vendredi 23 décembre 2016

9 ans


Carmilla a 9 ans: c'est, pour moi, incroyable, presque ridicule ! Quand j'avais débuté, je m'étais fixé l'objectif de tenir un an tout au plus.

Et puis, il s'est trouvé que j'ai enchaîné, imperturbablement, à raison d'un post par semaine.

La première explication, c'est que ça ne m'a jamais pesé de rédiger mes posts, que je n'ai jamais eu de difficultés pour les écrire (toujours très vite) et que je ne me suis jamais demandé qu'est-ce que j'allais bien pouvoir raconter cette semaine. Alors que je suis très réservée en public, écrire ne me pose, en revanche, pas de problèmes.

Mon blog, il m' a, en fait, toujours amusée, divertie. Je crois qu'on rêve tous d'une autre vie !


Mais un blog, ça se construit, surtout, par rapport à des lecteurs. C'est devenu très difficile de conquérir un petit public, ça m'a pris un temps fou mais c'est une récompense. C'est, avant tout, une découverte, un échange avec d'autres personnes que je n'aurais jamais pu rencontrer.

C'est aussi une interrogation. Qu'est-ce qui vous conduit à me lire régulièrement, qu'y trouvez-vous ? Quelles affinités nous lient ?

C'est également, parfois, un étonnement. J'ai l'impression, à certaines remarques, que l'on me comprend mal ou plutôt qu'on me prend absolument au sérieux, au pied de la lettre. Pourtant, toute écriture, même modeste, est toujours création, reconstruction, de soi. En d'autres termes, Carmilla, bien sûr que c'est moi mais pas complètement non plus. Je force toujours un peu le trait et je provoque, j'aime bien renverser les tables. Rien de plus déprimant que la tiédeur et la banalité. Mais dans la vraie vie, j'espère bien ne pas être aussi arrogante que l'image que je brandis.

Ça ne veut pas dire non plus que je ne crois pas en ce que j'écris: la séduction, l'interdit, la culpabilité, la différence des sexes, les jeux de pouvoir, on a tendance à évacuer tout ça aujourd'hui pour promouvoir une vie sans aucune aspérité, parfaitement transparente et égalitaire. C'est aussi la vie tétanisée, vitrifiée, de citoyens écolo-responsables parfaitement domestiqués et c'est ce que je combats.

Quoiqu'il en soit, je vous aime tous, chers lecteurs, d'un bel amour vampirique et j'espère continuer à vous séduire l'an prochain.

Belles et bonnes fêtes à vous tous !


Photographies de Sylvia Bataille (1908-1993) prises, en 1934, par Denise Bellon. Après avoir été l'épouse de Georges Bataille, Sylvia allait devenir l'épouse de Jacques Lacan.

La dernière image est une affiche, que j'ai maladroitement retravaillée, du Viennois Teo MATEJKO.

dimanche 18 décembre 2016

Déceptions sentimentales


Ma copine Daria, elle me dit qu'une honnête femme, aujourd'hui, doit avoir connu au moins 100 hommes pour prétendre savoir un peu ce qu'est la vie. 


Dans l'absolu, je lui dis que je suis d'accord et, d'ailleurs, ça n'est pas si difficile que ça. Elle et moi, il suffit qu'on s'assoient à la terrasse d'un café ou sur le banc d'un parc pour avoir, tout de suite, du moins en France, 2 ou 3 prétendants.


Il est vrai que notre apparence n'est pas vraiment dans les "codes". Cette attention, ça nous plaît, bien sûr, mais ça nous fait peur également. C'est peut-être le charme slave: ça ne nous arrive pas à Moscou ou à Kiev.  Mais qu'est-ce que ça veut dire ici, à Paris? Peut-être que les hommes, en Europe de l'Ouest comme ailleurs, sont malheureux !

Et puis..qu'est-ce que ça nous apporte ? Est-ce que chaque relation nous permet, vraiment, de mieux connaître la vie ?  Est-ce qu'on ne perd pas souvent son temps ?


