dimanche 25 décembre 2011

"Nights in white satin"


Une quatrième année écoulée pour Carmilla Le Golem.

Je continue donc d’exister même si ça n’est pas brillant mais ça ne me préoccupe pas plus que ça.

C’est vrai aussi que je suis partie de très loin. Les deux premières années, je devais figurer parmi les blogs les moins lus en France : je tournais royalement dans une fourchette de 0 à 10 lecteurs quotidiens. La vraie honte !


Parmi les rares lettres reçues à cette époque, une lectrice me disait que j’étais insupportablement prétentieuse et ennuyeuse. Quant à mes textes, on n’y comprenait tout simplement rien, on ne savait pas où je voulais en venir. Et puis mon érotisme macabre, c’était d’un puéril... Je devais être quelqu’un de sinistre et dépourvu d’humour.

Comme cette dame me concédait tout de même une esquisse de talent (j’écrivais le français sans trop de fautes), elle me conseillait de parler de choses plus simples et plus gaies : par exemple, les joies de la vie quotidienne ou les beautés de la culture slave (ses arts, sa littérature, son histoire).


Cette personne pleine de bon sens avait sans doute raison sur toute la ligne. Que je sois prétentieuse, c’est vrai. Plus précisément, sous des dehors affables, je suis très orgueilleuse. Malheureusement, on ne se réforme pas comme ça : ma vie décalée, elle me convient tout à fait. Que j’apparaisse sinistre et pas drôle ne signifie pas obligatoirement que je sois dépressive et malheureuse. Quant aux belles choses, ce n’est pas vraiment mon truc, ça ne m’attire pas plus que ça. Alors j’ai continué comme avant.


En 2010, il ya eu un frémissement dans la fréquentation de mon blog : une trentaine de lecteurs quotidiens et surtout plusieurs lettres reçues.

2011, ça a été une petite envolée : je suis brutalement passée à près de 100 lecteurs par jour et je reçois de plus en plus de courriers. A ce niveau, il paraît que ça commence à devenir honorable.


Mais le nombre de visiteurs, bien sûr, ça ne signifie pas grand-chose. On ne sait pas comment et pourquoi ils atterrissent sur votre site et puis ce n’est évidemment pas un indice de qualité.

La popularité, ce n’est de toute manière pas ma préoccupation. Je n’écris pas pour quêter l’assentiment ou pour épancher mes états d’âme et compenser les frustrations de ma vie quotidienne. Je suis en fait très heureuse dans ma vie.


Je n’ai de plus aucune ambition ni littéraire ni artistique. Si j’avais tout de même une prétention, une ironie, ce serait de montrer qu’on peut travailler dans le monde de la finance en n’étant pas complètement inculte.

Sinon, c’est de la distraction pure. Vous avez peut-être noté que je postais, imperturbablement, chaque week-end. C’est mon côté systématique, mon refus de me laisser dominer par les contingences. J’essaie d’écrire très vite (vous allez me dire que ça se voit), d’un seul jet, de la manière la plus synthétique possible (c’est le plus dur).


Je suis quelqu’un d’hyper construit et mon blog est comme moi. L’aspect formel y est important. J’essaie d’abord de produire quelque chose d’assez esthétique. Ensuite, il s’agit du fond et là, il s’agit surtout pour moi de combattre, quitte à forcer le trait, ce dont j’ai horreur : les idées reçues, les habitudes de pensée.


Je voudrais enfin clore cette année en vous remerciant, vous mes lecteurs. Je connais une vingtaine d’entre vous grâce aux mails échangés. Ce qui m’a agréablement surprise, c’est que vous êtes très différents du public auquel je m’attendais. Je croyais qu’un blog de vampire n’attirerait que des farfelus ou des ados allumés de Twilight. Pas du tout : vous êtes tous cultivés, sérieux, pondérés, curieux du monde et de la vie. Beaucoup d’étudiants mais aussi beaucoup de dames d’un certain âge. C’est ce qui me fait le plus plaisir parce que c’est le plus inattendu.


Un choix d’images de graphistes polonais : Radoslaw Szaybo, Andrzej Pagowski, Wieslaw Walkuski, Rafal Olbinski et deux peintres russes, Tatiana Deriy et Valeriy Belenkin.



