samedi 24 mars 2012

« Ainsi parlait Zarathoustra »


Je me rends compte que je n’évoque presque jamais l’Iran dans mon blog alors que c’est l’un des pays que je connais le mieux et avec le quel je continue d’entretenir le plus de contacts.




Il y a urgence à ce que j’aille me rebalader dans le pays pour vous en parler. C’est en projet pour cette année mais il faut que j’arrive à me dégager quinze jours de vacances.




Quelquefois quand même, ça me revient et la nostalgie me submerge.

Mardi dernier par exemple, le jour même du printemps, c’était le Nouvel An iranien, le Norouz. C’est la plus grande fête en Iran et même les mollahs les plus fanatiques la célèbrent alors qu’elle n’a rien à voir avec l’Islam.



Elle se prolonge 2 semaines durant, avec une tradition principale, celle des Haft Sîn, ou sept « S » : on décore une table avec 7 objets dont le nom commence par la lettre S (sîn en persan). On ajoute aussi, le plus souvent, un miroir, un livre et un bocal avec des poissons rouges. Durant toute cette période, on échange des cadeaux et se rend visite.



Le 13 ème jour, il y a obligation de quitter son domicile ou d’entreprendre un voyage ; on se contente, le plus souvent d’aller pique-niquer dans la nature en famille.



Cette fête de Norouz est enracinée parmi les rituels et les traditions du Zoroastrisme. Le Zoroastrisme, c’est l’ancienne religion de la Perse sassanide jusqu’à la conquête musulmane en 652.

C’est tout de même l’une des plus anciennes religions du monde puisque Zarathoustra aurait vécu aux alentours du 7 ème siècle avant JC et surtout, c’est l’un des premiers monothéismes.




Pourtant, aujourd’hui, en dépit des parrainages prestigieux mais équivoques de Nietzsche et de Richard Strauss, presque personne ne s’intéresse au Zoroastrisme. C’est une religion qui semble en voie d’extinction et on ne compterait, mais ça me semble quand même exagéré, guère plus de 300 000 Zoroastriens dans le monde. Le Zoroastrien contemporain le plus célèbre est Freddy Mercury.



Moi, je porte le Zoroastrisme dans mon cœur. C’est même très concret puisque, lorsque je vivais à Téhéran, j’ai eu la chance extraordinaire (même si je ne m’en rendais pas compte à ce moment), d’habiter chez des Zoroastriens, au rez-de-chaussée de leur grande maison, de plain-pied avec un magnifique jardin.




"Persépolis sous la neige", ce qui est exceptionnel

Le Zoroastrisme, c’est donc pour moi du vécu quotidien et ça continue de m’imprégner parce qu’à chaque fois que je vais en Iran, je me rends sur ses hauts lieux : les villes de Yazd et de Kerman ; le village d’Abianeh, le site de Chak-Chak. Il faut vraiment aller là-bas pour retrouver des fragments d’un monde écroulé mais très proche de nous.



Je crois qu’on a tendance à penser, ici, que le zoroastrisme, c’est une religion complètement archaïque avec des mages, des devins, des faux magiciens, et aussi plein de rites compliqués avec des sacrifices.



D’ailleurs, les images les plus communes concernant les Zoroastriens, c’est qu’ils sont adorateurs du feu et qu’ils exposent leurs morts au sommet de tours du silence pour qu’ils soient dévorés par les vautours.




Ce qu’on ne sait pas en revanche, c’est que le Diable, les anges, la vie éternelle, le jugement dernier, tout ça, ça vient non pas du christianisme mais du Zoroastrisme.




En tous cas, cette image d'une religion obscurantiste est complètement erronée.


Moi, ce qui m’a toujours impressionnée chez les Zoroastriens, c’est leur extrême modernité.





Je n’ai pas envie de faire un cours de religion. Je préfère parler de mon expérience concrète. Voilà ce qui m’a émue dans le zoroastrisme :

- L’amour des jardins et des fleurs. Et aussi, d’une manière générale, le souci de vivre dans un environnement gai et coloré.



- L’amour des animaux. Tuer un animal constitue un crime (le sacrifice est proscrit). Le chien en particulier est, à l’exact contraire de l’Islam, un animal noble et protégé. Le végétarisme est recommandé mais non imposé.




- L’absolue égalité des femmes et des hommes. Inconcevable qu’une Zoroastrienne soit voilée, qu’elle ne fasse pas d’études, ne prenne pas une part active à la vie sociale.



- L’hymne à la vie (c’est le côté nietzschéen du Zoroastrisme). La vie est une élection divine et elle revêt donc un caractère sacré. Cet amour de la vie à un pendant : l’horreur de la mort et de toutes ses formes : la pourriture, le déchet.



