dimanche 15 juillet 2012

Le pays des chiffres




Ca ne transparaît peut-être pas dans mon blog, mais une grande partie de ma vie, ce sont les chiffres.


C’est d’abord le contenu principal de mon travail : j’en brasse des pelletées tous les jours. Et puis je suis une usine à chiffres : j’en ai plein dans la tête et je m’amuse sans cesse à les combiner, les mettre en relation, pour prendre des décisions. Ca permet de découvrir de drôles de choses, de nouvelles perspectives.



Ca façonne évidemment votre personnalité. Voir le monde à travers des chiffres, ça vous met quand même à l’abri des débordements affectifs et sentimentaux. Ca vous rend détachée, abstraite. Bref, ça vous rend forte.


Souvent, on s’apitoie sur mon sort parce qu’on pense que mon boulot doit être follement ennuyeux et très peu créatif. Mais en fait, j’y suis très à l’aise parce que j’entretiens un rapport vivant avec les chiffres. C’est comme une langue supplémentaire qui me parle immédiatement ; lire de gros documents financiers, c’est comme lire un journal. En plus, on a le plaisir de détecter des relations singulières et d’élaborer de nouvelles combinatoires.



Je ne raconte pas ça pour me vanter et je ne crois du reste pas avoir de talent particulier. Je ne suis même pas si forte que ça en maths. Simplement, ça m’étonne toujours un peu de constater que bien peu de gens partagent ma passion des chiffres. C’est une langue qui semble morte, faite d’objets inanimés.



Je trouve ça dommage. C’est un peu, pour moi, comme si on était privé d’une clé de compréhension du monde. Mais je crois vraiment qu’il ne s’agit pas d’un problème de dispositions individuelles. On s’est plutôt laissé dépouiller de nos capacités de logique et d’analyse en transférant tout à des prothèses technologiques. On a préféré le monde de l’immédiateté et de l’émotion à celui de l’abstraction et de la critique.



Sur ce point, je suis persuadée que l’électronique et l’informatique ont détruit tout accès concret et vivant avec les chiffres. On ne sait plus compter et on ne sait plus jongler avec les chiffres.


Personnellement, les technologies, je suis très distancée avec ça. C’est à peine si j’ai une calculatrice et je préfère généralement calculer moi-même, sommairement, de tête. De même, j’utilise très peu les outils de simulation logicielle. C’est facile de cracher 50 ratios, ça vous donne bonne conscience, l’illusion que vous avez bien travaillé, mais généralement ça vous égare sur des chemins secondaires.



Je lisais récemment que certains grands pilotes d’avions continuaient d’utiliser des instruments très frustes tels qu’une règle à calcul. Ca peut sembler absurde dans leur environnement informatique ultra sophistiqué. Je comprends cependant tout à fait ça. Souvent, des outils simples fournissent en effet une évaluation très rapide et une compréhension plus concrète, plus visuelle, des problèmes. L'informatique, ça rend bête et ça fait perdre du temps.


On s’est maintenant habitués à tout déléguer aux technologies et à se reposer sur elles. Mais on ne se rend pas compte qu’elles nous exproprient du cœur vivant de notre intelligence et qu’elles nous font rentrer dans le monde des décisions absurdes.





Tableaux du Futurisme/Constructivisme russe avec Casimir Malévitch, Jean Pougny et Rodtchenko



Je l’ai déjà évoqué dans mon blog : même si vous êtes fâchés avec les maths, il faut lire « Alex au pays des chiffres » d’Alex Bellos. L’histoire des mathématiques comme un conte merveilleux.

Aucun commentaire: