dimanche 31 mai 2015

Du monstre


Cela semble entendu: on assisterait, aujourd'hui, à une libéralisation générale des mœurs, on serait, continuellement, plus tolérants, plus libérés, plus ouverts, à l'égard des "autres sexualités". On se réjouissait comme ça, longuement, la semaine dernière, du vote irlandais en faveur du mariage gay, au point même d'oublier, avec une étrange légèreté, des sujets autrement plus importants (pas un mot, par exemple, sur les élections présidentielles en Pologne).L'actualité est souvent ubuesque...mais tout ça n'a guère d'importance...


Et puis, c'est sûr, c'est quand même très bien: on peut, effectivement, avoir le sentiment d'un progrès.

Ce qui m'a simplement gênée, c'est qu'on a rarement noté qu'en même temps qu'on sabrait le champagne pour l'Irlande, on vociférait et hurlait, presque à la mort, à l'encontre de présumés pédophiles: des éducateurs et des enseignants en France, des personnalités reconnues en Angleterre (plusieurs centaines, voire des milliers). 


Des pédophiles, on a vraiment l'impression qu'ils seraient sans cesse plus nombreux et qu'ils représenteraient une grave menace pour la société.On somme donc l'Etat de prendre, d'urgence, toutes les mesures les plus répressives pour éradiquer ce fléau. De "braves gens" organisent, "spontanément", des "marches blanches" pour dénoncer l'inaction des autorités à l'encontre de ces monstres pour les quels, d'ailleurs, aucune peine n'apparaît assez sévère. La mort, elle-même, serait trop douce !


Toutes ces manifestations, ces éructations, ça me glace, me pétrifie. D'ailleurs, je n'aimerais pas du tout fréquenter les "braves gens" des marches blanches. J'ai peut-être même davantage peur d'eux que des pédophiles. Sur ce point, je suis tout à fait freudienne: on s'affiche d'autant plus vertueux qu'on est hantés par ses impulsions criminelles. Ceux qui manifestaient contre Marc Dutroux éprouvaient, peut-être, d'étranges affinités avec lui.

"Le crime est le fait de l'espèce humaine" disait Georges Bataille et, d'ailleurs, les animaux ignorent le crime...

Le pédophile est devenu le monstre, le bouc émissaire de nos sociétés. Mais c'est vrai aussi qu'on confond aujourd'hui les pédophiles avec les criminels et surtout avec Marc Dutroux. En fait, il semble qu'on se trompe complètement là-dessus. Marc Dutroux était probablement un criminel à la Gilles de Rais mais certainement pas un pédophile. Il faisait d'abord commerce d'enfants!


Mais chercher à discuter de ça est, aujourd'hui, à peu près stérile..., 

Je n'en sais moi-même rien, c'est vrai... mais ce dont je suis sûre c'est que j'ai en horreur l'hystérie anti-pédophile actuelle et que je considérerai toujours Marc Dutroux et tous les pédophiles comme mes frères en humanité; je me sentirai peut-être même plus proche d'eux que des gens "normaux". C'est en cela, mon amour absolu du prochain, que je me sens profondément chrétienne même si je ne fréquente, bien sûr, jamais les églises.


Le pédophile n'est pas un monstre, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que ses actes ne soient pas répréhensibles. Le pédophile nos conduit en fait à nous interroger sur notre société même, hyper-maternante, hyper-sécurisante, qui fait de l'enfant une idole. Il en dénonce en effet le mensonge.


A trop sacraliser l'enfant, à veiller constamment à ce que surtout il ne manque de rien, à aller sans cesse au devant de chacune de ses demandes, on étouffe en lui toute capacité de désir. C'est la société des mères, protectrice et castratrice, dans la quelle nous vivons de plus en plus.



Le pédophile se révolterait contre ce pouvoir des mères. Il entre en conflit avec les formes consacrées de la famille et de la société. Il voudrait restaurer la fonction paternelle. Il se veut même éducateur. Lui seul serait à même d'enseigner le véritable amour, ce dont sont incapables les véritables parents, coincés dans leur rôle d'éternels censeurs. L'enfant baignerait, en effet, dans une espèce sexualité naturelle bienheureuse dont le priveraient ses parents et que le pédophile serait seul à même de révéler.


On peut donc se demander si "l'infantolâtrie" de l'époque ne va pas nous conduire à une espèce de pédophilie généralisée. C'est ce qui expliquerait notre effroi et notre panique vis à vis des pédophiles. Ils seraient la vérité de notre culte de l'enfance.


Photographies de Lewis CARROLL (1832-1898) et images (illustrant Alice) de John TENNIEL (1820-1914). Lewis Carroll était sans doute un pédophile mais les aventures d'Alice font bien partie, me semble-t-il des grands textes de la littérature mondiale. Beaucoup moins connu qu'Alice, je recommande aussi le livre "Sylvie et Bruno" du même Lewis Carroll.


Les analyses de ce post m'ont été inspirées par le texte d'une conférence prononcée à Lausanne (1998) du psychanalyste Serge André: "La signification de la pédophilie".

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