Enfin, je vous livre deux images de ma table de Noël avec l’un des cadeaux qui m’a été offert. C’est une poupée Lanvin qui m’a enchantée parce que c’est tout à fait moi.

dimanche 18 décembre 2011

Les tribulations de la grande ourse



J’ai suivi, bien sûr avec attention, les commentaires relatifs aux événements post-électoraux en Russie.


Ca m’a bien sûr énervée parce qu’on ressassait cette rengaine : des Mongols à aujourd’hui, les Russes ont toujours vécu sous un régime autocratique et ils sont trop habitués à ce système. Mieux, ils aiment ça et d’ailleurs le mot « slave » ne vient-il pas d’esclave ? Leur caractère fantasque et vénal les rend, de toute manière, inaptes à la démocratie. Le knout, les oukases, mots étrangement passés dans la langue française, c’est ce qui leur convient.


Il faudrait peut-être réviser ces conceptions de l’histoire : l’âme slave, ce sont des bêtises et il n’y a plus que les touristes et les clients des agences matrimoniales pour y croire encore. Le goût pour l’autorité n’est de toute manière pas inscrit dans les gènes et les Russes, pas plus que les autres peuples, n’aiment la répression. Quant à la démocratie, aucun pays ne peut vraiment s’en prévaloir parce ce n’est pas un état stable mais une remise en jeu continuelle.



Alors pourquoi cette énigme ? Pourquoi la Russie n’est-elle toujours pas, vingt ans après, un pays démocratique ?


Voilà mes petites idées sur la question.


- Il y a d’abord, il faut bien le reconnaître, une responsabilité propre de l’Occident. Gorbatchev et Eltsine avaient entamé un rapprochement de la Russie avec l’Ouest. Une évolution politique démocratique se profilait à cette époque. Mais on a rapidement adopté une politique dure vis à vis de la Russie : on l’a rejetée et on lui a, absurdement, fermé la porte de l’Europe (j’aimerais d’ailleurs qu’on me dise en quoi la Russie n’est pas européenne).


Sans doute, les Etats-Unis redoutaient-ils un rapprochement Russie-Europe qui aurait bouleversé l’échiquier mondial et on a donc préféré perpétuer la politique d’affrontement entre blocs, à l’anglo-saxonne. C’est comme ça que les Etats-Unis ont cherché à encercler la Russie en prenant position sur tout l’axe turc, des Balkans à l’Asie Centrale (jusqu’à Bakou, Achkhabad, Samarkand, Bichkek, Astana). Comment s’étonner ensuite de la résurgence du nationalisme en Russie, accentué, il est vrai, par les guerres tchétchènes ?


- Le second problème est interne. Il n’existe aucun leader d’opposition crédible en Russie. Kasparov et Limonov sont sympathiques mais folkloriques. Quant à Mironov (Russie Juste), Jirinovski (Parti Libéral-démocrate), Ziouganov (Parti communiste), Iavlinski, Dounaïev, Sémiguine, Gryzlov, c’est carrément l’horreur. C’est sûr que ce vide total de l’opposition a été organisé par Poutine lui-même mais c’est justement en train de se retourner contre lui. Les Russes n’ont pas supporté l’arrogance avec la quelle il avait organisé sa réélection pour 8 années supplémentaires.


- Le dernier problème, c’est la malédiction du pétrole. L’avènement de Vladimir Poutine, en l’an 2000, a coïncidé, il faut le rappeler, avec une extraordinaire envolée des prix du pétrole. Ca s’est traduit bien sûr par un boom économique un peu artificiel (immobilier en particulier) et une hausse spectaculaire du niveau de vie et de la consommation. Les grandes villes russes n’ont plus grand-chose à envier aujourd’hui, il faut le reconnaître, avec les capitales occidentales.


Mais tout ça s’est fait sans effort, sans réorganisation sociale et industrielle, en puisant simplement dans le pactole pétrolier. Et cet argent qui coule à flots, ça donne bien sûr lieu à une immense corruption et à une confiscation de la richesse par une caste de privilégiés et oligarques. Il est ainsi encore assez facile de faire rapidement fortune en Russie avec quelques opérations de rapine et un bon entregent.