En fait, ça n'est pas toujours rigolo: le plus souvent, on est confrontées à de drôles de zèbres:

- des avares: du genre à faire 50 kms pour payer moins cher 1 litre d'essence ou un yaourt. Mon antidote: leur demander de m'accompagner à mon marché favori, celui des Ternes ou leur proposer un voyage pour Tokyo avec vol direct.



- des écolos: c'est à peu près la même chose que les avares, avec plein d'obsessions en plus. Mon antidote: je ne prends pas de douches mais plutôt les bains. Quant à ma voiture, elle consomme 15 litres aux 100kms. Et puis, j'aime bien éclairer à plein mon appartement ou avoir très chaud en hiver (ce sont des souvenirs d'enfance).


- des politicards:  des types pleins de rancœur et de de haine, qui pensent "à la hache", sûrs qu'ils détiennent la vérité! Mon antidote : les ringards, les ignares, c'est Mélenchon et Montebourg. Les révolutionnaires, c'est Macron et Fillon. Tant pis si vous me crachez  à la gueule parce que j'ai écrit ça.

- des puritains: des types qui n'aiment pas la façon dont je m'habille, me maquille, mes jupes, mes high heels. Mon antidote: je leur demande de m'offrir un ensemble Chantal Thomas ou Victoria's Secret, en rouge évidemment.


- des mythomanes: pleins de types auraient eu des carrières professionnelles extraordinaires,  malheureusement contrariées. Mon antidote: leur soumettre 2 ou 3 problèmes techniques.

- des artistes, des rêveurs, des intermittents du spectacles qui ne parlent que d'eux. Mon antidote: leur demander de me payer un simple café.



- des violents qui, au nom de la la libéralisation des mœurs, se croient tout autorisé.  Qui nous massacrent au point qu'on ne peut plus marcher pendant plusieurs jours. Mon antidote: leur proposer un même traitement, la prochaine fois, avec un godemichet. 

- des addictos. Je suis tolérante avec ceux qui fument, boivent et même se droguent. Ça répond aussi à une logique, une rationalité. Ce qui me gêne, c'est que leur vie toute entière s'organise autour de ça. Et puis là, je n'ai pas d'antidote.


C'est pour ça que je ne suis pas mariée et que je préfère, généralement, qu'on me foute la paix. 

Le grand malentendu,dans une relation, c'est que chacun voudrait être aimé absolument. C'est que chacun croit qu'il est, par lui-même, par sa seule présence, absolument désirable.

Je n'ai pas cette prétention et je ne veux pas, surtout pas, que l'on m'aime. Simplement que l'on me parle.


Tableaux de Hope GANGLOFF, jeune artiste new-yorkaise. Elle est assez connue aux Etats-Unis. Elle cherche à traduire "l'agonie de l'éros".

samedi 10 décembre 2016

La disparition de l'amour




On s'applique, aujourd'hui, à classer à peu près tout au patrimoine mondial de l'humanité, même la cuisine et l'art des jardins.

Il manque quand même, pour moi, une dimension essentielle: le sentiment amoureux. Faut-il le rappeler, le souligner? L'horizon premier de la culture européenne et occidentale, ça a été, longtemps, l'amour, la passion amoureuse ? Le désir amoureux comme moteur et destin de l'Occident ! La littérature ne parle que de ça et l'histoire politique elle-même (Napoléon, Louis XIV etc...) n'a longtemps reposé que là-dessus. L'amour, vérité de l'Occident !


On s'interroge beaucoup, aujourd'hui, sur l'identité européenne mais on est trop timorés pour avancer un trait remarquable. J'oserais, quand même, affirmer que l'amour, la culture amoureuse,  a été, pendant des siècles, l'enchantement de l'Europe et de l'Occident, son destin ! C'est bien différent des terres d'Islam, de la Chine, de l'Inde où les techniques sexuelles étaient, éventuellement, plus sophistiquées mais séparées de la relation sentimentale. Le génie du christianisme, ça a été de fusionner le sexe et le sentiment pour en faire l'amour.


