samedi 29 octobre 2016

Solitude


Quoiqu'on en pense et en dépit du développement des réseaux sociaux, la solitude s'accroîtrait et ferait tâche d'huile. "Les Français sont terriblement seuls. Un sur quatre n'a aucun ami. 39 % ne voient plus ou presque leur famille. Ils ne sont que 26 % à fréquenter des clubs, des organisations, des associations. Un sur cinq n'a pas de camarades dans son milieu de travail. 12 % de nos concitoyens, soit cinq millions de personnes, se trouvent dans un état d'isolement...Et la solitude est aussi liée au nombre de suicides: 14,7 pour 100 000 habitants - la moyenne européenne est de 10,2 pour 100 000. Et aussi au désir de mourir qui fait que 220 000 personnes  tentent de se suicider chaque année en France. Par ailleurs, si l'on prend en considération ces deux formes de suicides différés que sont les actes de terrorisme et les meurtres de masse, on aurait de quoi noircir ce tableau déjà si sombre".


On attribue cet accroissement de la solitude au nombre de plus en plus en plus important de personnes qui ne vivent pas en couple. Il y a, de moins en moins, de mariages (presque 2 fois moins que dans les années 70) et de plus en plus de divorces. "En 2009, un ménage sur trois est composé d'une seule personne contre un sur cinq en 1975". 


Ce sont des chiffres terrifiants, choquants. Ils vont à l'encontre de l'idéologie communicative et festive contemporaine. Je ne sais pas moi-même ce que valent ces statistiques. On peut les contester, bien sûr : qu'est-ce c'est, ces bêtises ?.C'est du bidon! Mais il suffit de se référer à sa propre expérience et à celles de son entourage pour les confirmer. 

Il y a, aujourd'hui, un tabou absolu: on veut tous faire croire qu'on a plein d'amis, qu'on a une vie sociale riche et enrichissante, on veut, tous, faire croire que tout le monde nous aime et qu'on s'éclate sans cesse.

C'est, évidemment, complètement faux ! On cherche, avant tout, à cacher sa propre misère sociale ! Plutôt crever que de laisser supposer que l'on se sent seul ! 

La solitude, aujourd'hui, est, effectivement, effrayante !


Découvrir la France, c'est un choc! Croiser des gens qui ne vous parlent pas, ne vous regardent pas, au début, c'est dur ! Après, on  comprend que les Français ne sont pas forcément indifférents mais, peut-être, trop éduqués !

La honte totale, absolue, ce serait d'avouer que personne ne nous téléphone pour nous souhaiter un bon anniversaire, que personne ne nous invite pour savoir, simplement, comment ça va, où on en est. Parler, communiquer, c'est devenu impossible, on est trop éduqués, policés pour ça. 

C'est pour ça que je me sens encore Ukrainienne:  parce que c'est encore possible d'y dire ce qui ne va pas. Parce que c'est encore possible de dire que je suis paumée !


Pour moi-même, c'est très simple. La famille ? On était très peu nombreux et à peu près tout le monde est mort prématurément. Mais, avant ça, je n'ai eu de cesse de me libérer, de quitter ma famille. Plus anti-Tanguy que moi, il n'y a pas.C'est, aussi, une énorme culpabilité.


Des camarades au travail ? Je n'en ai aucun parce que ça ne m'apparaît pas possible. Mélanger le professionnel et le personnel, ça m'est toujours apparu suicidaire.Certes, tout le monde est souriant et sympathique avec moi mais tout m'apparaît intéressé. C'est affreux, odieux, j'en ai conscience, mais je n'arrive pas à me dépêtrer de ça !


Des amis ? Avec des Français, c'est zéro ! Je ne me sens pas à l'aise avec des Français, je ne sais trop que dire. J'ai l'impression qu'on ne vit pas dans le même monde. On parle toujours de cuisine, de vin, de politique intérieure, de Méditerranée, sujets qui me dépassent complètement.

Des amis ? Je n'en ai que dans la communauté slave parisienne (mais pas trop non plus) et, bien sûr, aussi, en Ukraine, en Russie et en Pologne même si j'ai conscience que, là aussi, ça peut être intéressé. Des amis ? Je n'en ai qu'une en fait: Daria ma Russe adorée, 10 fois plus folle que moi, avec la quelle je peux tout envisager. On pourra, évidemment, juger que je ne suis pas bien intégrée.Mais je pense aussi être plus Française que la plupart des Français !


