samedi 12 janvier 2013

Carmilla de jour



Mon blog, je l’ai déjà dit, c’est un dérivatif à ma vie professionnelle.
De celle-ci, je ne parle pratiquement pas. Pourtant, elle me constitue à 90 % et cette face « diurne » occulte largement ma face nocturne.

De mon travail, je ne retire pas de fierté particulière. Il faut reconnaître qu’il a fallu d’incroyables concours de circonstances pour que je me retrouve là où je suis. Je ne peux même pas dire que je suis méritante et que j’ai beaucoup travaillé pour ça. C’est sûr que ça aurait pu être mille fois pire. J’ai juste un petit talent avec les chiffres, j’en mémorise des pelletées.

Après, j’essaie de vivre mon boulot, comme tout le monde,  le moins mal possible, en traversant ses moments de gloire et de déprime. Ce qui est sûr, c’est que le travail, c’est une remise en cause continuelle de son identité.
Ca fait donc deux ans que je suis dans la même boîte. On sort en ce moment nos résultats. Ca va, on est sortis du rouge…ce n’est donc pas encore cette année que je vais être virée.

Bien sûr, je suis lucide. D’abord, c’est fragile, le pire est probablement à venir. Et puis,  dans l’amélioration des choses, je n’ai qu’une petite part.
Néanmoins, je me plais à constater que j’ai la baraka et que je l’ai toujours eue, jusqu’alors, dans mon boulot.
La baraka financière, ça repose sur une bonne part de chance (c’est ça qui est effrayant) mais aussi sur de la témérité. On ne fera jamais avancer les choses si on est pétochard ou si on a une mentalité de comptable.
Pour ça, mon boulot m’a appris à acquérir des nerfs d’acier et à devenir imperméable au stress. Je suis, chaque année, plus calme et plus sereine. La perspective d’une catastrophe financière m’a rarement empêchée de dormir.

Pourtant, j’aurais bien des raisons de cauchemarder. Il faut bien le dire : si on vous recrute un jour, c’est pour n’avoir jamais à entendre parler de problèmes financiers. Votre PDG, le maire de la ville, le conseil de surveillance ne veulent qu’une chose : que vous crachiez des résultats, que vous permettiez de recruter et d’investir à tour de bras. Comment vous y arrivez ? Tout le monde s’en fiche tant qu’il n’y a pas de problèmes.
Alors, les problèmes, vous les cachez sous le tapis et vous essayez de vous dépatouiller toute seule;  vous vous livrez à vos cuisines et vos montages personnels  dans votre coin en espérant que ce ne sera jamais découvert.



C’est sûr, on travaille toujours aux limites de la légalité mais si on ne le fait pas, on ne peut jamais être bon, on ne peut jamais devenir une star. De ce point de vue,  je comprends très bien Jérôme Kerviel, le jeune trader qui a failli planter la Société Générale. On a essayé de le décrire comme mégalomane, escroc, pervers. Mais non ! Il est d’une banalité confondante. Il a, je crois, simplement essayé de répondre, au maximum, aux exigences de son employeur.

Mes sujets d'étonnement, c’est, quelquefois, quand je consulte la littérature syndicale. On parle régulièrement de moi. Dans la dernière livraison, on dit qu’il n’y a pas plus antisociale que moi :
- les femmes enceintes, je leur fais la chasse : dès que la DRH apprend une grossesse, sur mes injonctions, on licencie.
- les mères, je n’en ai rien à fiche : j’ai supprimé le tiers des places de la crèche du personnel.

- pareil pour la bouffe. On ne me voit jamais à la cantine et c’est révélateur. Je sais bien, en effet, comme c’est moi qui fixe les tarifs, que c’est de plus en plus infect et que la pitance est de plus en plus maigre.



- ma politique, d’une manière générale, ça consiste à faire payer, au maximum et de manière illégale, les pauvres gens et les personnels. C’est de la grande escroquerie et ce scandale va bientôt être porté sur la place publique.
Ouh la la ! Ca fait beaucoup, je suis bien habillée pour l’hiver. Suis-je, à ce point, monstrueuse ? Répondre, ça n'a pas de sens et, d'ailleurs, je trouve ça plutôt rigolo. Mais ça me fascine quand même ces commentaires auxquels personne ne croit en fait. On est vraiment en plein théâtre. 

Il faut croire qu’on a besoin d’une stratégie de l’affrontement et d’un cloisonnement total pour parvenir à fonctionner.

Tableaux du grand peintre allemand Peter KLASEN, très célèbre dans les années 60-70.

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