Mais l'amour en Occident, ça n'a jamais été la vertu, la tempérance, le respect de l'ordre social. Ça a toujours été, au contraire, l'amour qui renversait les barrières, l'"Amok", la brûlante folie qui me saisissait, tout à coup, qui transformait ma vie à la suite, simplement, d'un regard échangé, d'une silhouette perçue au-milieu de la foule, d'un éclair fulgurant."Et toi que j'eusse aimée, et toi qui le savais" écrivait Baudelaire.


Cet instant extraordinaire où tout son passé, tout ce que l'on a fait, tout ce que l'on possède, ne compte plus pour rien en regard de celui/celle que l'on vient de découvrir. Cet instant où l'évidence de l'amour va transformer une vie. 



Tout ce qui nous constituait, autrefois, devient insignifiant, il n'y a plus qu'une vérité ultime: ce désir, cette passion qui me poussent vers l'autre, combattent l'isolement, déjouent toutes les frontières. Qu'importe tout le reste pourvu que je puisse continuer de trembler, de palpiter, pourvu qu'au moment de se donner, de se promettre, l'élu/l'élue conservent leur caractère magique. On bazarde tout, immédiatement et sans hésitation, pourvu qu'on puisse sortir de la grisaille quotidienne, pourvu que la rue, le quartier, sinistres dans lesquels je vis soient tout à coup transfigurés. L'amour, révolution ! L'amour, histoire !


Tout ça, ça a été, pendant quelques siècles, la merveilleuse folie de l'amour en Occident, sa vérité, son destin. Par amour, on a renversé les tables, fait l'histoire, transformé le monde.


Mais de cette vérité ultime, ne faut-il pas parler, aujourd'hui, au passé ? La passion amoureuse disparaît, progressivement, de la conscience occidentale. On ne s'en rend pas tellement compte parce qu'on est, dans le même temps, inondés d'images et de scénarios érotico-pornos.


Mais qui, aujourd'hui, est encore amoureux ? Qui est prêt à tout par amour ? Mourir d'amour, se tuer par amour, c'est devenu ridicule, risible. Plus de nuits blanches, plus d'angoisses, plus de tremblements, plus de courses-poursuites de l'amant/amante. Un ascenseur, un escalier, ça n'est plus que pour me rendre chez moi.


On est devenus des experts. Des techniques sexuelles, on n'ignore plus rien. Il n'y a plus que quelques filles hyper-coincées pour ne pas déclarer qu'elles adorent la sodomie, la fellation, le cunilingus, les sex-toys. On est prêtes à tout, à se faire défoncer de partout, on est modernes !


On n'est plus des "possédés". La passion s'est assagie, raisonnée. On est devenus de simples gestionnaires, des comptables, du désir. Le désir d'amour, le désir d'être hors de soi, ne nous habite plus. On se contente de se mettre en ménage, de partager un loyer et des factures. On a peur de l'inconnu, du bouleversement.



Et puis, on vit aux temps de l'égalité démocratique, du partage fifty-fifty et de la transparence. L'amour, aujourd'hui, ce serait l'entente, l'accord, l'harmonie, la sincérité. Un contrat en bonne et due forme entre individus responsables.

Ce serait la recette du bonheur: pas de bouleversement, pas de désordre. Sauf que l'amour, la passion, n'ont rien à faire de l'égalité, du contrat. L'amour, c'est la dissonance, la dissymétrie.


Il faut oser l'affirmer : il n'y a pas d'égalité sexuelle et il ne saurait y en avoir. L'homme et la femme ne sont pas dans une relation d'équilibre, donnant-donnant. Il y a toujours un mouvement de bascule, une inégalité, un rapport de domination. La domination, c'est l'étincelle, le coup de silex, qui provoquent la déflagration du désir, l'émergence de la passion. Je sais bien que ces propos peuvent faire hurler mais de toute manière, l'inégalité, la domination, quoi qu'en pensent les féministes, c'est toujours réversible, éminemment réversible.


Tableaux de Max ERNST (1891-1976). Un peintre majeur, pour moi.