Des connaissances ? Là, en revanche, j'en ai pléthore ! Je suis continuellement harcelée par des dizaines de types qui me déclarent leur flamme. Heureusement, ils déchantent vite avec moi tellement je suis dure, cruelle. Ça ne marche pas et ça ne peut pas marcher ! Je sais que je suis odieuse, que je joue de mon "aura", mais qu'en sera-t-il quand je serai moche et vieille ?


Tableaux de Mariola JASKO (prononcer yachko en accentuant le a) peintre cracovienne.

Les citations en début de post sont extraites du dernier livre de Marcela IACUB: "La fin du couple". Un bouquin comme toujours percutant, dérangeant.

Au cinéma, je recommande: "Le teckel" de Todd SOLONDZ, une vision grinçante des U.S.A. Terrible et lucide !

P.S.: je pars aujourd'hui en Allemagne et je ne garantis donc pas la régularité, à court terme, de mon blog.

samedi 22 octobre 2016

Lettres


C'est la saison des prix littéraires. Cette année, je crois que c'est un grand cru. Voilà les livres que j'aimerais couronner. Curieusement, les 5 premiers livres que j'ai sélectionnés entretiennent de multiples correspondances: le crime, l'insignifiance, la manipulation, le féminisme.



Leïla SLIMANI: "Chanson douce". J'avais beaucoup aimé le premier roman de Leïla Slimani: "Dans le jardin de l'ogre" (aujourd'hui en poche) qui, ô scandale, parlait du vécu d'une nymphomane. Son dernier bouquin est également troublant, très fort, questionnant les détours et méandres du psychisme humain. On y parle des rapports de classe, de la sujétion, fascination, dépendance, de la domesticité. Mais aussi de l'argent de l'amour.


Ivan JABLONKA: "Laëtitia ou les hommes". Ce n'est pas un roman mais ça se lit comme tel. Un crime banal et sordide, resitué dans toute sa dimension, pas seulement psychologique, individuelle, mais surtout politique, sociale, culturelle. La découverte fascinante (je l'avoue pour moi), de la France profonde, provinciale: la misère économique, spirituelle. Un monde où violenter les femmes est considéré comme normal. Un livre féministe, un très bel hommage à une jeune fille, Laëtitia, tragiquement décédée en janvier 2011.


Régis JAUFFRET: "Cannibales". Une correspondance amoureuse entre deux femmes, l'amante et la mère. Un projet monstrueux: dévorer l'homme qu'elles ont en commun. Ce qui frappe avant tout dans ce livre, c'est l'extraordinaire qualité et élégance de son écriture. Un bijou pervers, cynique et rusé, qui évoque irrésistiblement le "Liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos. Régis Jauffret est vraiment un des grands écrivains français.


Yasmina REZA: "Babylone". Comment préserver la dignité de l'existence, l'arracher au kitsch, à la banalité ? C'est le combat que mène, sans discontinuer, Yasmina REZA. Un crime déchire tout à coup un quotidien morose et dépressif. Très fort sous une apparente simplicité


Zygmunt MILOSZEWSKI: " La rage" ("Gniew" en polonais). Je ne lis qu'exceptionnellement des romans policiers. Ça m'apparaît toujours plein de clichés. Mais j'ai découvert, l'an dernier, l'écrivain polonais Miloszewski ("Un grain de vérité"). Certes, ce sont des livres imposants: 500 pages. Mais ils constituent, d'abord, une description féroce et très juste de la Pologne contemporaine, bien loin des préjugés en cours. Et puis le crime a, là encore, une dimension politique, sociale. Le précédent livre posait la question de l'antisémitisme (pas seulement en Pologne) de manière très novatrice. Celui-ci parle de la violence faite aux femmes et du féminisme.  Une surprise: l'auteur se débarrasse, à la fin du livre, de son héros, le Procureur Szacki, envoyé en prison pour 15 ans. Y aura-t-il une suite ?


Frédéric PAJAK: "Manifeste incertain 5". Une passionnante biographie de Vincent Van GOGH. Un beau livre, aussi, magnifiquement illustré de dessins de l'auteur. Généralement, les biographies de peintres, ça me barbe. Mais Frédéric Pajak met très bien en lumière les moments décisifs et souvent méconnus de la vie de Vincent Van Gogh. Je recommande aussi vivement les précédents livres, les précédents "Manifestes incertains", de Frédéric Pajak: sa biographie de Walter Benjamin et celle de Gobineau. Ça va à l'essentiel et c'est toujours un point de vue complètement nouveau.


