gogh. Je recommande aussi vivement les précédents livres, les précédents "Manifestes incertains", de Frédéric Pajak: sa biographie de Walter Benjamin et celle de Gobineau. Ça va à l'essentiel et c'est toujours un point de vue complètement nouveau.


Catherine CUSSET: "L'autre qu'on adorait". J'aime bien Catherine Cusset. C'est toujours intéressant, agréable à lire, même si elle évoque surtout des milieux, ceux du monde universitaire et littéraire, qui me sont tout à fait étrangers. Un livre écrit à la mémoire d'un amant, ami de la narratrice. Une description des villes universitaires de province des Etats-Unis. Ça évoque David Lynch, Blue Velvet,Twin Peaks.  


Sophie CADALEN et Bernadette COSTA-PRADES: "Vivre ses désirs, vite !" Un livre de psychanalyse bien écrit, sans jargon, pertinent. Si vous êtes dans le doute, l'interrogation, ce bouquin peut être salvateur. Notre plus grande difficulté, en effet, c'est qu'on se refuse, le plus souvent, à reconnaître ses désirs et c'est ce qui nous rend malheureux. On préfère s'enferrer dans des leurres, des compromis médiocres. Les désirs surgissent de manière inopinée, jamais là où on les attend. Il faut savoir les suivre, les vivre.


Riad SATTOUF:"L'Arabe du futur 3". Une bande dessinée, certes, mais qui apprend énormément de choses sur le Moyen-Orient (la Syrie en particulier) et aussi sur la France. C'est féroce et ça fait grincer beaucoup de dents mais c'est, aussi, assez juste et ça a, surtout, une formidable dimension humaine.


Tableaux de Joanna KARPOWICZ, artiste polonaise née, en 1976, à Cracovie. J'aime beaucoup. On remarque surtout la présence insistante d'une figure, celle d'Anubis, divinité égyptienne.

Je signale enfin la réédition du livre: "Les envoûtés" de Witold Gombrowicz, un des grands bouquins de la littérature du 20 ème siècle



7 commentaires:

nuages a dit…

Quant à moi, j'ai lu avec bonheur deux livres de Marina Lewycka ("Une brève histoire du tracteur en Ukraine" et "Deux caravanes"), un de Cédric Gras ("Anthracite") et je suis en train de lire "Sur les chemins noirs" de Sylvain Tesson, tous livres que je vous recommande.

KOGAN a dit…

Bonjour CARMILA

Anubis que vous citez est aussi intéressant que vos choix de livres.

Il est présent dans tous les tableaux de l'artiste Polonaise...comme attendant la mort de chacun, au détour du chemin...cela n'est pas si étrange que cela si l'on comprend bien l'oeuvre peinte, comme celles de Hopper.

Anubis: j'aime beaucoup son histoire et celle de lEgypte, j'ai eu à faire un temps des travaux sur sa mythologie et Osiris, ou l'on évoque la mort...et la "renaissance"...

"Anubis veut dire chacal ou chien noir. Les chiens sauvages et les chacals peuplaient les terres près des nécropoles. Ils venaient y creuser les abords des tombes et déterrer les cadavres pour les dévorer.

Pour se protéger de ces pilleurs, les Égyptiens les auraient divinisés et leur auraient donné la fonction de gardiens des ces nécropoles, s'attirant ainsi leurs bonnes grâces. Anubis eut pour mère Bastet ou Nephtys et pour père Osiris.

Anubis est un Dieu qui aide et conduit les morts vers leur nouvelle destinée. Il est le Dieu des morts, protecteur des embaumeurs, seigneur des nécropoles, et souverain des défunts.

Anubis fut le patron de la cérémonie de l'embaumement et de celle de l'ouverture des yeux et de la bouche. Il aidait le défunt lors de son ascension vers le ciel, ce qui en fit une divinité funéraire très populaire.

Dans les Textes des Pyramides, il est le guide qui conduit le défunt dans l'Au-delà jusqu'à la salle des deux Maât, le présente aux juges divins et procède à la pesée du cœur (La psychostasie).

À partir de la Ve Dynastie (2465-2323), il fut dépossédé de ces fonctions par Osiris et fut relégué à un rôle d'assistant, de soutien. Dans ce rôle il est mentionné comme le conducteur des âmes. Les Grecs, plus tard, vont l’identifier avec leur Dieu Hermès sous le nom d'Hermanubis. "

Toutes ces dynasties de Pharaons n'ont-elles pas aussi laissé d'autres cruels et pénibles souvenirs d'esclaves israélites utilisés à construire leurs édifices?

Il n'y aurait-il, pas de preuves...soit-disant, comme dans les scandales politiques.

Bien à vous.
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je ne sais pas pourquoi mais je n'ai toujours pas lu Marina Lewycka alors que j'ai "le tracteur" dans ma bibliothèque et que ce que j'en ai feuilleté m'apparaît très bon.

Cédric Gras, j'ai lu ses précédents livres et c'est effectivement très bien. Il connaît authentiquement la Russie et l'Ukraine.

Sylvain Tesson, j'aime bien mais pas tous ses livres. Il est trop écolo pour moi.

Je vais m'attaquer à tout ce que vous me conseillez.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff pour cette analyse érudite.

J'avoue que vous m'apprenez à peu près tout, ma connaissance de la mythologie égyptienne se bornant presque à de lointains souvenirs scolaires dans de petites classes.

Bien à vous,

Carmilla

Anonyme a dit…

Cela faisait bien longtemps que je n'avais lu un blog, avais-je déjà lu un blog d'ailleurs. Si oui, aucune trace mémorielle. Comment suis-je arrivé sur celui-ci? Par hasard, comme pour tout et toujours. Pour quelle raison y laisser un commentaire? Et pourquoi pas ici quitte à se dérouiller les doigts.

Sans éprouver un intérêt x ou y, bref alphabétique, à vaguement le lire -mais sans gerber non plus-, j'ai pris la décision, café à la main, de m'y incruster durablement, sans raison.

Raymond L.

Carmilla Le Golem a dit…

Bienvenue Raymond quelles que soient vos interrogations.

L'un des attraits du blog, à mes yeux, c'est la totale liberté qu'il accorde à son rédacteur et à ses lecteurs. On a le droit d'écrire sans se censurer et on a le droit d'aimer ou de détester.

Mais je pense quand même que tout ne peut pas être fortuit. Il doit bien y avoir des affinités entre le blogueur et ses lecteurs.

Bien à vous

Carmilla

Anonyme a dit…

C'est marrant de rajouter "quand même" après "je pense", non ? "Je pense quand même"... Hum, y'a comme un truc qui ne colle pas.

Sur l'aspect fortuit je pense que tout peut l'être. Quant aux affinités, on s'en trouve toujours, à minima si l'on fait le choix de s'y contraindre.

Raymond L.