- La légèreté des rites (rien n’est absolument imposé), l’absence de clergé, le refus des idoles, la condamnation de la magie, bref le goût de la pensée rationnelle et scientifique et le rejet de tout ce qui joue de l’ignorance des peuples. Le seul symbole de Dieu accepté, c’est le feu.


- La confiance dans l’homme et son libre arbitre. Le Zoroastrisme propose de s'adonner à la bonté, de toujours faire le bien et cela s"exerce par une constante dialectique avec le mal. Mais c'est l'homme qui choisit ; il n'y a pas d'obligation et chacun assume la pleine responsabilité de ses actes envers les autres.



Voilà ! Est-ce que ce n’est pas une religion absolument moderne ? Je m’étonne qu’à une époque de redécouverte des grandes religions orientales, le bouddhisme et le shintoïsme en particulier, on ait complètement négligé le Zoroastrisme.


C’est vrai que le Zoroastrisme a largement programmé sa propre extinction en pratiquant pendant longtemps une stricte endogamie. Aujourd’hui, les conversions sont très rares parce que l’apostasie est un crime en Iran.



Moi-même, j’ai été tentée mais je suis trop rationaliste. Et puis, il y a un aspect du Zoroastrisme qui me rebute : c’est la pensée manichéenne. Pourtant, le Manichéisme, c’est très moderne, mais ça l’est justement trop pour moi.



Le Manichéisme, ça consiste à écarter sans cesse le mal, à l’expurger, et à se vouloir pur, de corps et d’esprit. A être finalement quelqu’un d’absolument sain, de parfait.




Le Manichéisme s’est introduit en Europe au Moyen Age, via la Bulgarie et la Bosnie avec la secte des Bogomiles. Il a aussi influencé le mouvement cathare dont les membres se prénommaient eux-mêmes « les Parfaits ».



Le Manichéisme, c’est la structure des idéologies mystiques mais aussi des projets politiques, surtout dans leurs formes les plus effrayantes et les plus totalitaires.



Aujourd’hui, nous qui sommes tellement modernes, on est tous un peu manichéens, il faut le reconnaître. On se prétend tous purs, sans tâches, exemplaires par opposition aux corrompus et aux pervers. C’est sans doute pour ça qu’on accepte si docilement la banalisation et le conformisme de la pensée.

Pas facile en effet d’admettre qu’on est des pêcheurs nés.



Tableau du peintre russe Nicolas Roerich.

Choix de photographies sur l’Iran, principalement de Abbas Kiarostami (le cinéaste) et de Shirin Neshat.



Avec ce post, j’espère surtout réhabiliter le Zoroastrisme et vous inciter à partir en vacances en Iran.

Contrairement à ce qu’on vous raconte, c’est très facile et sans risques de voyager au pays des ayatollahs.

dimanche 18 mars 2012

« La piel que habito »


Il ya des choses bizarres. Dans le cadre de la campagne électorale, on débat passionnément du mariage homosexuel et de l’homoparentalité. Je n’ai pas d’avis. Ca se fera de toute manière, tout simplement parce que ça va dans le sens de l’histoire… mais ça n’a pas fini de donner lieu à des torrents médiatiques et à des empoignades hystériques.



C’est devenu un critère du clivage gauche/droite. Le gouvernement actuel est ainsi considéré comme hyper conservateur en matière de mœurs.



C’est sans doute vrai mais des mesures incroyablement audacieuses ont été récemment prises. Un décret a ainsi retiré, en 2010, la transsexualité de la liste des maladies mentales. Plus récemment, un projet de Loi a été déposé visant à ne plus subordonner le changement du sexe d’état civil à une opération chirurgicale rectificatrice.


C’est absolument révolutionnaire et la France est devenue un pays à la pointe en matière de reconnaissance des droits des transsexuels. Je trouve ça vraiment étonnant. Est-ce qu’on a évoqué ça en Conseil des Ministres ? Qu’en ont pensé Claude Guéant et Nadine Morano ?



Ce qui est sûr, c’est que ça s’est fait presque en catimini. Le candidat Sarkozy n’a pas présenté ça à l’actif de son bilan (il est peu probable d’ailleurs que ça lui permettrait de rallier le vote transsexuel) et les media l’ont à peine mentionné. Quant aux grands débats publics sur le sujet, ça a été zéro.


Là encore, même si je trouve ça bien, je n’ai pas d’avis sur la question d’autant que le vampirisme, qui est d’abord une exaltation de la féminité et de son pouvoir, est presque à l’opposé de la transsexualité sur la question de la relation entre les sexes.



Cependant, je trouve que c’est un bouleversement considérable, probablement aussi important que le mariage homosexuel.




