dimanche 9 octobre 2011

O Byzance !


C’est drôle à quel point l’enseignement de l’histoire diffère selon les pays. Ce n’est même pas une question de mensonge ou de falsification mais plutôt de perspective : à chacun ses fables, ses mythologies, ses grands récits qui fondent la collectivité.



Petit exemple : pour les Parisiens, j’ai remarqué que Sébastopol, ce n’était qu’un boulevard, l’Alma, un pont et Malakoff, une affreuse ville de banlieue.

Pour les Russes, ça évoque bien sûr tout de suite la guerre de Crimée (à laquelle a participé Léon Tolstoï) et l’humiliation de la défaite. Ca a été une guerre terrible qui a tout de même duré près de 3 ans (de 1853 à 1856) à l’époque de Nicolas 1er et de Napoléon III.


Ca a donc été une grande victoire pour les Français mais je crois que c’est complètement oublié aujourd’hui et je n’ai à vrai dire encore rencontré aucun Français capable de me dire que diable, ils étaient allés faire jusque là bas.



Pourtant, ce qui est intéressant dans cette guerre, c’est qu’elle a eu pour origine un conflit religieux (entre orthodoxes et catholiques à propos de la protection des chrétiens d’Orient) et que, pour la circonstance, les Français combattaient aux côtés des Anglais et … des Turcs.


Ce qui est vrai, c’est que la Russie a été en guerre quasi perpétuelle avec la Turquie. Il y a ainsi eu onze guerres russo-turques et les plus importantes ont eu lieu au 19 ème et début du 20 ème siècles.


Il y avait évidemment des visées expansionnistes mais c’était aussi une guerre d’ « esprit moderne» : le motif premier était tout de même religieux avec la reconquête de Byzance et la libération des populations chrétiennes (50 % de la population totale) du joug ottoman.


Ce qui est sûr aussi, c’est que, dans cette affaire, la France et l’Angleterre se sont toujours opposées aux Russes et ont toujours soutenu l’Empire Ottoman. Leurs manœuvres diplomatiques ont ainsi permis de retarder considérablement l’indépendance des Etats des Balkans (Bulgarie, Roumanie, Serbie), ce qui n’est pas très glorieux.


Ce n’est pas que la France et l’Angleterre avaient des sympathies particulières pour l’Empire Ottoman.

En fait, elles rejouaient simplement la vieille opposition à l’Empire Byzantin, issue du grand schisme de 1054. La méfiance et l’hostilité vis-à-vis d’un pays riche, puissant et mystérieux.


On croit que tout ça c’est complètement révolu et que ce n’est que de l’histoire poussiéreuse. Je pense qu’au contraire ça perdure. Il est frappant de constater qu’en France aujourd’hui, on n’aime pas du tout les « Byzantins » : les Serbes, les Bulgares, les Roumains, les Ukrainiens et aussi les Grecs ; tous des pouilleux, des mendiants, qui ne fournissent que des truands et des prostituées. Quant à la Russie, c’est une dictature du tiers-monde, aux tendances fascisantes, qui a toujours tort.


De même, dans les guerres de l’ex-Yougoslavie, l’Occident a soutenu, sans nuances, la Bosnie puis le Kosovo contre les Serbes et n’a pas craint de bombarder Belgrade.

Aujourd’hui enfin, on a clairement fermé la porte de l’Union Européenne à la Russie et à l’Ukraine, pourtant pays européens par excellence, et pour être sûrs que ça ne se fera jamais, on promeut à la place la candidature de la Turquie. On craint moins l’autoritarisme et la rigidité musulmanes que la spiritualité orthodoxe. Après, on s’amuse à se faire peur en évoquant la menace russe.


Du reste, ce qui m’a toujours étonnée c’est qu’en Europe de l’Ouest, on soit d’une totale ignorance concernant Byzance et le monde orthodoxe. On y est bien en peine d’évoquer les rites, les fêtes, la culture. Pourtant, il y a plus de 200 millions d’orthodoxes (i.e. plus de la moitié de la population de l’U.E.) qui sont tous indiscutablement européens.


Et puis, l’Empire Byzantin a eu une longévité (9 siècles) et une splendeur incomparables.

Byzance, c’est vraiment le luxe, la beauté, une immense richesse tant matérielle que culturelle.


Pour ce qui me concerne, Byzance, c’est surtout une esthétique et j’ai plaisir à la retrouver, de manière occultée, dans l’art européen :

- c’est d’abord l’architecture; j’adore évidemment Venise et Ravenne mais aussi, moins connue, la cathédrale d’Aachen (Aix-la-Chapelle). Et puis à Paris, le Sacré-Cœur, Saint-Augustin, l’Opéra Garnier même si l’inspiration en est un peu kitsch.


- c’est aussi et surtout la peinture. Klimt et la Sécession viennoise sont aujourd’hui très à la mode mais on passe sous silence leur inspiration byzantine. Plus essentiellement encore, Byzance, c’est la naissance de l’art moderne et de l’art abstrait. Il faut en effet rappeler que Vassily Kandinsky a été le continuateur de la tradition orthodoxe de l’icône, où la figure idéalisée du Christ n’est que le signe de la vraie réalité restée invisible. Il n’y a que des signes, le réel est inatteignable et, du coup, n’a plus beaucoup d’importance. C’est le fond même de la pensée byzantine et c’est ce qui a ouvert la voie de l’art moderne.


Tableaux de Gustav Klimt, Koloman Moser et Wassily Kandinsky.


Sur Byzance, il faut lire le remarquable ouvrage de William Darlymple : « Dans l’ombre de Byzance » (éditions Phébus)

3 commentaires:

Alex a dit…

Encore un article et des illustrations magnifiques... Merci de me faire découvrir ce monde!

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alex! C'est très gentil à vous.

Mais il ne suffit peut-être pas de me lire. Il faut aussi voyager et se rendre dans les pays concernés.

Carmilla

Alex a dit…

C'est prévu, dès que je maîtriserai les flux humains et financiers aussi bien que vous! J'étudie l'un, j'apprendrai l'autre sur le tas.