Ce post m'a été inspiré, pour partie, par le livre récent de Hervé JUVIN: "Le gouvernement du désir".

dimanche 4 décembre 2016

De la manipulation


La manipulation, ça devient la grille d'analyse, simple et universelle, de la vie sociale et politique. 


Ce serait, d'abord, le moteur de la société de consommation et de l'infâme capitalisme. On jouerait sur nos désirs non formulés, on induirait des besoins inutiles. Surtout, on dissimulerait que ce qu'on vous vend est de la camelote ou est même carrément dangereux pour notre santé. Le pire, ce seraient les marchés financiers continuellement manipulés par quelques spéculateurs ("les gnomes de Zürich") œuvrant à l'asservissement, l'appauvrissement, des peuples.


Ça s'étend, bien sûr, à la sphère politique avec toutes les thèses complotistes. Ce sont généralement les Etats-Unis et la finance mondiale (sous entendu "les Juifs") qui, dans leur volonté de puissance inassouvissable, tireraient les ficelles d'à peu près tout. Plus c'est gros, mieux ça passe: les Twin Towers, la conquête de la lune, l'Ukraine et même Daech, tout ça, c'est du bidon, du "fake", c'est les Etats-Unis qui sont derrière. Les peuples, les "justes", seraient, évidemment, sans défense face à ces offensives dictatoriales.


Enfin, ce sont les relations personnelles, interindividuelles. Dès qu'une relation amoureuse ou professionnelle se passe mal, on a vite fait de qualifier l'autre de pervers narcissique. Psychiatriser (normaliser) la vie, on aime bien ça. Ça permet d'objectiver l'autre, ce qui est, bizarrement, aussi, une attitude perverse. Ça permet aussi, bien sûr, de se libérer de toute culpabilité, responsabilité.


La théorie de la manipulation, c'est, finalement, formidable. Ça permet de briller en société, de sembler intelligent, d'avoir l'impression d'expliquer, avec une clé très simple, des choses très complexes. La manipulation, c'est la psychologie pour les nuls.


Surtout, ça permet d'être reconnu socialement car pour être reconnu, aujourd'hui, il faut être une victime !


Mais la manipulation, je ne vais quand même pas la nier ! C'est, effectivement, l'un des jeux importants de la vie. Simplement, la manipulation, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'on en est, quelquefois, non seulement les complices mais souvent, aussi, les acteurs.

Il y a, en effet, un "bénéfice" de la souffrance qui vous exonère de toute responsabilité et puis, il y a aussi, sur un autre versant, un intérêt objectif à manipuler les autres: simplement pour pacifier les relations, pour éviter la guerre!


Moi, je le sais bien, je suis une terrible manipulatrice ! Moins naturelle, plus construite que moi, il n'y a pas ! Toujours polie, élégante, kantienne, c'est mon idéal. Mais je suis, peut-être, d'autant plus redoutable. Je ne jette jamais un amant en lui disant qu'il est nul ! Quant à mon blog, je vous manipule évidemment, chers lecteurs ! Du moins, j'en ai conscience mais suis-je, pour autant, une incarnation du Mal ?


Tableaux de Valerio ADAMI, né à Bologne en 1935. Très fort !

dimanche 27 novembre 2016

Brown-out



Le burn-out, tout le monde connaît. Ça a trait à la forme de domination traditionnelle en entreprise. "Ecraser" ses "collaborateurs", jusqu'à l'abrutissement, sous une masse de travail impossible. C'est "Stupeur et tremblements" d'Amélie Nothomb. C'est le Japon (mais pas seulement) où on se "shoote" au travail et à la défonce. C'est comme ça qu'on obtient la docilité de ses "cadres" et c'est, aussi, très pratiqué en France (il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur la durée de travail selon les catégories socio-professionnelles). C'est bien sûr affreux mais il y a, du moins, une part de défi symbolique dans lequel certains peuvent trouver une assomption.


