dimanche 30 septembre 2012

ODESSA




Bien sûr, j’ai séjourné à Odessa, pendant près d’une semaine.





Aïvazovsky, l'un de mes peintres préférés



C’est la Marseille d’Ukraine, avec les traces d’un ancien cosmopolitisme (même si curieusement, aujourd’hui, on ne parle que russe à Odessa et pas du tout ukrainien).



Le boulevard Primorski

Surtout aussi, les restes d’une splendeur architecturale, exubérante, excessive, petit à petit restaurée. L’un des sommets de l’Art Nouveau où le kitsch côtoie le sublime.



« Odessa, la plus belle ville du monde », c’était peut-être vrai au début du 20 ème siècle.



Une ambiance presque italienne avec même une chaleur encore plus accablante.


Mon restaurant favori avec la silhouette de Pouchkine auprès d'une tourterelle


Et puis une profusion de cafés élégants, de restaurants, de terrasses. 
Plein de lieux de rendez-vous et de conversation.


Et des arbres, des fontaines, des jardins.




L'escalier Potemkine

Les fantômes bien sûr de Pouchkine, de Mickiewicz, d’Isaac Babel.


La statue du Duc de Richelieu

Mais c’est aussi la plus française des villes d’Europe Centrale. On l’ignore généralement en France mais le véritable fondateur d’Odessa ville est le duc de Richelieu (parent du cardinal du même nom) qui, après avoir été chassé par la Révolution, devint Gouverneur Général de la ville au début du 19 ème siècle.


Un autre escalier d'Odessa

Sa statue de bronze, au sommet de l’escalier Potemkine, est le point de rendez-vous d’Odessa.


Cet escalier Potemkine est bien sûr la première fierté d’Odessa. La seconde est son Opéra, gigantesque, construit sur le modèle de celui de Vienne.


Il vient d’être entièrement rénové. Il faut absolument aller à l’Opéra à Odessa. 


D’abord, c’est très bon marché et les spectacles sont de qualité. 


Ensuite, c’est une expérience complètement différente de celle en France. C’est plein à craquer mais pas de papys et de mamies : rien que des gens très jeunes, splendides, d’une vingtaine d’années.

Photos de Carmilla Le Golem sur Sigma DP2 Merrill

vendredi 21 septembre 2012

Mikhaïl Boulgakov à KIEV




Boulgakov est maintenant un écrivain culte dans le monde russophone.

On l’associe plutôt à Moscou.


C’est peut-être lié à son roman le plus célèbre « Le Maître et Marguerite » qui débute par une évocation des étangs du Patriarche.

Mais Boulgakov est né à Kiev et a longtemps vécu dans un quartier pittoresque de la ville qu’on compare souvent  à Montmartre. Et c’est vrai qu’il y a de ça : des ruelles pentues, des ateliers d’artistes, des boutiques de camelote.


La chambre de Boulgakov

Surtout, Boulgakov a été, à Kiev, le témoin des événements extraordinaires qui ont suivi la révolution d’octobre, avec des renversements continuels de situation. Kiev était devenu le point de ralliement des réfugiés qui fuyaient les Bolcheviks.


Vue sur Kiev depuis le salon de Boulgakov

S’y succédaient alors, dans la violence, des pouvoirs éphémères : le gouvernement de l’Hetman Skoropadsky, manipulé par l’occupant allemand, puis les nationalistes ukrainiens dirigés par Petlioura, puis l’armée blanche dirigée par Dénikine et enfin le corps expéditionnaire franco-britannique.


Le bureau de Boulgakov

Il y a eu une longue période d’indécision avec des renversements continuels, des mouvements d’espoir et de désespoir, jusqu’à la conquête définitive de Kiev par les Rouges.


Les frontières du Bien et du Mal, de la Vérité et du Mensonge, ont alors été abolies.

Boulgakov a été, à cette époque, témoin d’effroyables massacres et ne savait pas, lui-même, pour qui prendre parti. On sait simplement qu’il était plutôt favorable à Dénikine.


Ces événements dramatiques, et plus particulièrement la prise de Kiev par les troupes de Petlioura, constituent la toile de fond de « la Garde Blanche ».


Surtout, cette période de bouleversement moral et intellectuel, constitue la clé de compréhension majeure de l’œuvre de Boulgakov. Comment survivre dans une incertitude absolue, quand tous vos anciens repères ont disparu ? Réflexion très actuelle, aujourd’hui, en Russie ou en Ukraine.

Aujourd’hui, la maison de Boulgakov (située « descente Saint-André ») est un joli musée de Kiev dont je vous livre ici quelques photos.