Catherine CUSSET: "L'autre qu'on adorait". J'aime bien Catherine Cusset. C'est toujours intéressant, agréable à lire, même si elle évoque surtout des milieux, ceux du monde universitaire et littéraire, qui me sont tout à fait étrangers. Un livre écrit à la mémoire d'un amant, ami de la narratrice. Une description des villes universitaires de province des Etats-Unis. Ça évoque David Lynch, Blue Velvet,Twin Peaks.  


Sophie CADALEN et Bernadette COSTA-PRADES: "Vivre ses désirs, vite !" Un livre de psychanalyse bien écrit, sans jargon, pertinent. Si vous êtes dans le doute, l'interrogation, ce bouquin peut être salvateur. Notre plus grande difficulté, en effet, c'est qu'on se refuse, le plus souvent, à reconnaître ses désirs et c'est ce qui nous rend malheureux. On préfère s'enferrer dans des leurres, des compromis médiocres. Les désirs surgissent de manière inopinée, jamais là où on les attend. Il faut savoir les suivre, les vivre.


Riad SATTOUF:"L'Arabe du futur 3". Une bande dessinée, certes, mais qui apprend énormément de choses sur le Moyen-Orient (la Syrie en particulier) et aussi sur la France. C'est féroce et ça fait grincer beaucoup de dents mais c'est, aussi, assez juste et ça a, surtout, une formidable dimension humaine.


Tableaux de Joanna KARPOWICZ, artiste polonaise née, en 1976, à Cracovie. J'aime beaucoup. On remarque surtout la présence insistante d'une figure, celle d'Anubis, divinité égyptienne.

Je signale enfin la réédition du livre: "Les envoûtés" de Witold Gombrowicz, un des grands bouquins de la littérature du 20 ème siècle



samedi 15 octobre 2016

Professeurs de bonheur


Comme à peu près tout le monde, je ne suis jamais complètement sereine, d'humeur égale, mais souvent changeante, incertaine: tantôt introvertie, repliée, inquiète, anxieuse, avec des coups de blues, tantôt extravertie, presque exaltée, exubérante. Bref, déconcertante!


Ce sont les hauts et les bas de la vie, sa bipolarité dit-on aujourd'hui. Je devrais, peut-être, consulter un thérapeute, un expert, j'en sortirais, peut-être, rassérénée, pacifiée. Et d'ailleurs, ça ne manque pas, aujourd'hui, tous les "spécialistes" de l'âme disposés à orienter, dicter, votre conduite.


Il y a, comme ça, plein de thérapies à la mode: la méditation, le yoga, le zen, la relaxation. Ça rejoint aussi les conseils, souvent prodigués, comme quoi il faudrait lever le pied, lâcher prise, être cool. J'avoue que ça me fait un peu rigoler. Outre le côté fumeux qui sous-tend toutes ces démarches, je n'éprouve vraiment pas le besoin de faire le vide, de me calmer, de ralentir, de me poser. D'ailleurs, est-ce qu'on a vraiment besoin du vide ? Est-ce qu'on n'a pas, plutôt, besoin d'un espace mental dans le cadre duquel on puisse respirer ? La méditation, le zen, le yoga etc..., ça m'apparaît surtout comme des injonctions à éloigner ses mauvaises pensées, à être sage, à se comporter comme les autres. Je préfère rester une excitée, une révoltée, perpétuelle.


Très à la mode, en entreprise: le coach. On m'en propose un, régulièrement, mais ça me laisse perplexe. Je me vois vraiment mal avec un coach; qu'est-ce qu'on pourrait avoir à se dire ? C'est sûr que je travaille d'une manière très particulière, l'organisation n'est pas mon fort, me suivre n'est sans doute pas facile mais j'y ai trouvé mon efficacité; un coach, ça risquerait, avec moi, de tourner à la relation sado-maso: qui deviendrait le toutou de l'autre ?


Et puis, il y a tous les bons conseils dispensés dans les medias, la presse, les magazines (surtout féminins), voire dans la littérature (Vincent Delerm). On nous encourage à nous accorder plein de plaisirs, mais des petits plaisirs, des plaisirs riquiquis: boire une bonne bière, se faire une bonne bouffe, contempler un beau paysage, glandouiller bêtement. Ça me consterne complètement, ce n'est pas du tout comme ça que je vois la vie. Les petits plaisirs, oui! Moi-même, j'aime bien (au risque de passer pour une plouc) boire une bonne bière. Mais ce n'est pas ça qui peut me faire carburer: pourquoi, seulement, des petits plaisirs? Où sont les grands plaisirs ?


