dimanche 28 décembre 2014

La jeune fille et la mort



Une fin d'année, c'est toujours terriblement triste!

C'est le tintement du "nevermore" qui se fait plus insistant en nous; ce "nevermore" que croassait, dans une folle répétition, "le corbeau" du merveilleux poème d'Edgar Allan Poe.


Nous vivons chacun dans l'angoisse et la peur de la mort. Elle est aujourd'hui le scandale absolu dans un monde tout entier voué à la jeunesse et au bonheur. A mort, la mort! On veut la récurer, l'évacuer.



Et pourtant, la mort, c'est ce qui fait le sel de la vie. C'est ce qui nous fait avancer, nous conduit à avoir des projets, bref, nous arrache à nous-mêmes.


L'immortalité, comme le souligne André Masson, serait en effet sans doute d'un mortel ennui puisqu'en l'absence de préférence pour le présent, nous remettrions toujours au lendemain nos actions. On resterait clos sur soi-même, ce serait un monde statique, totalement immobile, un véritable enfer.

Alors oui! la mort, c'est bien ce qui nous fait carburer.


Images d'Adolf HERING, peintre allemand (1863-1932), originaire de Prusse-Orientale.Il est bien oublié aujourd'hui mais je trouve saisissant son tableau le plus célèbre "La jeune fille et la mort" dont je livre ici deux versions, en couleurs puis en noir et blanc.

"La jeune fille et la mort", c'est un thème pictural insistant avec de nombreux tableaux notamment d'Hans Baldung Grien, Edvard Munch, Egon Schiele.

C'est aussi, bien sûr, un lied de Franz Schubert et un film de Roman Polanski.

Je vous invite enfin, en cette fin d'année, à relire le poème d'Edgar Allan Poe, "The Raven", probablement l'un des plus beaux poèmes jamais écrits, avec notamment une traduction de Mallarmé.

samedi 20 décembre 2014

7 ans


Carmilla va avoir 7 ans dans quelques jours !

C'est énorme ! C'est bien au-delà de ce que j'avais envisagé. Je ne pensais pas tenir plus d'une année.


Mais voilà, je me suis laissée emporter par ma plume ! Ecrire, poster, ça ne m'a, en fait, jamais posé trop de problèmes. J'ai été tellement entraînée à ça. Je peux continuer à produire presque sans limite.

Mais est-ce que ça a encore un sens ? Ma copine Daria par exemple, elle me dit (et elle n'est pas la seule), qu'elle n'en peut plus de me lire. Je deviens ridicule: je sors toujours les mêmes images et je raconte toujours les mêmes âneries. Je ferais mieux de baiser davantage, ça me calmerait. Mes obsessions érotico-mystiques, ça ne peut intéresser que des gamines. 


Elle a sans doute raison mais baiser, ça prend beaucoup de temps et, par ailleurs, de quoi d'autre je pourrais parler? En dehors des maths, de la finance, de la comptabilité, de l'économie, je ne connais à peu près rien à rien. Mais avec ça, je ferais fuir tout le monde!


Mon blog, à vrai dire, je n'ai jamais nourri trop de prétentions concernant ses qualités littéraires ou artistiques. C'est à peu près nul de chez nul mais, pour moi, c'est, d'abord, un dérivatif à ma vie professionnelle qui est, malgré tout, passablement desséchante: 90 % de ma vie, c'est, tout de même, les chiffres et les maths. Le blog, c'est donc l'envers de ma vie laborieuse, son échappatoire fantasmagorique. Mais c'est bien moi qui m'y exprime et je crois réellement en ce que j'écris. 


On se moque parfois de mes élucubrations vampiriques. C'est vrai que le vampirisme, c'est, récemment, devenu très à la mode (un peu après la naissance de mon blog, je le souligne), mais ce n'est pas une simple fantaisie. Ça emporte toute une vision de l'existence aujourd'hui refoulée, occultée: les relations de désir, de pouvoir, de séduction, le rapport à la mort, à la souffrance, au mal. 

Je crois, en fait, qu'on vit une époque d'indifférence sexuelle, vidée de toute dimension tragique. Brièvement, c'est contre ça que je me révolte.


