dimanche 14 décembre 2014

Evaporés


Les gens qui disparaissent brutalement, je crois que ça nous fascine tous. On a tous entendu parler de l'histoire d'un homme ou d'une femme partis faire une course et jamais revenus à leur domicile. On se pose la question: sont-ils déments, lâches, courageux ? Quel foudroiement a pu les conduire à passer à l'acte ?

Et puis disparaître, c'est ce qui apparaît le plus difficile aujourd'hui. Sauf à parvenir à s'affranchir de tous les réseaux électroniques: téléphone, compte bancaire, protection sociale...


Mais il y aurait comme ça près de 15 000 personnes qui disparaîtraient, chaque année, en France. Une partie de ces disparitions est, bien sûr, accidentelle mais la majorité est quand même volontaire.


Là où le phénomène serait le plus important, ce serait au Japon où il y aurait plus 100 000 disparitions par an (à rapporter à une population d'environ 120 millions d'habitants). En cumulé, "en stock", ça peut représenter une population considérable de marginaux absolus, peut-être proche d'1 million. Ces disparus volontaires, on les appelle, en japonais, des "évaporés". Ils seraient même si nombreux qu'il existerait des sociétés spécialisées dans l'évaporation.


Cependant, on ne disparaît pas au Japon pour les mêmes raisons qu'en France. En France, ce sont accessoirement des motifs de "ras le bol social". Les raisons sont principalement sentimentales: on a rencontré l'homme ou la femme de sa vie mais on est incapables d'expliquer ça à son entourage.


Au Japon, on disparaît surtout pour échapper au déshonneur et à l'opprobre. En majorité, ce sont des gens qui n'arrivent plus à payer leurs dettes. Ce sont souvent des cadres supérieurs: le pic des évaporations a, comme ça, été atteint après l'explosion de la bulle financière des années 90. Mais il y a aussi des femmes; généralement, elles fuient un amour impossible.


Ces hommes, ces femmes deviennent des passagers clandestins de l'archipel: débarrassés de leur passé, vivant misérablement, serveurs, hôtesses . 

Ravagés par la honte: "Mon fils était à l'école. Je suis sortie en laissant la maison ouverte. Abandonner son fils: peut-on faire pire ? J'ai fait cela. Je savais où j'allais. Partir, repartir à zéro. Etre prête à tout..." 



Tableaux d'Hokusai (1760-1849), bien sûr..., "le vieux fou de la peinture" qui a influencé, de manière décisive, la peinture européenne et surtout française (Van Gogh, Gauguin, Monet). Il serait aussi le père du manga. Il faut bien sûr aller voir l'exposition du Grand Palais.

Ce post m'a été inspiré par le  livre de Léna MAUGER et Stéphane REMAEL: "Les évaporés du Japon". Ce livre est rempli de témoignages impressionnants. J'ai surtout été frappée par le récit d'une femme qui, désespérée de ne pouvoir accomplir un amour d'enfance dans une ville de province, choisit de partir, brutalement, à Tokyo pour travailler dans des bars à hôtesses.

4 commentaires:

nuages a dit…

C'est en effet fascinant. Sur ce thème, je vous conseillerais la lecture d'une BD-roman japonaise, "Quartier lointain", de Jiro Taniguchi.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je vois bien à quoi ressemble ce livre de Taniguchi. J'avais envisagé de l'acheter. Vous allez sans doute me décider à le faire.

Carmilla

HelHorn a dit…

. Un livre qui semble intéressant et fascinant à la fois. Cette question d'évaporation semble tellement à sens unique. J'aimerais beaucoup lire ces témoignages un jour.

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour HelHorn,

Je recommande en effet ce livre sur les évaporés au Japon. Il est aujourd'hui facile à trouver: il vient de sortir.

Seule réserve: il ne faudrait pas qu'il donne une vision trop anxiogène du Japon. Ce n'est qu'une facette d'un pays infiniment complexe mais l'intégration et la solidarité sociales y sont malgré tout très forts.

Carmilla