Photos de Carmilla Le Golem sur Sigma DP2 Merrill

dimanche 16 septembre 2012

« Terres de sang »




Je poste ici, en introduction, trois photos de l’un des lieux les plus sinistres de l’histoire de l'humanité: Babi-Yar.


Là, au mois de septembre 1941, presque au centre de Kiev, dans ce qui est maintenant un grand parc, les Allemands ont assassiné, en une journée, 35 000 juifs dont les cadavres ont été déversés dans le petit ravin ici photographié. C’était le début de la Shoah par balles.


Babi-Yar, je me suis rendue compte que presque personne ne connaissait à l’Ouest. Et même, plus généralement, que presque tout le monde ignorait ce qui s’était passé en Europe Centrale entre 1930 et 1950.


C’est sûr qu’en Europe Centrale, le poids de l’histoire demeure infiniment lourd. Comment d’ailleurs ne pas être hanté par les fantômes de l’horreur quand on se trouve en Ukraine, en Pologne ou en Biélorussie ?


Mais c’est extraordinaire aussi à quel point les récits historiques diffèrent selon les pays.
J’ai par exemple été très choquée par le musée-mémorial de la seconde guerre mondiale de Caen ou par le film « Shoah » de Claude Lanzmann. C’est incroyablement partiel et partial.


Ici, le symbole et le modèle de la barbarie humaine, c’est Auschwitz. Quand les soldats américains et britanniques libérèrent les camps allemands, ils crurent avoir découvert les sommets de l’horreur. Mais « ils étaient loin de la vérité. Le pire était dans les ruines de Varsovie, dans les champs de Treblinka, les marais de la Biélorussie ou les fosses de Babi-Yar. »


Et il ne faut d’ailleurs pas seulement incriminer les Allemands dans la perpétration des meurtres politiques de masse. Il faut y ajouter, à partir de 1930, l’imposition du joug stalinien.


« Les tueries de masse commencèrent par une famine organisée par ­Staline en Ukraine qui fit trois millions de victimes. On vit des mères supplier leurs enfants de les manger pour qu'ils ne succombent pas à leur tour, tout cela sous les yeux impassibles des commissaires soviétiques affamant sciemment les Ukrainiens.


L'effroyable se poursuivit, côté soviétique, avec la Grande Terreur, qui coûta la vie à 700 000 personnes. Puis, avec le pacte germano-soviétique, les deux pires dictatures d'Europe coopérèrent à la destruction de 200 000 Polonais entre 1939 et 1941. 






Lorsque Hitler envahit la Russie, l'horreur changea de camp. Les Allemands tuèrent plus de quatre millions de Soviétiques, en les affamant, soit lors du siège de Leningrad, soit dans les camps de prisonniers. Puis, voyant qu'ils ne parviendraient pas à gagner la guerre rapidement, les nazis passèrent à la «solution finale» de la question juive, tuant et gazant dans ces «terres de sang», en Ukraine, en Pologne et dans les pays Baltes, 5,4 millions de Juifs. 




«Allemands et Soviétiques s'incitèrent mutuellement à des crimes toujours plus grands», comme à Varsovie, où les Allemands tuèrent près d'un demi-million de civils grâce à la complicité tacite de l'Armée rouge. »


«L'époque des tueries massives en Europe a été surthéorisée et mal comprise.» C’est vrai que le rideau de fer et la martyrologie soviétique ont totalement opacifié les choses.


Aujourd’hui,heureusement, les archives s’ouvrent et il devient possible de revisiter l’histoire.


L’extraordinaire livre de Jonathan Littell : « Les Bienveillantes » a ouvert une première brèche.

Il faut maintenant absolument lire : «Terres de sang – L’Europe entre Hitler et Staline » de Timothy SNYDER (Gallimard). L’historien américain, qui est un grand polyglotte, revoit entièrement le récit et les interprétations des événements qui ont conduit au massacre de quatorze millions d'êtres humains dans les «terres de sang», c'est-à-dire ces terres de l'est de l'Europe, entre la Pologne, la Biélorussie et l'Ukraine, où se sont concentrées, entre 1933 et 1945, les principales tueries soviétiques et nazies.


Un livre qui remet en cause pas mal d'idées reçues mais tout de même…. : 14 millions de mort en Pologne, en Ukraine, en Biélorussie et les Pays Baltes, c’est 13 millions de plus que « le nombre de victimes américaines et britanniques réunies de la Seconde Guerre Mondiale ».


Photos de Carmilla Le Golem à Babi-Yar puis dans les cimetières juifs de Berditchev et Sharhorod. Le shtetl de Sharhorod, le mieux conservé d’Ukraine. Cimetières polonais et ukrainiens de Zhitomir.

dimanche 9 septembre 2012

Honoré de Balzac et Joseph Conrad en Ukraine








Le château de Wierzchownia

Pendant mes vacances, j’ai réalisé un vieux rêve : visiter Berditchev. 


