dimanche 18 mars 2012

« La piel que habito »


Il ya des choses bizarres. Dans le cadre de la campagne électorale, on débat passionnément du mariage homosexuel et de l’homoparentalité. Je n’ai pas d’avis. Ca se fera de toute manière, tout simplement parce que ça va dans le sens de l’histoire… mais ça n’a pas fini de donner lieu à des torrents médiatiques et à des empoignades hystériques.



C’est devenu un critère du clivage gauche/droite. Le gouvernement actuel est ainsi considéré comme hyper conservateur en matière de mœurs.



C’est sans doute vrai mais des mesures incroyablement audacieuses ont été récemment prises. Un décret a ainsi retiré, en 2010, la transsexualité de la liste des maladies mentales. Plus récemment, un projet de Loi a été déposé visant à ne plus subordonner le changement du sexe d’état civil à une opération chirurgicale rectificatrice.


C’est absolument révolutionnaire et la France est devenue un pays à la pointe en matière de reconnaissance des droits des transsexuels. Je trouve ça vraiment étonnant. Est-ce qu’on a évoqué ça en Conseil des Ministres ? Qu’en ont pensé Claude Guéant et Nadine Morano ?



Ce qui est sûr, c’est que ça s’est fait presque en catimini. Le candidat Sarkozy n’a pas présenté ça à l’actif de son bilan (il est peu probable d’ailleurs que ça lui permettrait de rallier le vote transsexuel) et les media l’ont à peine mentionné. Quant aux grands débats publics sur le sujet, ça a été zéro.


Là encore, même si je trouve ça bien, je n’ai pas d’avis sur la question d’autant que le vampirisme, qui est d’abord une exaltation de la féminité et de son pouvoir, est presque à l’opposé de la transsexualité sur la question de la relation entre les sexes.



Cependant, je trouve que c’est un bouleversement considérable, probablement aussi important que le mariage homosexuel.




Ca veut dire en effet que notre appartenance sexuelle n’est plus imposée par la biologie. Elle repose simplement sur notre conviction intime. L’anatomie n’est plus le destin et le destin, nous n’en avons d’ailleurs plus.




Quant au corps, il n’est plus un roc incontournable, il est presque dévalorisé, obsolète. Libre à nous de le façonner, de le remodeler; il n’est plus qu’une peau, un « vêtement » comme l’écrit Marcela Iacub.




D’où le succès, au-delà même de la forme extrême de la réassignation de genre, de la chirurgie esthétique et de tous les soins corporels. Il faut corriger la lourdeur et l’opacité du corps pour le rendre plus conforme à un idéal fantasmé.



De toute manière, la sexualité moderne est de plus en plus hantée par l’imaginaire transsexuel. Il s’agit d’être quelqu’un d’autre, de s’arracher à la pesanteur de son corps. Ca se joue dans une espèce d’exaltation narcissique dont l’enjeu n’est plus le choix d’objet, comme dirait Freud, le désir éprouvé pour un autre, un homme, une femme, mais l’assomption à une nouvelle identité : plus une quête d’avoir mais une quête d’être. La sexualité est désormais vécue sur un mode hallucinatoire, identificatoire.




Tout ça a été magistralement décrit, en 1972, par Gilles Deleuze dans « l’Anti Œdipe », livre ô combien moderne et prophétique. Il montre bien non seulement la puissance révolutionnaire du capitalisme, qui brise tous les codes, tous les tabous, mais surtout sa profonde affinité avec la psychose, dans l’effacement de toutes les frontières, dans l’abolition de toutes les différences.





L’autre, l’impossible ça n’existerait pas parce que, de toute manière, tout est soumis à une logique marchande et donc tout se vaut, tout est indifférent et tout est convertible. L’homme et la femme, ce ne sont que des rôles, que des habits. La sexualité moderne est une sexualité d’acteurs.



Evidemment, c’est assez exaltant parce qu’on rêve tous, obscurément, d’être quelqu’un d’autre, d’éprouver ce que l’autre ressent. Croire que c’est possible, que les différences n’existent pas, c’est le grand fantasme de la société capitaliste.



La concrétisation la plus merveilleuse de ce rêve, c’est probablement à Tokyo qu’on la trouve. Le Japon, c’est la modernité absolue pas seulement technologique mais surtout mentale. Il est pour moi fascinant d’arpenter les quartiers d’Harajuku, Shibuya, Akihabara, de croiser ces jeunes extraordinairement habillés. Avec les Kigurumi, le Cosplay, les Lolitas, s’inventent vraiment de nouvelles formes de sexualité, ludiques et narcissiques.




C’est léger, gai, aérien, un rêve colorié. Mais c’est aussi pour moi plein de mélancolie parce qu’on sait que c’est une illusion et que c’est éphémère comme la jeunesse.




Et puis, c’est tellement léger que ça fonctionne aussi dans le vide. Se déguiser, c’est bien mais ça me renvoie sans cesse à moi-même et ça ne me donne pas accès à l’autre, au désir.




La modernité croit pouvoir s’affranchir de la mort et de l’interdit mais on sait bien que la vérité du monde est toute autre : chaque vie comporte sa part d’insondable et il n’y a que des rapports d’incompréhension et de conflit. Jamais l’homme ne connaîtra la femme et inversement.


Je ne me contente donc pas d’habiter dans une peau, de porter un vêtement. Ce vêtement, lui aussi il se déchire et s’abîme. Il est également soumis à la mort et donc il me constitue.


Karina MARANDJIAN

La Russie produit en ce moment une flopée de jeunes femmes photographes à l’immense talent. J’adore Karina, une jeune moscovite, dont les photos me font frémir.

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