Du reste, ce ne sont pas seulement des "gamines" qui me lisent. Avec beaucoup de temps, d'efforts, j'ai réussi à conquérir un petit public: ce sont des gamines et des gamins de 20 à 80 ans qui me lisent et je trouve ça merveilleux. Mon blog a même atteint une fréquentation très honorable (150 visites quotidiennes). Une seule chose me trouble: après la France, c'est en Russie que je suis la plus lue. Ça m'énerve et je ne comprends pas! 


Mais le plus important pour moi, c'est qu'il y a une cinquantaine de personnes avec les quelles j'écris, j'échange.

Toutes, tous, vous êtes tolérants, cultivés, cosmopolites. Modernes, européens !

Je vous aime et vous remercie !

Carmilla devrait donc poursuivre ses élucubrations. Tant pis si je suis ridicule!

Bonnes et belles fêtes à vous tous ! 


Images de Kay NIELSEN (1886-1957), illustrateur danois très populaire.

Cette semaine m'a enfin mise en joie avec l'effondrement du rouble. Qu'est-ce que j'ai rigolé ! Ce grand krach quelques jours après les déclarations véhémentes de Poutine vitupérant l'Occident. Quelques jours après la rencontre servile Hollande-Poutine.

Je me dis souvent que l'économie est plus morale que la politique !

dimanche 14 décembre 2014

Evaporés


Les gens qui disparaissent brutalement, je crois que ça nous fascine tous. On a tous entendu parler de l'histoire d'un homme ou d'une femme partis faire une course et jamais revenus à leur domicile. On se pose la question: sont-ils déments, lâches, courageux ? Quel foudroiement a pu les conduire à passer à l'acte ?

Et puis disparaître, c'est ce qui apparaît le plus difficile aujourd'hui. Sauf à parvenir à s'affranchir de tous les réseaux électroniques: téléphone, compte bancaire, protection sociale...


Mais il y aurait comme ça près de 15 000 personnes qui disparaîtraient, chaque année, en France. Une partie de ces disparitions est, bien sûr, accidentelle mais la majorité est quand même volontaire.


Là où le phénomène serait le plus important, ce serait au Japon où il y aurait plus 100 000 disparitions par an (à rapporter à une population d'environ 120 millions d'habitants). En cumulé, "en stock", ça peut représenter une population considérable de marginaux absolus, peut-être proche d'1 million. Ces disparus volontaires, on les appelle, en japonais, des "évaporés". Ils seraient même si nombreux qu'il existerait des sociétés spécialisées dans l'évaporation.


Cependant, on ne disparaît pas au Japon pour les mêmes raisons qu'en France. En France, ce sont accessoirement des motifs de "ras le bol social". Les raisons sont principalement sentimentales: on a rencontré l'homme ou la femme de sa vie mais on est incapables d'expliquer ça à son entourage.


Au Japon, on disparaît surtout pour échapper au déshonneur et à l'opprobre. En majorité, ce sont des gens qui n'arrivent plus à payer leurs dettes. Ce sont souvent des cadres supérieurs: le pic des évaporations a, comme ça, été atteint après l'explosion de la bulle financière des années 90. Mais il y a aussi des femmes; généralement, elles fuient un amour impossible.


Ces hommes, ces femmes deviennent des passagers clandestins de l'archipel: débarrassés de leur passé, vivant misérablement, serveurs, hôtesses . 

Ravagés par la honte: "Mon fils était à l'école. Je suis sortie en laissant la maison ouverte. Abandonner son fils: peut-on faire pire ? J'ai fait cela. Je savais où j'allais. Partir, repartir à zéro. Etre prête à tout..." 



Tableaux d'Hokusai (1760-1849), bien sûr..., "le vieux fou de la peinture" qui a influencé, de manière décisive, la peinture européenne et surtout française (Van Gogh, Gauguin, Monet). Il serait aussi le père du manga. Il faut bien sûr aller voir l'exposition du Grand Palais.

Ce post m'a été inspiré par le  livre de Léna MAUGER et Stéphane REMAEL: "Les évaporés du Japon". Ce livre est rempli de témoignages impressionnants. J'ai surtout été frappée par le récit d'une femme qui, désespérée de ne pouvoir accomplir un amour d'enfance dans une ville de province, choisit de partir, brutalement, à Tokyo pour travailler dans des bars à hôtesses.

dimanche 7 décembre 2014

Le bouc-émissaire



On est convaincus d'être modernes: tolérants, démocrates. Et surtout d'avoir des avis personnels, éclairés.

