dimanche 17 mai 2015

Le mal de vivre


On se soûle, on fume, on se roule des joints, on dort mal, on a des angoisses, des cauchemars, on est crevés, fatigués, on se tape toujours les mêmes mecs (ou alors on vit sous leur emprise), on n'arrive pas à quitter sa famille (au prix de relations incestuelles). Bref, on n'arrête pas de toujours répéter les mêmes trucs.

Quant à l'amour, l'accès à l'autre, on ne sait évidemment pas ce que c'est.


C'est le mal de vivre contemporain. Moi-même, je suis, aussi, un peu comme ça (sauf le tabac et la famille). Je vis dans une oscillation continuelle, de l'enthousiasme à la déprime, du vide à la plénitude, de la révolte à la soumission.

On nous dit qu'il faudrait être bien dans sa peau, être soi. On peut se soigner et d'ailleurs tout pourrait se guérir; même l'angoisse, ça pourrait s'évacuer. On préconise des solutions simples: il faudrait arrêter de boire, de fumer, de se droguer; pour dormir, il y a des tranquillisants; pour le sexe, à défaut de l'amour, il y a la pornographie et les sites de rencontre.


Mais la simple répression, l'interdit ou les injonctions, ça ne sert finalement pas à grand chose. Quand on a perdu ses dépendances, ses addictions, on perd aussi ce qui faisait la cohérence de votre vie et on se retrouve, brutalement, dans une insupportable situation de manque.

Les addictions, il vaut peut-être mieux les garder tant qu'on ne sait pas à quoi les relier.


En fait, la répétition, on n'en sort pas et, surtout, on ne veut pas en sortir; pis, on s'y complaît parce qu'on est névrosés et donc très conservateurs. On organise sa petite vie autour de ses petites souffrances, ses petites dépendances, ses petites addictions. C'est ce qui nous structure, constitue l'affaire de notre vie. Parce qu'en réalité, on aime bien notre souffrance et on est incapables d'envisager autre chose: on aime bien être malheureux dans son boulot et s'y épuiser; on aime bien être dans une relation de dépendance avec quelqu'un qui décide à votre place; on aime bien s'ennuyer à mort dans les réunions familiales; on aime bien se déclarer crevés, épuisés. On aime bien faire tout le temps les mêmes choses, même si ça nous entretient dans notre mal être, notre affliction. On aime bien être des nuls, des victimes.


On aime le malheur, la servitude, l'angoisse !

On est généralement enfermés dans un scénario qui nous complaît, on est incapables d'envisager une autre vie que la sienne qui offre sécurité et conformisme.

Etre soi, c'est d'ailleurs souvent ça: on cherche surtout à se soumettre aux injonctions sociales, aux idéaux de conformité et de socialité: un bon boulot avec une famille équilibrée.

Etre soi! c'est, en fait, la terreur, la dépendance absolue !


Il faut plutôt échapper à soi, à cette identité formatée, banalisée.

Pour cela, c'est sans doute à sa part d'ombre qu'il faut s'ouvrir! cette part d'ombre que l'on refoule, soi-même, avec la plus grande énergie parce qu'elle n'est pas conforme. Et portant, nous entretenons tous de petites déviances par rapport à l'ordre imposé mais nous nous refusons souvent à les exploiter, les faire fructifier parce qu'on ne veut pas voir d'autre destin possible.

S'ouvrir au risque, à l'inhabituel, à l'inconnu, sortir de la cage de notre identité, c'est peut-être ce qui peut nous sauver, nous délivrer de nos angoisses et même nous faire découvrir l'amour.

Faire ce à quoi on n'est pas habitués:

"Au risque des nuits blanches
Au risque d'écrire à un(e) presque inconnu(e) une lettre d'amour à partir d'un presque rien qui vous aura traversé dans une fulgurance inconnue de vous jusqu'alors
Au risque de partir en voiture pour aller dîner en ville et finir à Rome, le lendemain, après avoir roulé toute la nuit, parce qu'on a changé d'avis.
Au risque de marcher seul dans une ville et attendre que survienne, à cet instant, le sens de toute une vie; savoir que le lendemain tout disparaîtra."


Images de Edward Hopper, Lars Von Trier (Melancholia), des peintres polonais Mariusz Zawadzki et Daniel Pielucha, du peintre espagnol Dino Valls et enfin d'Edvard Munch.

Le texte final est extrait du livre d'Anne Dufourmantelle: "Eloge du risque".

2 commentaires:

Anonyme a dit…

« Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être adapté à une société malade »
Jiddu Krishnamurti

Et les paroles de Damien Saez!
https://www.youtube.com/watch?v=KMF9FIIRZlc

Thierry

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Thierry pour ce commentaire très pertinent.

Carmilla