dimanche 22 mars 2015

De la fin de vie


Les stratégies politiciennes m'étonnent toujours un peu.

D'un côté, en matière économique, on est paralysés, tétanisés. Réformer serait impossible; même les mesures les plus simples, les plus rationnelles, mais qui bousculeraient un peu l'ordre des choses, ne pourraient être comprises. On ne peut vraiment pas revenir là-dessus, sauf à risquer une révolte incontrôlable.

De l'autre, dans le domaine social, symbolique, pour tout ce qui touche à l'évolution des mœurs, là, on a, en revanche, toutes les audaces, on est résolument modernes et on ne craint pas de violenter l'opinion. Les réformes emblématiques, c'est évidemment le mariage homosexuel ou la PMA, mais c'est aussi la possibilité de choisir son nom (le père ou la mère) et, peut-être bientôt, son genre.

Tout ça, nous dit-on, ça ne poserait aucun problème. Ce ne seraient que des réformes de bon sens, dans un "monde normal". Ceux qui s'y opposeraient, ou seraient simplement réticents, ne seraient que des passéistes, ultra réactionnaires.



Moi, je ne suis pas contre les réformes "sociétales", comme on dit ! C'est l'histoire, la démocratie ! Mais je ne peux pas supporter qu'on dise que c'est anodin, "naturel", que ça va de soi. Rien n'est jamais simple: la liberté que l'on croit conquérir n'est souvent que le masque d'une nouvelle répression. Ce qui dérange, trouble, déstabilise, on l'évacue. C'est comme ça qu'au nom d'un principe d'égalité, indifférenciation, généralisées, on est en train d'évacuer, aujourd'hui, la différence des sexes et celle des générations. Personne ne semble percevoir que l'on fait, peut-être, ici, le choix d'une vie neutre, neutralisée, sans passion, parcourue, simplement, de désirs aplatis, affadis.

Maintenant, on aimerait bien s'attaquer au plus difficile: la mort, la maladie, la souffrance. Ça fait vraiment tâche dans nos sociétés écolos-propres et bien récurées. C'est pour ça que militent, aujourd'hui, plein de belles âmes qui proclament le droit de mourir dans la dignité.

L'association de la mort et de la dignité, d'abord, elle me révulse. Tu parles! Croyez- vous que la mort soit jamais digne ? Si vous avez des doutes à ce sujet, je vous renvoie au bouquin de Simone de Beauvoir (c'est à peu près le seul livre que j'aie lu d'elle), "la cérémonie des adieux", relatant la mort de Sartre. Et puis qu'est-ce que c'est que cette exigence ? On ne peut donc jamais en finir avec les contraintes sociales. Jusqu'au bout, il faudrait savoir tenir son rang ? Tout ça pour faire plaisir à son entourage, alléger son affliction et surtout sa culpabilité. Il faut peut-être aussi, a contrario, revendiquer son droit à la faiblesse, à la déchéance.

Et puis, je m'interroge sur l'étrange psychologie de ces militants passionnés, leur compassion supposée. Me reviennent toujours en mémoire les propos de Freud qui ne croyait nullement au désintéressement ou à l'altruisme: la passion des "bienfaiteurs" ou de tous ces gens qui exercent des professions socialement valorisées (enseignant, juge, médecin...) est au service, en réalité, d'une haine féroce de l'humanité.


On concocte, en ce moment, un projet de Loi sur la fin de vie. J'avoue que je comprends très mal pourquoi il faut, à tout prix, une loi aujourd'hui, comme si on pratiquait systématiquement l'acharnement thérapeutique dans les hôpitaux. On nous présente ça sous des dehors aimables. Il s'agirait, simplement, d'abréger la souffrance des malades; il s'agirait comme le dit, si joliment et de manière terrifiante, François Hollande, de fournir un "accompagnement vers la mort" pour permettre de "mourir dans la dignité pour vivre pleinement sa vie".

Ce projet, ça risque fort de se révéler un projet démiurgique. Le non-dit, c'est ça : foutez-nous la paix, les mourants! Débarrassez-nous de votre abjection, de votre pourriture, vous polluez la vie !

Je souscris entièrement aux récents propos de Claude Lanzmann : "Ne donnez pas à des hommes le pouvoir de donner la mort !". L'Etat, les sociétés humaines, se sont justement constitués en proscrivant le crime entre individus d'une même communauté. Une seule exception: le bourreau! Mais c'est peut-être lui, sa fonction, que l'on veut aujourd'hui ressusciter.


Eviter la souffrance, c'est l'argument de tous les tueurs.

On sait bien, en fait, que le malade n'est qu'exceptionnellement maître de son choix.

Il s'agit donc, très concrètement, de donner à l'Etat un cadre légal lui permettant de décider quelles vies méritent d'être encore vécues. C'est ça qui est justement terrifiant parce que l'Etat pourra, à partir de là, nous inciter à partir avant l'heure.

"Ce n'est pas parce que le patient est de toute façon condamné -comme tous les vivants et bien portants que nous sommes - qu'il est permis de s'arroger le droit monstrueux d'accélérer le processus."

"Qu'on le veuille ou non, il y a quelque chose d'exorbitant dans toute légalisation du 'donner la mort', guillotine comprise".


Images d'Alfred KUBIN (1877-1959) et de Gustave DORE (1832-1883).

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