samedi 12 mars 2011

Plaidoyer pour un droit aux identités multiples


On voyage sans cesse dans votre blog, me dites-vous, et finalement on ne sait jamais où on est et qui vous êtes.



C’est vrai ! Ce matin, dans la lumière éclatante du printemps naissant, j’ai arpenté le Ku’damm, en sortant du KaDeWe ; ou bien j’ai descendu Omotesando pour me rendre à Harajuku ; ou bien j’ai chiné à Manucheri après avoir visité le musée du verre ; ou bien je suis allée sur la tombe de Maïakovski à Novodievitchi (Новодевичье кладбище).

C’est faux ! Ce matin, tu es simplement passée devant la lanterne des morts du Parc Monceau puis l’église orthodoxe de la rue Daru avant de te rendre à ton bureau où tu as produit, comme à l’accoutumée, une montagne d’analyses financières.

Je serais donc restée ici. Pourtant, j’ai bien accueilli en moi chacun de ces univers aujourd’hui, simplement par le souvenir, les contacts par mail ou téléphone et surtout la superposition continue des mots et des langues.
La vie vous semble peut-être simple et vous êtes assuré de votre identité : ce que vous êtes, c’est ce que vous faites chaque jour, votre travail, vos trajets aller et retour.



La répétition et la quotidienneté, c’est ce qui fonde vos certitudes, assure votre équilibre. Ce qui fait que vous êtes sûrs d’être bien vous, d’être bien là hic et nunc.

Mais non ! Moi je suis convaincue qu’il s’agit d’une complète illusion. C’est une réalité qu’on refoule, mais, en fait, on passe tous son temps à voyager ailleurs et à s’identifier à quelqu’un d’autre. On s’accommode même très bien de vivre continûment à plusieurs niveaux : c’est l’exercice le plus pur, le plus inaliénable, de notre liberté. Il y a en chacun de nous un pouvoir extraordinaire de fragmentation et de multiplication de notre identité. La preuve : vous rêvez, lisez des romans, allez au cinéma… bref cherchez à fuir l’oppression de la réalité et à donner un sens esthétique à votre vie. Misérables sont les gens « à l’aise », bien dans leur peau et dans leur travail. Ils se privent d’une multitude de vies.

« Je est un autre », dit-on communément. C’est en fait beaucoup plus que cela : je est mille autres, dirais-je, tant est grande notre plasticité psychique qui nous permet de nous fondre à mille lieux et personnes différentes.



La vie est une superposition continue d’images et d’émotions contradictoires qui remettent sans cesse en cause notre stabilité.
S’ouvrir à cette multiplicité, c’est refuser le totalitarisme de l’Etat de droit et de l’identité imposée ; c’est repousser nos limites, notre finitude, au risque, évidemment, de sombrer dans la folie.





Martial RAYSSE, ancien chef de file des «nouveaux réalistes ». Ce qui est intéressant, c’est que, dans les années 70, il a totalement rompu avec cette période pour revenir à des formes plus classiques.

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