Enfin, il y a la psychologisation, la psychiatrisation, générales de nos vies. Si je ne me sens pas bien, c'est que je fais mes crises: de l'adolescence, de l'assomption de la féminité, de l'accouchement, de la ménopause etc...Ramener les choses à mon complexe d'Oedipe, à ma débandade biologique, catégoriser un mal être, ça permet d'évacuer la souffrance réelle. Ça permet de brider mes aspirations à autre chose.


On est pleins de sollicitude, on veut qu'on se sente bien, qu'on se dise heureux quoi qu'il en soit, à tout prix, au point d'effacer nos désirs profonds.

Et c'est ça la question:! Toutes ces belles machines institutionnelles censées nous dispenser apaisement et bonheur, ça n'a pas d'autre finalité que de nous tenir en laisse, de brider nos désirs, de faire de nous de braves toutous, tranquilles et sympas !

L'injonction au bonheur, c'est la domestication, la servitude ! Il faudrait être, sans cesse, gentille, aimable, souriante !


Malheureusement, je me sens complètement à côté de ça: mes états d'âme, mes oscillations d'humeur, mes coups de déprime, ça n'est jamais, en fait, que l'expression de mes désirs qui se cherchent. Et les désirs, mes désirs, sont forcément transgressifs! Et pour ça, je n'ai surtout pas besoin d'experts, de professeurs.


Tableaux de Krzysztof KIWERSKI, peintre polonais né en 1948 à POZNAN.

samedi 8 octobre 2016

Qui suis-je ?


J'imagine que chacun de vous, chers lecteurs, s'est, plus ou moins, forgé une petite image de moi. Ça n'est, peut-être, pas toujours très valorisant: sinistre, ennuyeuse, prétentieuse, follasse, obsédée, mythomane, mal baisée, névrosée... 

C'est très divers, c'est l'exercice de la démocratie. Je ne vous en veux nullement et d'ailleurs, je fais la même chose: je scrute vos lettres, messages, j'essaie de vous décrypter. 

C'est une passion contemporaine: on a besoin d'étiquetter quelqu'un, d'être confronté à une identité ferme, d'en dresser le portrait, de cerner son "caractère". C'est ce qui fait le triomphe de la psychologie. Ça permet de catégoriser, essentialiser, les autres, les rendre totalement prévisibles. 


Qu'on bavasse sur moi, ça a pu me gêner, me perturber, disons jusqu'à la fin de mon adolescence; mais je suis devenue, petit à petit, totalement imperméable à ce que l'on pouvait raconter et aux portraits, probablement peu flatteurs, que l'on pouvait dresser de moi. Je ne me fâche, même pas, avec ceux qui colportent des horreurs à mon propos. Lâcheté, lucidité ?


Certes, c'est d'abord mon travail, l'exercice de ma profession, qui m'a dicté cette attitude: si je fais attention à ça, si ça me bouleverse, si j'y attache de l'importance, je suis fichue! 

Mais le fait est que je ne me sens pas concernée par l'image que les autres peuvent avoir de moi. C'est d'abord eux qui y trouvent une assurance.


Rien ne m'apparaît plus absurde et régressif que la quête généralisée d'identité. Il faudrait apprendre à se connaître soi-même, savoir qui l'on est, c'est la demande que l'on formule dans les cabinets des psys. Ça déborde même la sphère individuelle avec les histoires, politiques, d'identité nationale ou religieuse. Mais est-ce que cette idée d'identité, ça n'est pas  aussi dangereux que l'idée de race ?


Avoir une identité immuable, c'est ce que l'on voudrait !

Moi, ça ne m'intéresse pas du tout. "Qui suis-je ?": je m'en fiche, c'est le passé, ce n'est pas ça qui peut me faire avancer. Mon identité, je la perçois comme incertaine, changeante. Je ne veux pas que l'on m'enferme dans une définition. Je sais que je suis très mouvante, je ne suis jamais comme ci ou comme ça. Je peux être une salope ou une sainte. Il y a plein de définitions de moi. Je sais que je peux être odieuse, infecte, infâme, mais aussi, parfois, pleine de compassion. Je veux simplement ne pas être jugée, catégorisée.


Les gens que je déteste le plus, ce sont ceux qui se prétendent vertueux, exemplaires ! 

Et moi-même, je m'adore et je me hais tout à la fois !

Le plus beau compliment que l'on puisse m'adresser, c'est de me dire: "je ne m'attendais pas à ça de toi !". Et ça vaut surtout dans l'abjection et dans l'ignominie.

Ceux qui m'interrogent le plus, ce sont les salauds !

C'est peut-être d'eux que je suis la plus proche !