Ca n’a rien à voir avec l’esprit entrepreneurial d’un homme d’affaires, c’est de la simple spéculation et du détournement de fonds qui n’apportent rien à l’économie du pays. Le sentiment général est ainsi que la Russie est aujourd’hui administrée par une classe de voleurs et que le pouvoir ne se maintient que par un pacte des corrompus. C’était la signification des récentes manifestations. Le peuple russe ne lâchera probablement pas mais c’est sûr que la bataille sera rude parce qu’un certain nombre de gens ont une peur terrible d’un renversement du système.


Tableaux de Victor Safonkin, peintre surréaliste russe.

dimanche 11 décembre 2011

Working time - La vie extirpée



Le monde du travail, c’est généralement considéré comme le contraire même de la vie : une prison, un bagne où on aliènerait sa liberté à se coltiner des supérieurs, des collègues. On perdrait sa vie à la gagner.


C’est sûr que c’est une souffrance mais on peut considérer aussi que la vie professionnelle, c’est vraiment extraordinaire.


Loin de moi l'idée qu'on "s'épanouisse" dans le travail mais c'est sûr que ça fait vaciller nos certitudes et ça conduit à remettre sans cesse en cause son identité, sa personnalité. On ne s'y exprime peut-être pas mais du moins on s'y construit.


Qui suis-je vraiment en effet ? Tant que l’on vit dans le monde de l’enfance, de l’adolescence ou en dehors du monde du travail, on a tendance à se croire quelqu’un d’extraordinaire que, forcément, tout le monde ne peut qu’aimer.



Quand on commence à travailler, on découvre rapidement que non seulement on n’est pas si extraordinaire que ça mais qu’en plus, beaucoup de gens ne nous aiment pas, voire nous détestent.


Le travail, c’est vraiment une terrible épreuve narcissique et c’est un affrontement permanent avec les autres et avec soi-même.


Peu de gens acceptent d’ailleurs la lutte et tirent toutes les leçons de l’expérience. L’attitude générale est plutôt celle du déni et du repli sur ses certitudes. On continue de se prétendre exemplaire et sans tâche dans l’exercice de ses fonctions. Les difficultés, elles sont imputées aux autres, les collègues, le patron, mais rarement à soi-même Sa propre insuffisance, sa propre capacité à nuire, on refuse de les considérer.



Mais que serait la vie sans la remise en cause, l’affrontement, la lutte pour la reconnaissance ? Ca vaut pour le monde du travail comme pour la relation amoureuse.

Des blessures du travail, je crois que l’on peut aussi retirer une force, arracher une identité. Apprendre à vivre tout court et peut-être même plus intensément.


A titre d’illustration, voici une petite chronique de ma vie quotidienne.

En ce moment, dans ma boîte, ça va plus ou moins bien.



Depuis mon arrivée, le déficit a doublé.

Peut-être que j’en suis entièrement responsable et peut-être qu’on me débarquera sans ménagement l’an prochain.



Mais peut-être aussi qu’on a touché le fond et qu’on va entamer le grand retournement, le « recovery » que j’ai impulsé.


A vrai dire, je ne sais pas moi-même si, à moyen terme, on va se casser royalement la gueule ou si on va s’en sortir miraculeusement.


Evidemment, beaucoup de gens disent que je suis nulle; d’autres au contraire, peu nombreux il est vrai, me considèrent comme une championne.


Un tract syndical m’est consacré à la suite de la présentation de mon plan de redressement financier.


C’est très acéré. On commence par dire que, pendant toute cette année, j’ai poursuivi une politique de casse systématique de l’entreprise.

Ensuite, on fait mon portrait : je suis d’abord mesquine ; ensuite ignoble ; enfin impitoyable; touche finale, j’adore les ragots.


C’est sûr que tout ça n’est pas très flatteur. Qu’est-ce que je peux en penser ? Pas grand chose. J’ai le sentiment qu’il s’agit largement d’un jeu de rôles, d’un théâtre. Mais c’est vrai aussi que ce qui me barbe profondément, c’est de rencontrer les syndicats.


Avec mes collègues, ça va. Ils sont gentils, aimables. Mais comme je suis conseillère du DG, je pense qu’ils me considèrent comme une arriviste. Et comme ils se méfient sans doute de moi, ils n’osent pas me parler. D’ailleurs, on ne se fréquente pas et on ne sort jamais ensemble.