Il y a, aussi, le bore-out qui est une conséquence inverse. On n'a rien à faire mais c'est l'ennui du temps vide que l'on ne sait à quoi occuper. C'est l'Administration (avec un grand A) ou la placardisation. C'est beaucoup moins dramatique (on rêve tous un peu, quelquefois, d'être placardés) mais c'est, probablement, pareillement déprimant. Corinne Maier ("Bonjour Paresse")  et Zoë Shepard ("Absolument débordée") ont écrit, là-dessus, des bouquins désopilants.


Mais il y a maintenant le "brown-out"."Brown-out", c'est la nouvelle pathologie à la mode mais elle est très significative et c'est celle que je comprends le mieux. Le "brown-out", c'est bien plus insidieux, beaucoup moins frontal. Le brown-out, c'est lié à l'évolution du management des entreprises. C'est le management évaluateur, le management à l'américaine: tout doit, désormais,être procéduré, traçabilisé. C'est l'ère de la certification: qualité, comptabilité. On doit être raccords avec tout. 


On passe, comme ça, la moitié de son temps à rédiger des procédures, à tout normaliser, à se fixer des objectifs idiots. Si vous croyez que l'entreprise, c'est la créativité, oubliez ça. L'évaluation, les objectifs, c'est bien mais c'est aussi très facile de ronronner avec ça. Ça n'est, finalement, pas très différent de la planification socialiste.


Mais c'est, aussi, affreusement anxiogène. On peut se sentir, tout à coup, déconnectés. A quoi ça rime toutes ces bêtises ?  Qu'est-ce que ça veut dire toutes ces réunions infinies, tard le soir, à occuper vainement son temps, à dormir sur a table, à essayer de légitimer son salaire ? 

Le "brown-out", c'est le sentiment brutal de l'absurdité de la vie professionnelle.

Plus rien n'a de sens, tout apparaît ridicule, absurde. Finalement, on ne travaille que pour expier une culpabilité !


On a l'impression, tout à coup, que quelque chose chose s'échappe de nous ! Et ce quelque chose, c'est la vie elle-même ! 

Le brown-out, c'est l'horreur soudaine éprouvée: On fuit !On se vide ! Au secours !

On n'est plus que des bêtes de somme ! Plus rien, plus aucun affect !

Le "brown-out", c'est l'horreur de la vie idiote, normalisée, formatée.


Tableaux d'Henry CUECO ( né en 1929). J'adore !

dimanche 20 novembre 2016

Le néant de l'amour


On croit que si on se met à aimer, tout d'un coup, quelqu'un c'est parce qu'il a des qualités objectives.


Mais non! D'abord, l'amour, le désir en nous, préexistent à leur objet.


Et puis, on ne tombe jamais amoureux que d'un homme, d'une femme, qui nous semblent inatteignables.

Les trop proches, ceux qui nous ressemblent, ils ne nous émeuvent pas ! Quelqu'un qu'on décrypte facilement, quelqu'un qui nous semble du même monde, on peut passer un temps agréable avec lui mais certainement pas en tomber amoureux. La plupart des mariages reposent, toutefois, là-dessus.


L'amour n'est, aucunement, une relation égalitaire. C'est la dissymétrie, la relation de pouvoir (réelle ou supposée), qui le fondent. L'amour, c'est malgré tout, la transgression ! L'idée de l'amour comme harmonie, concordance, quelle bêtise !


L'amour n'est jamais réciproque. Il condamne l'amoureux à la souffrance, au chagrin. L'amour, c'est l'angoisse absolue.

 

On ne tombe amoureux que de gens qui nous semblent inatteignables mais dès qu'on a commencé à se fixer sur l'un d'eux, on se met à élaborer une infinité de scénarios le concernant: on entame des dialogues imaginaires avec lui, on s'efforce de pénétrer son monde, d'intégrer ses codes. 

C'est ce qui fait la beauté de l'amour, c'est ce qui permet de transfigurer le monde: de percevoir la rue triste et grise dans la quelle je vis (me traîne), comme l'équivalent de la "Nevsky Prospekt"; ou alors mon déplacement dans un train de banlieue comme un voyage enchanteur, ou un objet kitsch comme une pierre magique !.