Mais le plus souvent, on se range simplement aux opinions et instincts communs. Il n'est qu'à suivre l'actualité médiatique:  on n'entend que des hurlements de haine, pleins d'unanimité.

Il est intéressant de consulter la liste des personnalités les plus détestées en France: Nabilla, Zahia, Franck Ribéry. On peut y ajouter: Valérie Trierweiler, Rachida Dati, Jérôme Cahuzac, Thomas Thévenou, Gérard Depardieu; et puis, aussi, la foule innombrable des pédophiles, harceleurs, violeurs, pervers, manipulateurs, escrocs, dont on se plaît à considérer que l'on est entourés.


Le mécanisme du bouc émissaire fonctionne, aujourd'hui, à plein. Nabilla, par exemple, elle joue ce rôle de manière exemplaire. Avec elle, on est sûrs d'avoir trouvé quelqu'un de beaucoup plus bête que soi. Comme l'a bien montré le sociologue François Jost, Nabilla est une cible idéale pour le "bashing" et "le foutage de gueule décomplexé" qu'affectionnent tant les "djeuns" et les medias. On tape sur elle au lieu de taper sur son voisin, son collègue, ou sur son camarade de classe en lui faisant subir les pires moqueries. 

Quant à Franck Ribéry, il incarne ce que détestent le plus les Français: la racaille et le fric.

Zahia, elle, c'est la banlieusarde qui s'accommodait, sans doute, des tournantes; Rachida Dati et Valérie Trierweiler, c'est l'Arabe et la bourgeoise qui ne savent pas se tenir à leur place; Cahuzac et Thévenou, les technocrates détestés mais dont on voudrait bien occuper la fonction. Depardieu, c'est le ludion addicto/alcoolo.


Tout ça, bien sûr, c'est anecdotique mais c'est quand même bien la morale contemporaine. En toute bonne conscience, on est d'un parfait cynisme, prêts à massacrer "les impurs" sans états d'âme. Parce que nous, bien sûr, on est vertueux, exemplaires. On dégouline de bons sentiments mais on est de parfaits salopards.


La vertu, ce n'est généralement que le masque de la crapulerie. Et c'est pour ça que l'unanimité bêlante actuelle est terrifiante. 

Que peuvent d'ailleurs nous apprendre de la vie les gens vertueux si ce n'est le conformisme et l'obéissance? 



Dans son livre "le Royaume", Emmanuel Carrère esquisse une éthique qui va complètement à rebours des emportements actuels. 

Je ne suis plus chrétienne mais je suis très sensible à ce message: ce n'est pas la vertu qui doit être recherchée et, d'ailleurs, les gens vertueux ne sont pas intéressants. Etre proche de Dieu, ce n'est pas vouloir ressembler aux gens honnêtes et exemplaires.


Il s'agit plutôt de s'ouvrir à tous ceux que l'on hait et méprise, tous ceux que l'on juge indignes: "collabos, psychopathes, pédophiles, chauffards qui prennent la fuite, types qui parlent tous seuls dans la rue, alcooliques, clochards, skinheads capables de foutre le feu à un clochard, bourreaux d'enfants, enfants martyrs qui, devenus adultes, martyrisent leurs enfants à leur tour."

C'est le refus absolu de tout bouc-émissaire. On est évidemment très loin de ça aujourd'hui. Mais c'est pour moi une conviction profonde: si bas que l'on soit descendu, on demeure proche de Dieu; peut-être même plus près de lui que la personne vertueuse.


Œuvres de Marta ORLOWSKA, jeune artiste polonaise.

Pour illustrer mes propos, je recommande absolument le livre courageux de l'écrivain flamande Kristien Hemmerechts consacré à l'épouse de Marc Dutroux: "La femme qui donnait à manger à ses chiens". Oserais-je le dire? J'éprouve une grande compassion pour la femme de Marc Dutroux et lui-même ne me répugne nullement. 

Enfin, même si ça n'a rien à voir, je vous invite à vous dépêcher d'aller voir au cinéma:

- "Respire" de Mélanie Laurent. L'amitié, l'amour entre filles, est-ce que ça existe vraiment? Les rapports de manipulation, fascination, pouvoir, c'est plutôt ce qu'on a, toutes, connu. C'est un film très fort.