Au sein de mon service, j’assiste, sans intervenir, à des querelles et conflits quotidiens. Qui peut croire que les gens ont envie de collaborer et travailler pour un objectif commun ? Le vrai plaisir, c’est de se détester et se haïr.


Récemment, des journalistes locaux sont venus m’interviewer. Curieusement, on m’a demandé si j’étais fière de mes fonctions, de mon travail et si je me sentais blessée quand on attaquait mon entreprise.


Fière ? Ouh la la ! non pas du tout. La vie professionnelle, c’est tellement étrange, c’est fait de tellement de bifurcations et de hasards qu’il faut vraiment être bien présomptueux pour attribuer sa réussite à ses seuls mérites.


Des mérites…, je crois surtout que j’ai eu beaucoup de chance et je sais que mon destin s’est, à plusieurs reprises, joué sur un coup de dés. Je suis certes là aujourd’hui mais j’ai en même temps conscience que je pourrais tout aussi bien végéter misérablement, intellectuelle précaire, si le hasard en avait décidé autrement.


Ce hasard, j’essaie de l’assumer aujourd’hui à ma manière. La violence du monde professionnel, ça ne me touche pas plus que ça. Les aspects émotionnels, j’en fais abstraction. Et puis je ne veux pas répondre à la violence par la violence. Alors, je n’ai qu’une attitude : le détachement, l’impassibilité. Il est réconfortant de réguler sa vie par quelques grands principes, d’adopter quelques règles de conduite. C’est mon côté kantien ou japonais, c’est comme ça qu’on touche à la sérénité. Au prix d’apparaître évidemment totalement indécryptable.



Images d’Enki BILAL

dimanche 4 décembre 2011

Here comes the night


Plein de bons livres viennent de sortir ces dernières semaines. En bonne accro de l’actualité, j’essaie toujours de suivre. Alors voilà ce que j’ai lu et aimé au mois de novembre.


Je n’en parle pas, bien sûr, pour faire de la critique littéraire mais tout simplement parce que les livres que vous aimez vous traduisent et vous définissent. Ils sont votre reflet et votre forme.


Des romans :


Pierre Lamalattie : « 121 curriculum vitae pour un tombeau ». Pour moi, c’est la révélation de cet automne. On a bien sûr souligné la proximité avec Michel Houellebecq, mais un Houellebecq hilarant, plein d’humour. La banalité et la grisaille de la vie moderne, avec son ridicule et ses tics de langage et de pensée. Les paradoxes d’un monde en apparence libre et démocratique où plus rien n’est interdit, où tout est possible mais où triomphent la bien-pensance et le conformisme. La panne du désir et de l’idéal.


Hubert Klimko : « Les toutes premières choses ». Hubert Klimko, « l’étoile montante de la littérature polonaise. Un voyage initiatique hilarant peuplé de tranches de vie loufoques et bouleversantes, sur les routes d’Allemagne, d’Angleterre et d’Islande. »



Robert Menasse : « Don Juan de la Manche ». Un grand écrivain autrichien, c’est donc noir et lucide. Un faux roman d’apprentissage ayant pour sous-titre « l’éducation du désir ». C’est en fait un récit de l’échec et du ratage sexuel et amoureux ; une réflexion sur l’amour et la différence des sexes qui évoque Woody Allen et Philip Roth.



Des récits de voyage :


Richard Millet : « Eesti – Notes sur l’Estonie ». L’Estonie, je crois que c’est complètement nébuleux pour les Français. Richard Millet restitue bien justement l’ambiance du pays, sombre, mystérieuse et magique.


Aude Seigne : « Chroniques de l’Occident nomade ». Une jeune suissesse bourlingueuse, prix Nicolas Bouvier 2011. Ca fait effectivement penser à Nicolas Bouvier. C’est poétique, magnifiquement écrit, on tourne dans tous les pays du monde et on parle d’amour et de rencontres.



Politique – Histoire




Hans Magnus Enzensberger : « Le doux monstre de Bruxelles ou l’Europe sous tutelle ». Je suis une fan d’Enzensberger. J’ai adoré « Une femme à Berlin », « Le perdant radical », « Hammerstein ». Il s’agit cette fois d’une charge violente contre non pas l’Europe mais les institutions européennes. Cette technocratie ubuesque qui n’a d’autre préoccupation que d’étendre sans cesse ses prérogatives et de réglementer les aspects les plus anodins de notre vie quotidienne. Le problème est que cette administration kafkaïenne est pleine de bienveillance et nous confisque tout pouvoir d’initiative. La vie sous tutelle, celle de gens impotents et ignorants, c’est ça l’horizon européen. A lire d’urgence à un moment où les tensions sur l’euro et son éclatement possible mettent en évidence la propre incompétence des technocrates de Bruxelles.