Mais ce ne sont, bien sûr, que des affabulations, c'est une illusion. Tous ces "délires", comme on dit aujourd'hui, ça n'a pas grand rapport avec son objet. C'est un remplissage visant à combler une angoisse et, aussi, une humiliation. Quand on a compris ça, on a compris le néant, l'inanité, de l'amour. On cesse alors de souffrir.

Tableaux de Janis ROZENTALS (1866-1916) le plus célèbre peintre letton



samedi 12 novembre 2016

Mes ailes allemandes


Retour d'un séjour allemand où j'ai pu faire un peu de tourisme :

- à Bamberg (la ville de Hoffmann et aussi, un peu, de Hegel),
- à Heidelberg et Speyer.


L'Allemagne, je connais bien et même mieux que la France, d'un seul point de vue touristique. Ça fonctionne, pour moi, un peu sur le mode de l'attraction-répulsion.



Attraction: 

La culture (Kultur), d'abord, bien sûr. Pas besoin de développer : sa gravité, son abstraction. 

Je suis plus réceptive à la littérature allemande qu'à l'anglo-saxonne, tellement prisée en France. Ce qui m'impressionne, c'est que tous les Allemands, même les plus modestes, ont une connaissance, même limitée, de leurs grands philosophes. Tout le monde peut dire quelques mots de Kant, Hegel, Nietzsche, Heidegger. Je ne crois pas que ce soit le cas en France.


Il y a, aussi, une architecture (des villes organisées autour d'une grande place centrale avec des maisons de brique rouge) et des paysages (largement ceux de l'Europe Centrale) qui m'inspirent et me font rêver. Le "romantisme" allemand, c'est bien sûr un cliché mais ça recouvre quand même aussi une ambiance, une esthétique, très concrètes. A Bamberg, j'ai eu l'impression de mieux "ressentir" Hoffmann.


La cuisine également. Passé le Rhin et jusqu'à Vladivostok, on mange à peu près la même chose. Je trouve curieux qu'on n'ait jamais relevé ça. Les cuisines allemande, russe, polonaise, ukrainienne, tchèque, ce sont, surtout, des variations autour de quelques ingrédients de base: des patates (cuites à l'eau), du chou, des saucisses, de la viande archi-cuite, des soupes. On y ajoute le bigos et les pierogis  polonais, les pelmenis russes et les varenikis ukrainiens, plus quelques gâteaux (notamment au pavot) et on a fait le tour de la cuisine d'Europe Centrale.On imagine, en France, que ce sont des cuisines raffinées mais pas du tout : c'est fruste, basique, vraiment pas classe, mais c'est, du moins, roboratif. Comme ça, en Allemagne, on peut se nourrir, pour rien, d'une platée de cochonnailles. Je ne dirais pas que j'adore ça mais ça ravive plein de souvenirs en moi et ça n'est vraiment pas ruineux.


Mais ce qui me plaît, c'est qu'en Allemagne, comme dans toute l'Europe Centrale, je peux aller manger n'importe quoi, à n'importe quelle heure: une patate, une soupe, ou, simplement, bouquiner, rêvasser. Goûter l'ambiance débridée d'une taverne devant une bière, échanger avec mes voisins. Rien à voir avec le restaurant français, où chacun joue au petit marquis. En Allemagne, c'est le fameux "zusammen sein" ("être ensemble"). Bien sûr, ce n'est pas raffiné mais c'est égalitaire, accessible à tous, hommes et femmes. Tout le monde peut aller délirer, un soir, dans une brasserie, se sentir un roi, une reine, durant quelques heures, pour quelques euros. J'adore ! ..., même si ça a, aussi, permis Hitler.


Ou alors, je peux essayer de calmer mes nerfs en allant me taper une "pointe" sur autoroute : à fond la caisse, au volant de ma BM. Les courses-poursuites, c'est exaltant,  un grand plaisir. On y joue vraiment quelque chose (sa vie, notamment)  et ça réclame une grande concentration. J'essaie de me confronter aux Porsche mais je n'y arrive pas. Consolation : j'ai, quand même, beaucoup de succès avec mes plaques françaises et mon modèle BM très rare. Je deviens une star ! Les belles bagnoles, la vitesse, c'est proscrit en France, surtout pour une femme. C'est débile, bien sûr, mais ça relève, aussi, de sentiments troubles ayant trait au rapport à la mort.