- "White God" de Kornel Mundruczó. Un film hongrois extraordinaire, un hommage à Miklos Jancso et Alfred Hitchcock. Il faut voir ce film ne serait-ce que pour les images extraordinaires des meutes de chiens courant dans Budapest. C'est aussi une grande réflexion politique.

- "Les opportunistes" de Paolo Virzi. Un grand film italien comme on les aime.

samedi 29 novembre 2014

Travestie



















Ma copine Daria et moi, notre distraction, quelquefois, le week-end, c'est d'essayer de se faire passer l'une pour l'autre et, pour ça, d'échanger notre apparence, nos vêtements et, bien sûr aussi, nos amants.C'est facile, on se ressemble pas mal, deux grandes perches étiques, et on a quasiment les mêmes tailles (sauf pour les soutifs). Bien sûr, personne n'est dupe, mais ça n'est pas essentiel, chacun y trouve finalement son compte et y prend plaisir.


A part ça, on est quand même vraiment très différentes. On entretient en fait, entre nous, un rapport d'amour/amitié qui est celui de l'attirance des contraires. Elle envie ma situation professionnelle et mon indépendance, j'admire sa fantaisie, sa liberté de mœurs et de comportement. Disons que, vues de l'extérieur, j'apparais sans doute BCBG et, elle, nettement plus dévergondée. 


On se fascine donc l'une l'autre mais je déteste, en général, la façon dont elle s'habille. C'est nettement trop sexy et provoquant pour moi, c'est rue Tverskaïa à Moscou.Mais peu importe: en se déguisant l'une en l'autre, on bascule les rôles: je deviens une allumeuse, elle se transforme en femme d'affaires. Et ça marche à plein, on a un succès fou toutes les deux. Ça nous permet de faire ensemble plein de conquêtes communes et d'échanger, ensuite, à l'infini, là-dessus. Pour deux filles, connaître un même type, avec des regards différents, c'est passionnant! Je dirais même que c'est essentiel: si on s'aime tellement, Daria et moi, c'est qu'on a largement couché  avec les mêmes mecs.


Evidemment, c'est un peu drôle, pour moi, de me balader dans les rues de Paris affublée des fringues de Daria: manteau de fourrure (le scandale absolu), grands bijoux , talons-aiguille ou cuissardes, mini-jupe. Je ne perçois vraiment plus le monde de la même façon. Le rapport aux autres, les hommes mais aussi les femmes, est modifié. Je me sens regardée de partout, avec envie certes mais aussi hostilité. Et puis les types dégotés avec le look de Daria: au secours!


C'est très troublant! Mais c'est aussi exaltant. Revêtir une autre peau, prendre une nouvelle identité, c'est apaisant, libérateur.

On le sait bien, la conquête de la féminité, c'est une vraie compétition. C'est épuisant. Ça peut même vous détourner d'autres objectifs, plus essentiels. Je dirais même qu'on peut y laisser son argent, sa vie. Que de temps passé, perdu, à modeler son apparence: à se maquiller, à s'habiller, à se choisir une culotte. Le souci de l'apparence, la course à la beauté, conduisent beaucoup de femmes à dissiper leur énergie.


En fait, on est bouffées par le modèle d'une femme idéale, d'une autre femme, à la quelle on cherche à tout prix à se conformer. Mais il y a bien sûr toujours un décalage entre le modèle et la réalité et ça fait qu'on rentre dans une surenchère narcissique permanente et qu'on est continuellement insatisfaites.

Alors, quand on me propose une nouvelle peau, ça me soulage beaucoup. Je n'ai plus à me justifier. Je me sens déresponsabilisée vis à vis de cette nouvelle identité et je peux m'abandonner au simple plaisir de l'émotion. A ce titre, la prostitution, ça me fascine: avoir une relation sans dire qui on est.


Je crois qu'on porte toutes en soi ce désir d'être une autre, de changer, occasionnellement, de personnage. Etre une autre femme, ce n'est pas un désir lesbien, c'est le besoin de s'affranchir de la pression d'une identité pour éprouver une jouissance pure, débarrassée de toutes les contraintes imaginaires imposées.