Ira de Puiff (Ира де ПЮИФФ ( во девичестве Шишкина )) : « Back to U.R.S.S. Mémoires d’une jeune femme russe ». J’ai vraiment bien aimé ce livre, écrit par une jeune Russe très sympathique maintenant figure de la vie parisienne, qui nous change des faux reportages misérabilistes occidentaux. Il corrige beaucoup d’idées reçues et donne une vision assez juste de la vie sous Brejnev, Gorbatchev, Eltsine. Mes réserves : on a presque l’impression qu’Ira de Puiff est nostalgique, ce qui n’est évidemment pas soutenable.


Delphine Minoui : « Tripoliwood ». Delphine Minoui est une grande spécialiste du Moyen-Orient. Ses livres et ses articles offrent toujours un point de vue original, étonnant (cf. « Les pintades à Téhéran »). « Tripoliwood », c’est le récit d’un étrange voyage à Tripoli, effectué au printemps dernier. Presque un roman d’espionnage, angoissant, comique et surréaliste.



Fariba Hachtroudi : « Ali Khamenei ou les larmes de Dieu ». Ali Khamenei, je ne suis pas sûre qu’on connaisse, en France, son existence. Pourtant, c’est lui le véritable homme fort de l’Iran, le « guide suprême » infaillible, nommé à vie, successeur de Khomeini. Un personnage totalement mystérieux qui refuse absolument tous les entretiens (journalistes, hommes d’Etat, diplomates) et qui vit retranché dans une espèce de forteresse, rue Pasteur à Téhéran. Ali Khamenei est bien sûr un effroyable tueur, l’artisan de la terreur sacrée. La rumeur court aujourd’hui d’un conflit entre Ali Khamenei et Mahmoud Ahmadinedjad. Un livre glaçant qui décrit bien l’horreur criminelle du régime de Téhéran. Un livre d’actualité au moment d’un désengagement militaire allié en Afghanistan et en Irak.


Felix Rohatyn : « Un banquier dans le siècle ». On déteste tellement les financiers en France que peu de gens liront le livre de Felix Rohatyn. Pourtant, il a, à sa manière, façonné l’histoire du monde. Felix Rohatyn a eu un destin exceptionnel : juif polonais, il a vécu en France durant son adolescence. Il a réussi à gagner les Etats-Unis pendant la guerre. Il a ensuite travaillé aux côtés d’André Meyer, autre génie français de la finance, à la banque Lazard à New-York. Il a initié toutes les grandes opérations financières du capitalisme mondial et a terminé sa carrière comme ambassadeur des Etats-Unis en France et conseiller de Bill Clinton.



Tableaux principalement de William Degouve De Nuncques, peintre symboliste belge, mais aussi de Jakub Schikaneder, Csontvary, Levy-Dhurmer, Jozsef Rippl-Ronai, Daniel Boudinet et Konstantin Ciurlonis..

dimanche 27 novembre 2011

« The heart is deceitful above all things »


Comme je l’ai déjà dit, je vis, par choix, absolument seule.

Ca n’est rompu que par quelques amants, amantes mais ça ne dure jamais plus que quelques jours. Je ne suis pas capable de m’encombrer de sentiments et ça suffit à mon hygiène psychologique.



J’ai tout de même une amie très proche, Daria. On se ressemble de manière troublante : elle est comme moi, une vraie vampire tout droit venue d’Europe Centrale. Elle est évidemment foudroyante, « love at first sight », et est encore plus détachée que moi des préoccupations matérielles.



Bien sûr, il nous est arrivé, après avoir un peu bu, de coucher ensemble, histoire d’apaiser notre nostalgie du pays natal, mais ça n’est pas l’objet premier.


