samedi 19 mars 2011

« Les guêpes piquent les visages qui pleurent »




Les Japonais sont généralement considérés avec suspicion.



En Chine et en Corée, ils sont même carrément détestés à cause du silence entretenu sur leurs crimes de guerre.





En Europe, on les juge énigmatiques, impénétrables, pour ne pas dire hypocrites. L’image est même celle de fourmis industrieuses, une multitude indifférenciée obéissant aveuglément, bref l’achèvement d’un monde orwellien.





L’extraordinaire attitude de la population durant les récents événements, son calme, sa dignité, est en train de corriger cette image. Aucune plainte, aucune revendication ; on se dit que les Japonais ont quelque chose de plus que nous, une force morale supérieure, une plus grande capacité à affronter la vie.



C’est sûr que le calme et la réserve des Japonais sont en décalage complet avec l’idéologie « moderne » qui prône la spontanéité et l’expressivité.





Je ne crois pas qu’Emmanuel Kant se soit jamais intéressé au Japon mais c’est un pays qui, sans aucun doute, l’aurait enchanté : la morale et la politesse y sont portées à leur degré le plus pur, celui d’une forme abstraite configurée par sa simple rationalité et totalement déconnectée de toute considération affective et émotionnelle.




Moi, je trouve ça admirable et d’ailleurs, dans ma vie personnelle et professionnelle, je m’attache à toujours être comme ça, toujours imperturbable, impassible, contrôlée. C’est pour moi l’assurance de n’être jamais vaincue dans une confrontation.


Il y a ainsi chez les Japonais une aspiration très forte au calme et à la sérénité avec une répugnance profonde pour le conflit, le désaccord. Mais l’ordre et l’harmonie ne sont pas recherchés pour eux-mêmes, ils sous-tendent surtout une vision esthétique de la vie ; et c’est vrai que l’on peut dire du Japon qu’il est le pays de la Beauté ; beauté peut-être pas immédiate, naturelle, mais plutôt beauté construite, façonnée, la belle synthèse, la belle épure, celle qui résulte de la rencontre de quelques éléments qui font tout à coup sens.



Mais la Beauté, l’harmonie, chacun sait que c’est provisoire, éphémère. Le Temps, c’est une porte qui tourne sur ses gonds, continuellement et brutalement réversible : tantôt la belle harmonie, tantôt l’horreur. Mais ce n’est pas ça qui doit inciter à changer d’attitude, suivant le battant qui nous fait face. Il faut atteindre une même maîtrise face à la beauté ou à l’horreur.



C’est ainsi que nous parvenons à vivre et à survivre.



A ce sujet, je vous invite vivement à lire ou à relire le petit livre de John HERSEY : « HIROSHIMA ». Par une curieuse coïncidence, on vient juste de le rééditer (Texto chez Tallandier). C’est « LE » livre qu’il faut avoir lu sur Hiroshima.

De sa lecture, on ne ressort pas indemne :


« Toutes les deux ou trois maisons, on entendait les cris de personnes ensevelies et abandonnées, hurlant invariablement, sans déroger aux formes de la politesse : « Tasukete kure ! Au secours, s’il vous plaît ! »



« Ceux qui avaient mal se taisaient ; personne ne pleurait, ni ne criait de douleur encore moins ; pas une plainte ; de tous ceux qui succombèrent, pas un seul ne mourut bruyamment ; les enfants même étaient muets ; très peu de gens parlaient. Et quand on donna à boire à certains blessés dont le visage disparaissait presque sous les brûlures, ils burent chacun à leur tour, puis, se soulevant un peu, firent une petite révérence pour remercier. »



Un pays où l’on crie : « Au secours, s’il vous plaît ! », c’est évidemment bouleversant ; c’est la forme achevée de la civilisation.


Fuco Ueda est une jeune illustratrice japonaise dont l’œuvre est déjà importante. Elle s’emploie à utiliser des couleurs acidulées qui contrastent d’autant plus avec des scènes de malaise. Je n’ai en fait sélectionné ici que de gentilles images.

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