M'inventer, durant quelques heures, un autre personnage, une autre destinée, sous la forme de ma copine,ça me plaît donc beaucoup. L'hyper-féminité, j'avoue que c'est quelque chose que je ne pourrais pas vivre en continu mais pratiquer ça ponctuellement, je trouve ça très agréable. Et puis, séduire à partir de sa seule apparence, à partir, finalement, d'éléments infimes (une robe, un maquillage, des jambes gainées) ça remet aussi en question plein d'idées reçues: on peut élaborer les théories les plus idéalisées de l'amour et de la rencontre, tout ça, c'est vite mis par terre par des choses très triviales, par la force brute du désir masculin qui n'a que faire de l'intellect et de l'angélisme. Pour séduire un mec, mon rouge à lèvres sera toujours plus efficace que ma connaissance des œuvres complètes de Patrick Modiano. Chaque femme fait vite la cruelle expérience qu'elle ne séduira pas par sa seule personnalité; à elle, ensuite, d'accepter ou de refuser le jeu.



Surtout, jouer à fond les manettes de l'apparence, ça permet de vivre un plaisir essentiel, inconnu des hommes: celui d'être regardée. Pas de plus grande gloire pour une femme que de pénétrer dans une pièce et de sentir tous les regards se vriller sur elle. C'est plus fort que tous les coïts. Le regard qu'on porte sur nous, c'est ce qui nous définit, établit notre identité. Les féministes pourront hurler au viol mais c'est bien plus compliqué que ça. C'est notre certificat de vie: si on n'est plus regardée, auscultée, scrutée, déshabillée, on n'existe plus. Pour préserver ça, on est prêtes à tout!

Tableaux de Paul KELLEY, peintre canadien né en 1955.

Je renvoie par ailleurs au film très intelligent et très troublant de François Ozon: "Une nouvelle amie". Ce film s'inscrit à rebours de l'idéologie transgenre contemporaine qui voudrait éradiquer la différence des sexes. Le travesti affirme en fait deux choses: la différence des sexes et le plaisir de la féminité. 

dimanche 23 novembre 2014

Fleur Inculte


Comme ça, notre ministre de la culture, Fleur Inculte, est inculte. Elle ne lit pas, elle n'a pas le temps. 

Ça m'a d'abord bien fait rigoler. Pour moi, c'est simple: on a toujours du temps pour une passion et puis lire, c'est vivre ou, plutôt, c'est magnifier la vie. La vie, la lecture, ça s'interpénètre, s'enrichit mutuellement. Je lis pour accroître ma sensibilité, pour vivre plus intensément, pour vivre mille vies à la fois. 


Fleur Inculte, elle m'a quand même, au final, un peu choquée. Mais, au fond, tout ça c'est logique: on sait bien que pour réussir un grand concours (je suis bien placée pour le savoir), il faut d'abord être un bourrin ou un bœuf. L'affaire pourrait donc être anecdotique si elle n'illustrait le triomphe de ces apparatchiks que commence à rejeter la société française : de sinistres technocrates qui ne doivent leur carrière qu'à leur servilité. Comment s'étonner ensuite du triomphe de Le Pen ?

Je dédie néanmoins ce post à Fleur Inculte. Bien sûr, elle ne me lira pas aujourd'hui mais peut-être qu'elle en trouvera le temps lorsqu'on l'aura renvoyée cultiver son jardin ...? Voici donc les livres que je conseille à Fleur Inculte.


Emmanuel CARRERE: "Le royaume". Un bouquin vraiment audacieux à une époque où être chrétien est presque synonyme d'être crétin. On vit aujourd'hui dans une espèce de terrorisme vertueux. Mais le christianisme, c'est l'exact contraire des idées en vigueur et notamment de la recherche de la vertu. Etre chrétien, c'est d'abord porter attention aux réprouvés: les crapules, les criminels, les salauds. 

Un livre hors du commun. Certes, c'est un pavé avec, parfois, des moments d'ennui (j'ai surtout aimé la première partie) mais aussi plein d'analyses fulgurantes.  Que ce livre n'ait obtenu aucun grand prix laisse songeur.



Niall FERGUSON: "Civilisations - L'Occident et le reste du monde". Par l'auteur du grand livre: "L'irrésistible ascension de l'argent". L'histoire du monde et des civilisations, ça me passionne. Un bouquin remarquable, très clair, qui cherche à comprendre comment l'Europe de l'Ouest, exsangue à la fin du Moyen Age, est parvenue, à partir du 15ème siècle à prendre le dessus sur la Chine, l'Inde, l'Empire ottoman pour imposer au monde ses normes et son mode de vie.