Notre grand plaisir, c’est de nous retrouver certains samedis soir pour aller festoyer dans notre restaurant favori, un japonais, le Kifune. On se fait bien sûr magnifiques, maquillées, habillées et c’est un plaisir immense de se sentir épiées, scrutées, déshabillées. Savourer le plaisir de la beauté, de la souffrance qu’elle suscite chez les autres.


Avec Daria, je retrouve avant tout mes cadres, mon imaginaire. D’abord, on peut se parler en mélangeant les langues. Ca peut sembler bizarre mais ça m’énerve toujours un peu quand je dois me limiter au français pour échanger. Je perçois ça comme un appauvrissement.


Alors, de quoi deux nanas slaves se parlent-elles ?


D’abord de choses futiles, insignifiantes : les fringues, le look, le shopping. C’est le plaisir de la légèreté, de la superficialité de la vie, la jouissance aussi à posséder les instruments triviaux de la séduction. Et puis même si ça peut offusquer, il faut bien reconnaître qu’il y a un abîme, pas seulement érotique mais aussi mental, intellectuel, entre une fille qui porte de la lingerie La Perla et une autre avec des sous-vêtements Monoprix.




Ensuite, c’est notre imaginaire géographique, historique. On n’arrête pas de revenir en Russie, en Pologne, en Allemagne. Et puis, ce sont nos projets de voyages, et nos récentes découvertes. Ce qui nous intéresse évidemment, ce n’est pas la Méditerranée mais c’est l’Asie Centrale, le Moyen-Orient, le Japon.




Enfin, on termine avec les choses sérieuses, toutes nos histoires sentimentales, les amants, amantes qu’on a eus récemment. C’est une vraie compétition entre nous : ce n’est pas tellement qu’on soit des serial-killeuses mais c’est vraiment à celle qui aura vécu l’aventure la plus extraordinaire.

C’est vrai qu’on est détachées des grands idéaux amoureux et pour ça on est bien Russes. Ca peut sembler cynique mais je crois qu’il y a vraiment deux manières pour une jeune femme de considérer la vie sentimentale :



- soit brider celle-ci et canaliser son imaginaire en le cristallisant sous la forme du grand amour mais on sait bien que la belle image se fissure rapidement;


- soit considérer le monde émotionnel comme le champ illimité de l’apprentissage et de la découverte de la vie.



C’est évidemment la seconde voie qui rencontre mes faveurs. Je n’ai jamais été préoccupée par la recherche de l’âme sœur, du compagnon idéal. De toute manière, je me sens toujours en décalage et j’ai rarement le sentiment d’un véritable échange possible avec les autres.



En revanche, j’ai toujours été tourmentée par cette interrogation : qu’est-ce que ça peut donner de vivre réellement ça ? Ca : tout ce qui est en dehors de la banalité quotidienne, ce monde brûlant, horrible et sublime, qui revient sous forme de rêves et fantasmes, qui nous obsède et nous dévore. Pour y accéder, il faut faire fi des critères normaux de la séduction et des rapports humains normalisés pour s’ouvrir aux rencontres les plus diverses : hommes, femmes, vieux, jeunes, beaux, moches, puissants, misérables. C’est l’attrait de l’inconnu, du basculement, du jeu avec le feu.



En effet, ce qui est intéressant dans la vie, ce n’est pas ce que vous maitrisez mais c’est ce qui vous échappe, vous fait vaciller.

C’est rarement reluisant mais l’important, c’est que ce soit inattendu, singulier, que ça vous surprenne vous-mêmes. Bien sûr, ça ne doit pas durer, pas plus qu’une soirée, quelques jours. C’est le plaisir trouble de la perte de son identité, de la blessure narcissique. C’est délicieusement humiliant.


Une femme se fait d’autant plus belle, plus inaccessible qu’elle sait qu’elle sombrera tout à coup dans ce qui la submerge, dans l’illimité du désir.


Une femme ne fait pas l’amour avec son copain (de copain, elle n’en a d’ailleurs jamais) mais avec la mort, le vide. Ce sont des sentiments mêlés de déchéance et de triomphe. Ce terrible plaisir de la chute, de l’avilissement, du mal et de la gloire qui s’ensuit.




Des illustrations diverses de la féminité russe perçue par de jeunes photographes : Anka Zhuraleva, Kyril Samurskiy,Rulon Oboev, Ilya Rashap, Micha Pawlikowsky, Sakharanov, Sonya Kozlova.