dimanche 1 mars 2015

L'amour de l'Art


Les musées, disons que j'ai un rapport ambigu avec eux. Je les fréquente, bien sûr, mais pas plus que ça. Surtout, je ne veux pas me sentir dans l'obligation de m'infliger la visite de tous les grands temples de l'Art et la fréquentation impérieuse de toutes les grandes expositions.

C'est comme pour la lecture, je suis très sélective. Je vais d'abord voir ce pour quoi je me sens des affinités et tant pis si j'ai des trous culturels énormes. Et je visite aussi les musées comme je lis: d'abord très vite, en synthèse (je vous conseille comme ça de visiter le Louvre en 2 ou 3 heures, vous verrez, c'est très instructif) et puis je reviens après sur ce qui m'a accroché. La visite pas à pas, tableau par tableau, comme la lecture ligne à ligne, ce n'est pas mon truc.


Le peintre René Magritte se vantait, paraît-il, de ne quasiment jamais mettre les pieds dans les musées. Ça m'a souvent interrogée.

Ce qui me rebute en fait, c'est que la culture muséale est en passe de devenir la culture dominante, universelle. Il y a maintenant toute une économie du musée, on investit massivement là-dedans, on en exporte partout pas seulement à Lens ou à Metz mais aussi à Abou Dabi.

C'est peut-être bien, c'est sûr que c'est mieux de dépenser de l'argent pour des musées plutôt que pour des armes de guerre. Mais tout de même, je suis sceptique quand je vois ces foules de touristes qui font d'interminables queues pour visiter le Louvre ou le Palais des Offices. Je ne suis pas sûre que l'amour de l'Art soit la première motivation.

Et puis, je ne peux pas m'empêcher de mettre en regard ces flots d'argent qui viennent aujourd'hui investir l'économie de l'Art et du musée avec la dégradation des universités et avec le recul généralisé de la lecture ou de la fréquentation des salles de cinéma


L'économie de l'Art, j'ai l'impression que ça n'a que très secondairement des objectifs culturels. Ça relève d'un projet plus vaste, visant à pacifier et anesthésier les masses. L'Art aujourd'hui, son exhibition dans les galeries et musées, c'est quand même bien, de prime abord, un exercice de la domination.

Soyons objectifs en effet: qu'apprend-t-on réellement en visitant un musée? A peu près rien sur une culture ou une civilisation. On n'est guère avancés après avoir contemplé la peinture du Quattrocento, la statuaire grecque ou romaine ou les antiquités égyptiennes. Ils ne font plus sens, ce ne sont plus que de belles formes tout simplement parce que tous les liens de ces quelques objets sélectionnés avec leur contexte religieux, politique, esthétique ont de toute manière été rompus. Leurs vertus magiques ou sacrées ont été irrémédiablement effacées. Ce n'est pas en visitant une exposition Hokusaï que vous commencerez à comprendre le Japon.


En fait, en visitant un musée on apprend d'abord la passivité et la docilité et c'est sûr que vous n'allez pas faire la Révolution après avoir visité un musée. Des connaisseurs, des "spécialistes", dictent ce qu'il est convenu d'admirer. Et ça marche à plein, sans rencontrer aucune résistance. De peur de passer pour incultes, on se fait tout de suite les relais de ces injonctions et on s'adonne, bien volontiers, à la contemplation béate et unanime des chefs d'oeuvres incontestés de l'humanité. Pas d'autre attitude possible que l'extase. 

Et puis, l'Art muséifié, c'est l'approbation d'un monde entièrement désacralisé, vidé de toute signification (ce n'est pas un hasard si la naissance du musée date de la Révolution française). On nous livre de belles images à admirer, toutes mises sur le même plan, dans une apparente équivalence. On nous parle sans cesse de la Beauté  mais le Beau, ça ne veut plus dire grand chose aujourd'hui: c'est devenu complètement épuré, ça ne renvoie plus qu'à soi-même, l'abstraction de couleurs ou de formes, un pur jeu formel. C'est comme ça que tout devient désincarné et que, dans ce nouveau cadre, les artistes semblent jouir d'une liberté infinie. Malheureusement, plus rien n'a de percussion aujourd'hui, le scandale, et encore plus la transgression, sont devenus impossibles.Qu'importent les provocations de Jeff Koons, Damien Hirst, Jan Fabre, Serrano, elles basculent elles-mêmes dans l'insignifiance, le futile. Tout est devenu indifférent, tout se vaut, il n'y a plus de Révolution à attendre. Le système est appelé à tourner longtemps comme ça. 


En fait, les œuvres d'Art ne sont plus que des objets d'échanges marchands. La valeur d'une oeuvre, c'est son prix, sa valeur d'échange; c'est, par exemple, presque exclusivement pour ça qu'on admire Jeff Koons. On construit comme ça de gigantesques chaînes de Ponzi qui s'écroulent de temps en temps. C'est la réalisation de la prophétie de Marx, dans "Le manifeste", annonçant, avec le triomphe du monde bourgeois, une mercantilisation généralisée de la vie, un monde où le sentiment, la passion, l'extase, ne sont plus régis que par le calcul égoïste.


Images de Néfertiti, Ingres et des fresques de Pompéi.

Sur le musée, je renvoie au livre de Jean Clair: "L'hiver de la culture".

Mes propos pourront apparaître réactionnaires ou gauchistes (c'est pareil) et ce post est peut-être déplacé dans un contexte où des barbares viennent de détruire le musée de Mossoul. Mais ce n'est  qu'un volet de ma pensée. C'est compliqué! L'Art, sa manifestation muséale, c'est, je crois, l'expression, dans le monde occidental, d'une domination mais je sais aussi que l'Art, ça ouvre encore à des moments d'émotion et d'illumination. Et puis, la préservation du patrimoine culturel, c'est quand même important. 

Enfin, je vous recommande au cinéma: "Hungry hearts" de Saverio Constanzo. Ca évoque irrésistiblement "Rosemary's Baby" de Polanski.

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