Ca veut dire en effet que notre appartenance sexuelle n’est plus imposée par la biologie. Elle repose simplement sur notre conviction intime. L’anatomie n’est plus le destin et le destin, nous n’en avons d’ailleurs plus.




Quant au corps, il n’est plus un roc incontournable, il est presque dévalorisé, obsolète. Libre à nous de le façonner, de le remodeler; il n’est plus qu’une peau, un « vêtement » comme l’écrit Marcela Iacub.




D’où le succès, au-delà même de la forme extrême de la réassignation de genre, de la chirurgie esthétique et de tous les soins corporels. Il faut corriger la lourdeur et l’opacité du corps pour le rendre plus conforme à un idéal fantasmé.



De toute manière, la sexualité moderne est de plus en plus hantée par l’imaginaire transsexuel. Il s’agit d’être quelqu’un d’autre, de s’arracher à la pesanteur de son corps. Ca se joue dans une espèce d’exaltation narcissique dont l’enjeu n’est plus le choix d’objet, comme dirait Freud, le désir éprouvé pour un autre, un homme, une femme, mais l’assomption à une nouvelle identité : plus une quête d’avoir mais une quête d’être. La sexualité est désormais vécue sur un mode hallucinatoire, identificatoire.




Tout ça a été magistralement décrit, en 1972, par Gilles Deleuze dans « l’Anti Œdipe », livre ô combien moderne et prophétique. Il montre bien non seulement la puissance révolutionnaire du capitalisme, qui brise tous les codes, tous les tabous, mais surtout sa profonde affinité avec la psychose, dans l’effacement de toutes les frontières, dans l’abolition de toutes les différences.





L’autre, l’impossible ça n’existerait pas parce que, de toute manière, tout est soumis à une logique marchande et donc tout se vaut, tout est indifférent et tout est convertible. L’homme et la femme, ce ne sont que des rôles, que des habits. La sexualité moderne est une sexualité d’acteurs.



Evidemment, c’est assez exaltant parce qu’on rêve tous, obscurément, d’être quelqu’un d’autre, d’éprouver ce que l’autre ressent. Croire que c’est possible, que les différences n’existent pas, c’est le grand fantasme de la société capitaliste.



La concrétisation la plus merveilleuse de ce rêve, c’est probablement à Tokyo qu’on la trouve. Le Japon, c’est la modernité absolue pas seulement technologique mais surtout mentale. Il est pour moi fascinant d’arpenter les quartiers d’Harajuku, Shibuya, Akihabara, de croiser ces jeunes extraordinairement habillés. Avec les Kigurumi, le Cosplay, les Lolitas, s’inventent vraiment de nouvelles formes de sexualité, ludiques et narcissiques.




C’est léger, gai, aérien, un rêve colorié. Mais c’est aussi pour moi plein de mélancolie parce qu’on sait que c’est une illusion et que c’est éphémère comme la jeunesse.




Et puis, c’est tellement léger que ça fonctionne aussi dans le vide. Se déguiser, c’est bien mais ça me renvoie sans cesse à moi-même et ça ne me donne pas accès à l’autre, au désir.




La modernité croit pouvoir s’affranchir de la mort et de l’interdit mais on sait bien que la vérité du monde est toute autre : chaque vie comporte sa part d’insondable et il n’y a que des rapports d’incompréhension et de conflit. Jamais l’homme ne connaîtra la femme et inversement.


Je ne me contente donc pas d’habiter dans une peau, de porter un vêtement. Ce vêtement, lui aussi il se déchire et s’abîme. Il est également soumis à la mort et donc il me constitue.


Karina MARANDJIAN

La Russie produit en ce moment une flopée de jeunes femmes photographes à l’immense talent. J’adore Karina, une jeune moscovite, dont les photos me font frémir.

samedi 10 mars 2012

Winter passing




Voilà les bouquins que j’ai aimés ces dernières semaines :




- Régis Jauffret : « Claustria ». Un grand bouquin troublant. Ce qui est curieux, c’est que je connais bien Amstetten, non loin de Linz. J’y ai séjourné, à plusieurs reprises, chez des amis. Non loin donc de la maison de Josef Fritzl qui a séquestré sa fille pendant plus de 20 ans et lui a fait 7 enfants. Le village n’a absolument aucun intérêt mais c’est anecdotique puisque le roman de Régis Jauffret ne s’attache pas à reconstituer fidèlement cette histoire. Il s’agit plutôt de recomposer une logique mentale, de décrire la cohérence d’une vie.