Je ne suis pas sûre que vous ayez jamais partagé ce fantasme parce que Berditchev, ce n’est aujourd’hui qu’un fichu trou en Ukraine, à une centaine de kilomètres de Kiev.






A Berditchev

Plus paumé, il n’y a pas et d’ailleurs il y a une expression en polonais : « écris-moi à Berditchev » Pisz do mnie na Berdyczow »), ce qui veut dire « écris-moi au diable » mais en sachant que le diable saura justement trouver mon adresse.





L'église Sainte-Barbara où s'est marié Balzac et, en exclusivité, ma petite voiture ukrainienne (la voiture de Carmilla) devant cette église.

Mais pour moi, Berditchev, c’est un lieu extraordinaire, une ville mythique, un des grands lieux de la culture européenne.


D’abord parce que Berditchev a été un creuset important de la culture juive. Berditchev, c’est en particulier le foyer d’éclosion du Hassidisme avec son Grand Maître Levi Yitzhak dont le mausolée demeure un important lieu de pèlerinage. Le Hassidisme, je considère ça avec plein d’interrogations mais c’est malgré tout fascinant.



La célèbre synagogue de Berditchev

Surtout parce que deux figures majeures de la littérature mondiale ont eu leur destin lié à Berditchev et, à quelques années près, auraient même pu s’y croiser. Il s’agit de Balzac et de Conrad.



Le château de Wierzchownia et le lac devant lequel se promenait Balzac

Etrangement, ce qui réunit ces deux écrivains, c’est qu’on ne trouve à peu près aucune trace de cette expérience ukrainienne, pourtant hors du commun, dans leurs écrits. Voilà de quoi disserter sur les rapports entre la vie et l’œuvre d’un artiste.

De même, dans les biographies qui leur sont consacrées, on aborde à peine cet épisode de leur vie.

Le plus surprenant, c’est Balzac. Il a tout de même passé près de deux années en Ukraine, certes à la fin de sa vie, et s’y est marié, en mars 1850, cinq mois avant sa mort.


La maison natale de Joseph Conrad

Quand il y a séjourné, Berditchev était une ville extraordinaire : la Jérusalem de Volhynie, un grand centre commercial, un foyer de contrebandiers, une ville multiculturelle où l’on parlait yiddish, polonais, russe, ukrainien.

Surtout, Balzac a du être époustouflé par la richesse et le niveau de vie de son grand amour : la comtesse polonaise Eveline Hanska. Elle avait 2 000 serfs, quelques milliers d’hectares, une centaine de domestiques autour d’un gigantesque château, situé en pleine campagne à Wierzchownia (prononcer vièchrovnia en accentuant sur le o).


Aux alentours de la maison de Joseph Conrad

Balzac a donc vécu assez longuement là-bas, dans un monde qui ne pouvait que le fasciner et le troubler. On aurait pu croire que le peintre de la comédie humaine allait y trouver de nouvelles sources d’inspiration. Mais non ! Pendant toute cette période, il n’a à peu près rien écrit, rien, en tous cas, qui se rapportât à l’Ukraine. Je considère ça comme une véritable énigme.


Pareil pour Joseph Conrad considéré comme un écrivain de langue anglaise. Il est né, en fait, dans un petit bourg au sud de Berditchev. Sa maison natale, très spacieuse, témoigne du niveau de vie élevé de sa famille. C’est aussi un lieu idyllique, complètement perdu dans la nature.

C’est dans ce coin parfaitement paisible qu’est né l’auteur d’ « Au cœur des ténèbres » sous le nom de Josef Korzeniowski (prononcer Kojéniovski). Sa langue dominante était le polonais.


La maison de Joseph Conrad

C’est très déconcertant. On peut penser que Joseph Conrad a voulu s’arracher à ce monde trop calme et protégé. Il a navigué de 17 à 38 ans sur toutes les mers du monde, avant de se métamorphoser en écrivain dans une langue et sous un nom d’emprunt. Mais on ne trouve aucune trace dans ses livres, du moins à ma connaissance, de son enfance ukrainienne.


L'église orthodoxe de Berditchev

Photos de Carmilla Le Golem sur Sigma DP2 Merrill

Les lieux où ont vécu Balzac et Conrad sont parfaitement entretenus et conservés. Il est particulièrement intéressant et impressionnant de visiter le château de la comtesse Hanska mais c’est complètement perdu et un peu difficile à trouver. Il est sans doute préférable d’être russophone. Idem pour la maison de Joseph Conrad.