samedi 22 mars 2014

L'esprit de vengeance















C'est effrayant, ce qui se passe avec la Crimée.

Non pas les événements eux-mêmes, mais plutôt cette terrible indifférence en Europe de l'Ouest dissimulée sous les rodomontades et une apparente agitation.


Les Ukrainiens n'ont pas à s'inquiéter :  ils peuvent être assurés qu'on ne fera surtout rien pour les soutenir.






















La diplomatie européenne fait en effet, chaque jour, l'étalage, de son effrayante nullité, avec une obsession du court terme et de la tranquillité. Les sanctions votées sont ridicules et dérisoires et d'ailleurs, elles font bien rigoler les Russes; elles  les renforcent même dans leur idée que l'U.E. est en pleine décadence. Mais il faut bien le reconnaître aussi : tout le monde s'en fiche de l'Ukraine et des grands principes du droit international. On ne va tout de même pas se priver pour Sébastopol.


Du reste, en France même, l'opinion publique semble majoritairement favorable à la Russie et à Poutine. C'est sans doute par ignorance (qui savait jusqu'alors, en France, que la Crimée était ukrainienne ?) mais aussi un peu pour le plaisir d'aller à contre-courant du main stream médiatique. C'est ce qui ressort des conversations que je capte : la Crimée, c'est bien une terre russe (j'aimerais qu'on m'explique ce que ça veut dire) et puis on ne va tout de même pas s'encombrer d'un boulet comme l'Ukraine, on a bien assez comme ça de la Bulgarie et de la Roumanie.



















Si je consulte les forums sur le Web, c'est encore plus édifiant : pas un mot de soutien à la Révolution ukrainienne mais une admiration sans réserve exprimée à Vladimir Poutine. La séduction exercée par Poutine, ça en dit long sur l'état de l'opinion en France. Il y a enfin quelques articles infâmes dans la presse. Au palmarès des imbécilités et de l'odieux, je citerai ainsi : "Vive la Crimée russe" de Gabriel Matzneff (qui, il est vrai, sucre aujourd'hui les fraises mais que j'ai, de toute manière, toujours trouvé un peu sénile), "Le nous de Poutine" de Michel Segal ", "La Crimée est russe depuis quatre siècles" de Yves Roucaute.


On aime bien la dictature pour les autres. Ca permet de se consoler, à bon compte, de la médiocrité de sa propre existence.



Mais je ne sais pas si l'exaspération ne va pas un jour avoir raison de l'inertie dans la quelle on se complaît en Europe de l'Ouest.



Un vent mauvais vient de se lever en Russie et il peut bouleverser les équilibres internationaux. C'est celui du nationalisme, des chimères de l'âme et de la spiritualité russes (ces bêtises) qui seraient enracinées dans un territoire (autre bêtise). Surtout, c'est inspiré par un effrayant esprit de vengeance.

 

Il faut en effet le rappeler : à la différence des autres pays où ça a été un immense bonheur, la chute du mur de Berlin a été vécue, en Russie, comme une humiliation. On avait continuellement entretenu la population dans l'illusion de sa puissance. On était certes pauvres mais, au moins, on faisait peur et on était redoutés. Il a fallu, après 1989, découvrir une autre réalité: le communisme, c'était l'arriération économique et culturelle et surtout une complaisance à vivre dans la servitude.



Et puis, en Russie, on est paranoïaques. On gémit : on ne nous aime pas et on nous en veut. On comploterait même contre nous.



Ca, c'est en partie vrai ! C'est sûr que les Russes sont détestés à peu près partout et, en particulier, dans les pays de l'ancien bloc communiste. Je me souviens être allée, il n'y a pas si longtemps, à Sofia et à Belgrade. Comme une idiote, j'avais cherché à communiquer en russe, parce que je pensais qu'il s'agissait de pays amis. Quel enfer ! Je me faisais rabrouer partout. Quand on daignait s'occuper de moi, tout le monde me faisait la gueule et j'avais droit à la plus mauvaise chambre de l'hôtel et aux pires cochonneries du restaurant. J'ai compris le problème quand j'ai changé de langue en parlant anglais.
















Mais si les Russes sont universellement détestés, c'est qu'il y a quand même de bonnes raisons à cela. C'est le pays du grand mensonge et de l'agression qui a massacré et asservi des populations entières. Je comprends ainsi, par exemple, tout à fait les Polonais : il est effectivement humainement impossible qu'ils se réconcilient avec les Russes. C'est d'autant plus difficile que les Russes n'ont jamais voulu reconnaître leurs crimes et n'ont, à fortiori, jamais, sollicité, le pardon.



Mais c'est vrai qu'en Russie, on retourne aujourd'hui complétement l'histoire : anciens bourreaux, on se vit maintenant comme des victimes, sans doute pour n'avoir pas à affronter la culpabilité. Alors, on aimerait bien maintenant une petite guerre qui permettrait de se remonter le moral, de se reconstituer un ego, de renouer avec les illusions de la puissance passée.




















C'est ça qui est terrifiant : on vit dans l'esprit de vengeance et c'est ça qui inspire la politique russe.



Images de Misha GORDIN, photographe russe né à Riga (Lettonie) en 1944.


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