Contrairement à ce qu’on pense en effet, une vie, même celle d’un monstre, c’est quelque chose de construit, d’ordonné. Le coup de folie, le grand dérapage, ça existe très peu en fait. Les monstres, les pervers ne sont pas ainsi de simples brutes mais ce sont surtout de grands raisonneurs. Il y a une implacable logique du discours pervers et cette logique est le plus souvent celle de la Loi et de l’ordre. Josef Fritzl affirmait ainsi qu’il avait séquestré sa fille non pas pour abuser d’elle mais pour la préserver des dangers du monde, de la drogue et de la prostitution. C’est là qu’on comprend comment une société morne, étouffante, répressive engendre ses propres monstres.


- Janet Skeslien Charles : « Les fiancées d’Odessa ». Normalement, je ne lis pas les bouquins écrits par des occidentaux (surtout américains), sur les anciens pays communistes. Ca m’énerve trop, tellement c’est bourré de clichés. Mais là, j’ai été tout de suite accrochée et conquise. C’est drôle, intelligent et très juste. L’auteur connaît vraiment très bien l’ancien monde communiste et je n’ai pas décelé d’erreurs. Elle parle avec amour d’Odessa, la plus belle ville du monde. Surtout, elle décrit très bien le gouffre des mentalités qui sépare une jeune fille russe du citoyen mâle lambda venant de l’Ouest : la suffisance et l’insuffisance occidentales. C’est aussi un grand bouquin de sociologie et d’anthropologie.




- Diane Ducret : « Femmes 2 dictateurs». Evidemment, on peut penser qu’il s’agit d’un bouquin de midinettes. Et bien pas du tout, c’est agréable, inattendu et ça fait réfléchir. Le portrait de Khomeiny est par exemple inhabituel et très pertinent. De même, ceux de Milosevic, Sadam Hussein et Ben Laden. Le livre 1 vient également de sortir en poche. Profitez en : Staline et Lénine y sont très bien évoqués.



- Christoph Poschenrieder : « Le monde est dans la tête». Un véritable concentré de culture allemande,… j’ai adoré. Le héros en est le philosophe Arthur Schopenhauer, personnage totalement extravagant. On voyage beaucoup (en Prusse et en Autriche-Hongrie jusqu’à Venise) et on fait plein de rencontres (Goethe, Byron). C’est à lire à une époque où beaucoup d’écrivains (Michel Houellebecq notamment) se réclament aujourd’hui de Schopenhauer. C’est une toute autre vision de la pensée de Schopenhauer, beaucoup moins nihiliste, beaucoup plus gaie et aventureuse.




- Eriko Nakamura : « Nââândé !? Les tribulations d’une Japonaise à Paris ». Par une célèbre présentatrice de Fuji TV mariée à un Français. « Personne ne fantasme autant sur Paris qu’un Japonais. Et personne n’est plus choqué par Paris qu’un Japonais ». Ca n’est certes pas un grand livre mais il permet de faire un peu d’ethnologie. Comment nous voit une Japonaise, ce n’est pas toujours flatteur mais c’est difficilement contestable.




- Eric Faye – Christian Garcin : « En descendant les fleuves – Carnets de l’Extrême-Orient russe ». Vous recherchez des vacances un peu originales pour cet été ? Je vous conseille de descendre l’immense fleuve la Lena depuis Iakoust, jusqu’à l’Océan Glacial Arctique. Ca n’a rien d’un exploit, c’est complètement organisé et même des personnes âgées peuvent faire ça. Je précise, à cette occasion, une donnée géographique : la Sibérie, contrairement à ce que croient les Français, ça ne va pas jusqu’à l’Océan Pacifique mais ça s’arrête au fleuve Lena. Au-delà, ça s’appelle l’Extrême-Orient russe. Après avoir descendu la Lena, vous pourrez vous rendre à Khabarovsk, dans le Birobidjan et à Vladivostok, sur les pas de Joseph Kessel et de Dersou Ouzala. Le livre d’Eric Faye et Christian Garcin est un peu superficiel (les auteurs ne parlent pas russe) mais vous permettra de bien préparer vos vacances. Il nous change au moins des sempiternels voyages en Transsibérien.



- Thérèse Delpech : « L'homme sans passé: Freud et la tragédie historique». L’entrée dans la modernité, ça remonte au début du 19 ème siècle. On mesure mal les bouleversements psychologiques dans les sociétés européennes brutalement plongées dans l’histoire, privées de la référence au passé : la perte des repères de la tradition livre l’homme aux labyrinthes de l’intériorité. Un livre très original qui tranche singulièrement avec le reste de l’œuvre de Thérèse Delpech. Etrangement, elle vient de mourir.





Ce sont les dernières œuvres d’Anka Zhuravleva, jeune artiste de Saint-Peterburg. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer toute mon admiration pour elle.