L'un de mes hôtels en Allemagne. Ça convient bien à une vampire, n'est-ce pas ?








Il ne faut pas oublier, non plus, pour les hommes, les nombreuses petites maisons de prostitution, confortables et sympathiques. Les bordels, ça remplit, aussi, une fonction sociale importante. Ils participent à la lutte contre les exclusions. C'est en partie, grâce à eux, que les immigrés se sentent mieux intégrés en Allemagne.


Répulsion :

Les Allemands, du moins la population dans son ensemble (même si je sais que c'est une abstraction), n'ont vraiment pas une vision esthétique de la vie. Je catégorise bien sûr et c'est détestable mais, mais ...Les Allemands ont une vision hygiéniste de la vie que je déteste : le pratique, le simple, le solide, le confortable, c'est ça qui est valorisé. Baiser, c'est aussi pour l'hygiène ! 


Rien de superflu, rien d'excessif. Ça explique aussi qu'on soit effroyablement avares. Et gare à vous si vous ne vous conformez pas aux règles universelles de l'ordre et de la propreté. On est volontiers intrusifs et on vous rappelle tout de suite à l'ordre. On adore faire des remontrances, embêter les autres.


Les relations entre les sexes sont aussi complètement différentes. Ça me gêne beaucoup moi qui, même  pour sortir une poubelle, suis toujours habillée, maquillée. Mais, être une femme en Allemagne, ça n'a, vraiment, rien à voir avec la France ou les pays slaves. Il suffit de confronter Ségolène Royal et Angela Markel pour comprendre ça. La culture de la séduction est absente en Allemagne et, d'ailleurs, personne ne vous drague. De plus, tout le monde, hommes et femmes, est très mal habillé. 



Le spectacle de la rue en Allemagne est, comme ça, consternant : on a l'impression de ne rencontrer que des gens laids. Les filles ou les mecs sur qui poser son regard, ça n'existe quasiment pas: plein de monstres ! Une belle fille, un beau mec, c'est absolument exceptionnel.


Un chauffeur de taxi, à Prague, me disait, récemment, qu'il venait de quitter l'Allemagne parce que, pour y survivre, il fallait être homosexuel, indifférent aux sexes. C'est, peut-être, odieux de dire ça mais c'est, également, porteur de vérité. La dictature de la beauté, on ne connaît effectivement pas en Allemagne. Bizarre dans un pays qui a longtemps vécu, et qui continue de vivre, dans la conscience de sa supériorité. L'apparence n'est vraiment pas une préoccupation première. Seule compensation: être une fille moche, en Allemagne, est, paraît-il, moins problématique, moins douloureux, qu'ailleurs.


Dernier point: l'histoire. J'ai l'impression, quoi qu'on en dise, que l'on a tout effacé, occulté. Difficile, voire impossible, d'en parler et, surtout, plus personne ne veut, aujourd'hui, se reconnaître coupable. Il y a pourtant bien, me semble-t-il, une culpabilité collective, pas seulement allemande d'ailleurs, qui perdure.


Photographies de Carmilla Le Golem à Heidelberg, Bamberg et Speyer.

A défaut de vous rendre à Bamberg, je vous invite à lire, relire, HOFFMANN, notamment "Les élixirs du diable", "Le chat Murr". Hoffmann, c'est l'un des écrivains dans lesquels je me retrouve absolument.

Je recommande, également,: "Un roman d'Allemagne" de Régine ROBIN (qui vient de sortir) et Brigitte Sauzay: "Retour à Berlin".

Enfin, si vous recherchez un film, voilà mes conseils: "L'histoire de l'amour" de Radu Mihaileanu, d'après le roman de Nicole Krauss, et, aussi,  "Le client" d'Asghar Farhadi.