dimanche 28 juillet 2013

"Le génie du Christianisme"




Ma copine Daria, c’est, en apparence, presque une bigote.

Elle va, presque tous les jours, prier rue Daru et elle ne manque pas une messe le dimanche. Surtout, elle va se confesser régulièrement.


Pourtant, comme la plupart des filles russes, c’est vraiment une grande pècheresse, elle est bien pire que moi. Elle se rend à l’église habillée style « Moscou by night » (high heels et minijupe mais tout de même foulard) et aussitôt après s’être confessée, elle rejoint l’un de ses amants. Elle fait aussi plein d’autres bêtises, se défonce, claque le fric, fréquente avec moi les grandes soirées russes qui sont de grands lupanars et elle n’y a vraiment pas froid aux yeux. Je me demande ce que le Pope en pense. En tous cas, son boulot doit être intéressant avec toutes ces filles dévergondées qui lui tournent autour.


Evidemment, en France, être catho, c’est la honte absolue, y’a pas plus nul. Même moi, ça me dépasse complètement. De ce point de vue, je suis devenue française, c'est-à-dire totalement laïcisée. Mais ça me fascine quand même parce que je me rends compte aujourd’hui, au contact de ma copine Daria, que le christianisme est porteur d’une étrange liberté.


Daria, elle me dit ainsi qu’elle n’en a rien à fiche d’être une fille bien, quelqu’un d’exemplaire. La sainteté, la vertu, c’est complètement accessoire. Le catholicisme. ça n’est vraiment pas une religion des purs. Ce qu’il y a de bien dans le christianisme, c’est qu’en fait tout est permis, même la débauche, même le crime, puisque la miséricorde de Dieu est infinie. Etre pêcheur, c’est ça qui est exaltant et c’est ça qui rapproche de Dieu, bien plus que la sainteté.


L’impureté, l’immoralité, c’est la vérité du christianisme. Etre chrétien, c’est savoir reconnaître sa propre noirceur, admettre sa propre saloperie. Le « génie du christianisme », c’est le péché originel, la faute primitive qui scelle notre culpabilité. De ce point de vue, le christianisme, c’est à la fois Freud et Dostoïevsky.


Dans le monde moderne, le péché, la culpabilité, c’est ce qu’on a le plus de mal à admettre. Ca n’existe pas et ça ne devrait pas exister. On est des purs et on s’efforce, les institutions, les pouvoirs politiques, de nous convaincre, qu’on est également innocents. La conquête du bonheur, vous dira un psychiatre, ça passe par l’affranchissement du sentiment de culpabilité.


Est récemment sorti sur les écrans le film de Margarete Von Trotta consacré à Hannah Arendt et au procès d’Eichmann. On a bien sûr souligné qu’Eichmann, incarnation de la banalité du mal, était un homme très ordinaire, un fonctionnaire ayant la passion de l’obéissance. Mais on a occulté le volet qui en découlait : celui de notre effrayante proximité avec les bourreaux.



On est devenus complètement manichéens, on est des cathares. On essentialise à outrance : les mauvais, les criminels, les pervers, ce sont les autres mais nous, on est totalement réconciliés avec nous-mêmes, on est pleinement libres de notre destin, on est des purs.


Assez curieusement, on a tendance à penser que le spectre qui hante désormais l'Europe, ce serait le « retour du religieux ». Peut-être, mais ça ne sera sûrement pas le retour des vieilles religions. Toute transcendance est à jamais abolie. Ce sera plutôt le triomphe du camp du Bien et la liberté prométhéenne de l’homme débarrassé du Mal. La terreur de la bien-pensance, celle du crétino-écologisme, la victoire de « l’homme sans qualités », l’aplatissement et l’indifférenciation généralisée de la vie.


Tableaux du grand peintre polonais Zdzislaw BEKSINSKI (1929-2005).

Photographies d’Alyz et de Leonid Sidorenko

2 commentaires:

Unknown a dit…

Bonsoir, Intéressant regard et propos, délicieuses illustrations.....

J'étais en train d'écrire un texte à propos de l'Inquisition, un commentaire sur un billet en évoquant la vision du nazisme par analogie à l'Inquisition, lors du procès d'Adolf Eichman.

Au plaisir de re-venir vous lire, si tant est que je retrouve vos pages.......

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci Henri!

L'Inquisition, c'est vrai que ça vient contredire mes propos.

Mais je pense quand même qu'il n'y a normalement pas, dans le christianisme, d'autorité extérieure qui décide du Bien et du Mal.

Et puis il y a la miséricorde divine et l'étrange proximité du pêcheur avec Dieu.

Carmilla