samedi 22 janvier 2011

Le double

La question du double m’a toujours travaillée. Ca m’angoisse et me fascine. Je ne supporte pas que l’on me dise que je ressemble à quelqu’un. Et puis, il y a aussi la question de savoir si on n’est pas là à la place d’un autre : c’est le sentiment d’imposture ou l’incertitude sur sa propre réalité, sa propre existence.


J’ai cherché des réponses dans la littérature. Le double, c’est un thème littéraire fort du 19ème siècle, du moins en Europe Centrale. C’est l’une des figures de l’angoisse romantique.


J’ai été très marquée par mes lectures de Hoffmann (« Les élixirs du Diable »), Adelbert von Chamisso (« L’étrange histoire de Peter Schlemihl), Théophile Gautier (« La morte amoureuse ») et bien sûr Dostoïevsky (« Le double »). Freud s’est lui-même longuement penché sur la question dans son texte : « L’inquiétante étrangeté » (das unheimliche).



Le 20 ème siècle ne m’a pas tellement fourni d’aliment littéraire (à une exception notable : « Les météores » de Michel Tournier, un germaniste) mais le thème semble s’être déplacé sur la scène cinématographique. « Eyes wide shut » de Stanley Kubrick, « La double vie de Véronique » de Krzysztof Kieślowski et « Lost Highway » de David Lynch m’ont ainsi bouleversée.


Le double, c’est la dualité essentielle inscrite en chacun de nous. Ca me concerne évidemment beaucoup, moi Carmilla, tout à la fois impeccable bourgeoise et sulfureuse vampire.


Qu’on puisse être deux à la fois, ça heurte évidemment la pensée moderne convaincue de l’intégrité des corps et des âmes. On voudrait qu’on soit tous de composition simple, propre et nette. Mais on n’est même pas successivement blanc puis noir, l’un puis l’autre, Dr Jekyll le jour, Mr Hyde la nuit. Il y a plutôt une fracture permanente de notre identité, nous sommes continuellement parcourus d’impulsions contradictoires : la vie est un déchirement perpétuel.


Otto Rank, disciple de Freud, voit dans le double un signe avant-coureur de la mort et une figure de nos pulsions inavouées et coupables. Le double, ce serait un peu notre négatif et notre côté maléfique; il serait la traduction de l’attrait que nous éprouvons tous pour le mal mais aussi de la pulsion qui nous pousse à l’auto-destruction.


Mais il serait faux de penser que le mal et le bien s’opposent en nous comme deux entités radicalement distinctes. Ils sont plutôt imbriqués l’un en l’autre et se mettent au service l’un de l’autre. Le criminel et le saint entretiennent d’étranges parentés. Il faut le reconnaître : le bien ne suscite aucune émotion, aucun désir; seul le mal est attirant. Il est de plus omniprésent : la pulsion de destruction alimente le plaisir du criminel comme du saint.


C’est à partir de ça que s’explique l’histoire humaine, même si on a du mal à l’admettre. La folle ambiguïté des « braves gens » qui sont capables de devenir des tueurs indifférents, sans même éprouver de culpabilité, m’a moi-même toujours questionnée et c’est sans doute pourquoi je préfère être une vampire : au moins, je ne revendique pas ma bonté première. Je reconnais d’emblée mon caractère maléfique et je ne trompe donc pas les gens qui me fréquentent.



Clément Rosset (« Le réel et son double ») a complété le point de vue d’Otto Rank. Le double traduirait notre incertitude sur la réalité de notre être. C’est vrai que le double se manifeste comme une contestation de notre identité, il cherche même souvent à nous évincer et à prendre notre place comme dans le roman de Dostoîevsky.


L’apparition du double est alors liée au sentiment d’imposture si souvent éprouvé.



Ca me touche évidemment car je fonctionne beaucoup sur le fantasme de la toute puissance : être la plus belle et la plus forte. Etre sans défaut, au-dessus de toute critique, c’est comme ça qu’on devient immortelle et qu’on atteint une sorte de pouvoir absolu. Mais c’est sûr que pour parvenir à ce but, pour conquérir les hommes et les femmes, il faut éviter la grossièreté et agir avec subtilité. Et c’est quand on se sent proche de la maitrise que souvent l’identité vacille.


Natalie SHAU, la grande star de Vilnius (Lituanie), qui se met le plus souvent elle-même en scène, se dédouble, dans ses images. A la fois la même et différente

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