"Qui suis-je ?", en soi, ça n'a pas grand sens ! Ce qui est important, c'est ce que je veux devenir.

Marre de se définir par rapport au passé  !

Je veux bien savoir qui je suis mais ce qui m'importe vraiment, c'est mon désir: où aller et comment y aller !

Comment vais-je (au sens de se mouvoir), comment j'y vais ? Et où ? Ce sont les questions essentielles de notre vie, de nos désirs ?. 




Images de Casey WELDON, jeune artiste californien: peut-être pas un grand peintre mais qui sait, très bien, instiller le trouble de l'identité.

samedi 1 octobre 2016

Insatisfaction


Je dirai qu'en gros, il y a les satisfaits et les insatisfaits.

C'est la distinction entre ceux qui veulent tout et ceux qui veulent autre chose. Ce serait, aussi, la distinction entre les hommes et les femmes mais ça m'apparaît un peu primaire.

D'abord les satisfaits, les plus nombreux, contents, malgré tout, de leur petite situation: un emploi sûr, une baraque, des chiards, un mari ou une femme "potables", ressemblant, étrangement, à leur père ou à leur mère. Un peu de piment, tout de même, avec une relation adultère. Les contents, ils veulent tout garder, tout avoir (simultanément l'envers et l'endroit), avec le moins de vagues possible. C'est le modèle de la vie bourgeoise, avec sa dissociation et sa schize permanentes: on aime bien avoir une maîtresse, un amant, mais la maîtresse, l'amant, ne peuvent jamais devenir une épouse, un époux, sauf à perdre toute leur séduction. Les contents, ils aspirent au calme avec un environnement et des relations stables. Le risque de la transgression, de l'adultère infini, ça doit aussi s'insérer là-dedans, il faut que tout arrive à cohabiter. Les contents, ils ne veulent surtout pas avoir à choisir et ils essaient de tout faire coexister: la maman et la putain, le gigolo et le papa. On peut vivre, comme ça, longtemps peinards pourvu que rien ne bouge et qu'à peu près tout le monde s'accommode de cette situation.


A l'inverse des contents, je suis une éternelle insatisfaite. Je ne veux pas tout, je veux toujours autre chose que ce que j'ai. Et pour ça, je ne suis pas accommodante, je n'hésite pas à renverser les tables.


Simple exemple, m'habiller, c'est une épreuve terrible. Il faut d'abord que j'essaie une cinquantaine de robes mais quand j'en ai, enfin, choisi une et que je l'ai ramenée chez moi, je me dis que ça ne va pas du tout. Alors, je retourne, dès le lendemain, m'en acheter une autre mais celle-ci, finalement, ne va pas non plus. Et c'est comme ça que je me dis que n'ai rien à me mettre alors que mes armoires sont pleines. Dès que je possède quelque chose, je le rejette et je me mets même à désirer ce que j'ai rejeté.


Mais ça va évidemment au-delà: pourquoi j'habite à Paris ? Est-ce que je ne serais pas mieux à Berlin, à New-York voire à Lviv ? Pourquoi, je fais ce boulot ? Plutôt que de la finance, est-ce qu'artiste, intermittente du spectacle, ne me conviendrait pas mieux ?

Et tout est comme ça, notamment en matière amoureuse. Quand j'ai un amant, je ne suis jamais satisfaite, je pense, tout de suite, à en rechercher un autre: je ne vais, tout de même, pas perdre mon temps avec ce type là, ce n'est pas l'homme de ma vie, il faut que j'aille voir ailleurs. Je casse, je brise, je jette, je fais des ravages, c'est affreux ! J'ai conscience d'être odieuse, infecte, mais la conciliation, le compromis, l'harmonie des contraires, la paix, ça n'est vraiment pas mon truc. Je ne veux pas m'ancrer, me lier.


J'imagine que ce trait de caractère peut apparaître insupportable. Mais moi, je le considère comme une véritable bénédiction. Mon insatisfaction chronique, c'est ce qui me fait bouger, carburer: c'est la créativité, c'est l'ambition. Vouloir un autre appartement dans une autre ville, rechercher d'autres amis, amants, faire d'autres voyages, lire d'autres bouquins.... Sans cesse m'échapper, partir... Les insatisfaits, ce sont eux qui font l'Histoire.


Tableaux de Jean-Jacques HENNER (1829-1905).

Je recommande, tout particulièrement, la visite du musée qui lui est consacré à Paris. Il vient d'être rénové. C'est un lieu magique, tout près de chez moi, au 13, avenue de Villiers dans le 17 ème.