dimanche 23 octobre 2011

Mauvais genre


Ce qui est chic aujourd’hui, c’est d’évoquer la « gender theory ».

Ca vient des Etats-Unis et Judith Butler en est la prophète.



Ce serait donc moderne.

C’est vrai que la « gender theory » dissocie bien la sexualité du sexe d’état civil.



Etre un homme, être une femme, ça ne se réduit évidemment pas à une réalité biologique avec tous les présupposés normalisateurs que cela implique.

La sexualité, c’est un processus, une évolution. On ne naît pas homme, femme, homosexuel, pervers ; on le devient …et encore…, car ça ne s’arrête jamais, avec ses évolutions, ses régressions, ses points de fixation.



Il y a une extraordinaire plasticité de la vie psychique réprimée, occultée par les mécanismes de pouvoir, les rôles sociaux d’homme, de femme, de couple hétérosexuel normal, que l’on nous assigne.

Tout ça, c’est vrai mais c’est aussi bien connu et ça n’effraie plus que les milieux archi-conservateurs.



Ce qui me chiffonne, moi, c’est que la « gender theory » véhicule aussi beaucoup des fantasmes de nos sociétés. En particulier, cette idée qu’il n’y a finalement pas de différence entre l’homme et la femme et que chacun peut comprendre l’autre. Freud parlait plutôt, lui, d’une asymétrie entre les deux sexes. Quitte à passer pour une réactionnaire, une essentialiste, peut-on d’ailleurs vraiment dire que la distinction du masculin et du féminin repose sur une simple construction sociale ?



On en appelle aujourd’hui à une sexualité post-moderne, new-age, multiple, plurielle, libérée parce que délivrée de toute forme de perversion.

C’est un nouvel hédonisme que je ne comprends pas très bien mais qui me semble surtout reposer sur la négation de l’autre et de la différence des sexes. Cette vision trouve d’ailleurs son expression dans la fascination éprouvée, dans nos sociétés, pour le/la transsexuel(le) qui devient, telle Lisbeth Salander, la sombre héroïne de Millenum, l’une des figures majeures de la sexualité contemporaine.



Il paraît en fait que la « gender theory » a pour origine la pensée française des années 70 avec Gilles Deleuze et Michel Foucault. C’est sûr que la question de la féminité n’était pas leur première préoccupation. Le plus explicite en la matière, c’est Gilles Deleuze qui développe une vision solipsiste du désir, conçu sur un mode identificatoire. La révolution schizoïde qu’il appelait dans « l’anti-Œdipe », c’était la dissolution des identités fixes pour faire place à un jeu de pures intensités, des identifications symboliques provisoires : devenir femme, pédéraste, nègre, animal …Il aimait rappeler cette phrase de Nietzsche : « Tous les noms de l’histoire, c’est moi », ou celle d’Antonin Artaud : « Moi, Antonin Artaud, je suis mon fils, mon père, ma mère et moi ». Il écrivait aussi : « Schreiber est homme et femme, parent et enfant, mort et vivant ».



Ca a 40 ans mais c’est évidemment d’une actualité troublante. C’est un drôle de monde, narcissique et sans altérité, où l’on pourrait passer, impunément et complètement, de l’une à l’autre position. L’effacement des différences, c’est évidemment notre grand rêve, à nous en tant qu’individus mais aussi comme projet social. C’est vrai que le désir, c’est une souffrance et qu’on préférerait tous avoir des identités multiples, être indifféremment homme ou femme; et puis vivre dans une société pacifiée, sans conflit, d’où le mal serait éradiqué.


Sauf que c’est impossible et que ça n’est qu’un fantasme. Le plus beau transsexuel ne sera malgré tout jamais une femme, Pedro Almodovar l’a bien montré dans son dernier film, « la pièl que habito». En niant la différence des sexes, on évacue non seulement le désir mais aussi l’interdit, la culpabilité et la mort. Idéologie narcissique, fausse éthique de la liberté qui ignore que, pour se construire, le sujet doit savoir entrer en conflit : conflit amoureux d’abord mais aussi rébellion individuelle et politique.


La révolte est nécessaire (avec sa famille, avec ses amants, dans sa vie professionnelle), c’est comme ça qu’on assume et dépasse son destin.


Ca implique aussi de reconnaître sa finitude (l’illimité ne s’ouvre pas à nous) mais aussi sa part d’ombre et c’est peut-être cela qui est le plus intéressant.


Qu’il y ait une altérité incontournable des sexes (c’est un peu le message du féminisme par rapport à la « gender theory »), ça signifie en effet aussi que l’homme et la femme ont quelque chose à s’apprendre mutuellement.


Tableaux de Madeline Von Foester, jeune artiste américaine.


Sur la question de l’identité sexuelle, je recommande les ouvrages d’un psychiatre américain (très freudien) : Robert Stoller (« La perversion, forme érotique de la haine » ; « L’excitation sexuelle – Dynamique de la vie érotique »).

3 commentaires:

Daria a dit…

Elle est sublime votre page sur la théorie des gendres!! Et tellement juste!

Daria a dit…

Elle est sublime votre page sur la théorie des genres!! Et tellement juste!

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Daria,

Je crois que la théorie des genres, c'est vraiment la dernière bêtise à la mode. Le plus fou, c'est que c'est maintenant enseigné très sérieusement à l'école et que dénoncer la théorie des genres, c'est maintenant passer pour ultra-réactionnaire.

Je renvoie au dernier livre de Nancy Huston ("Reflets dans un oeil d'homme") qui exprime tout cela bien mieux que moi.


Carmilla