Theodore ZELDIN: "Les plaisirs cachés de la vie".

Quelle est la grande aventure de notre temps ?; Comment être apprécié à sa juste valeur ? Comment ne pas gâcher sa vie? Combien existe-t-il de façons de se suicider? Comment changer les rapports entre riches et pauvres ? Femmes et hommes pourraient-ils se traiter autrement?

Voilà quelques unes des questions, inhabituelles, auxquelles Theodore Zeldin s'efforce de répondre. Ce sont toujours des perspectives inattendues.

C'est très agréable, très élégant. Il faut savoir que Theodore Zeldin est un Britannique amoureux de la France (si, si ! Ça existe).



Francesco M. CATALUCCIO: "Je m'en vais voir là-bas si c'est mieux". Un livre qui m'a été recommandé par Philippe et je l'en remercie. Le récit des séjours et voyages d'un Italien de Florence qui a une parfaite connaissance de l'Europe Centrale et en particulier de la Pologne. On voyage beaucoup: Lódz, Vilnius, Cracovie, Kielce, Drohobycz, Varsovie, Bakou et même ...Lviv.

Ça m'a fait grand plaisir. C'est d'une érudition irréprochable, c'est excellent. Mais j'ai deux petites remarques critiques: difficile de recommander ce bouquin à des non-initiés. Si on ne connaît pas bien Bruno Schulz, Stanislaw Ignacy Witkiewicz, Witold Gombrowicz, Tadeusz Kantor etc..., on risque de trouver ça un peu hard. Ça ne pose bien sûr aucun problème à quelqu'un qui est originaire d'Europe Centrale mais à un honnête Français qui cherche, simplement, à s'informer ? C'est excessivement littéraire et, de plus, ça s'arrête à la fin du 20 ème siècle. Depuis cette date, les choses ont beaucoup évolué, c'est déjà un autre monde: beaucoup de nouveaux écrivains et artistes ont émergé: Tokarczuk, Wilk, Andrukhowitch, Stasiuk pour ne citer que les meilleurs.


Lieve JORIS: "Sur les ailes du dragon". Lieve Joris est une grande écrivain belge (d'expression néerlandaise) dans la lignée de Chatwin, Bouvier, Kapuscinski. Son dernier livre relate ses voyages entre l'Afrique (le Congo, l'Afrique du Sud), la Chine, Dubaï. Elle met en évidence ces nouveaux liens économiques, cette nouvelle mondialisation en train de se construire. La Chine et l'Afrique, via le Moyen-Orient, c'est peut-être un futur grand pôle du monde.   

Olivier ROY: "En quête de l'Orient perdu". Il s'agit d'entretiens avec Jean-Louis Schlegel. Le très grand connaisseur de l'Afghanistan mais aussi de l'Iran, de la Turquie, du Pakistan,de l'Asie Centrale. C'est plein d'aventures authentiques et c'est aussi toute une époque (les années 70/80/90). C'est également une réflexion stimulante sur l'islam politique. Passionnant.


Nancy HUSTON: "Bad Girl". Nancy Huston, je suis une fan, j'achète systématiquement tous ses bouquins. Je me sens très proche d'elle: la fracture des langues, des cultures, ça me parle bien sûr. Ce qui m'étonne, c'est que c'est, à chaque fois, un univers complètement différent. Moi, je ne suis vraiment pas capable de ça. "Bad Girl", ce n'est peut-être pas son meilleur livre mais ça soulève, comme à chaque fois, plein de questions essentielles.


Patrick BESSON: "Déplacements". C'est complètement déconcertant et désinvolte. L'anti-guide de voyage absolu. Le texte sur Belgrade, l'une des villes qu'il connaît sans doute le mieux, est, par exemple, ahurissant. Pourtant, c'est souvent très juste (Varsovie) et toujours percutant, hilarant.


Comme je reviens d'Allemagne, j'ai choisi d'illustrer ce post avec des couvertures des premières éditions allemandes de poche datant des années 50 (ro ro ro).

A une époque où le Centre Pompidou va prochainement accueillir Jeff Koons, je me dis que ces images très simples permettent de relativiser les oeuvres d'Art consacrées.

Personnellement, je suis bien plus émue par des images RoRoRo que par du Jeff Koons. En plus, c'est infiniment moins cher.