samedi 16 octobre 2010

L’exercice du pouvoir et la lutte pour la reconnaissance


Qu’on le veuille ou non, même si le propos peut apparaître réactionnaire, l’une des clés principales de compréhension de notre psychologie est notre situation sociale et professionnelle. Et surtout notre relation au pouvoir, suivant qu’on l’exerce ou le subit.

Là-dessus, il y a un non-dit absolu car cela choque trop les idéaux égalitaristes. Les humiliés ressassent leur rancoeur mais trouvent leur compte dans une position victimaire ; les « décideurs » ou bien sont indifférents, arrogants ou bien se sentent « coupables ».

Moi, j’ose aujourd’hui l’écrire : je suis du côté de l’exercice du pouvoir. J’ai déjà travaillé dans plusieurs grandes entreprises en tant que DAF. Aujourd’hui, je ne vous dirai évidemment pas ce que je fais mais ça a bien sûr toujours à voir avec la finance.



Je n’en tire aucune fierté, ce n’est pas un destin que l’on choisit et ça ne veut pas dire que l’on a un goût particulier pour le pouvoir. En France, on se trouve généralement propulsé là un peu par hasard, à la suite de circonstances heureuses : la réussite aux concours de ce que l’on appelle les grandes écoles. Je considère que j’ai eu beaucoup de chance.

Quoi qu’il en soit, une barrière s’abaisse brutalement et celle-ci est dans toutes les têtes. Il faut s’habituer à être considérée avec méfiance et suspicion.

Au début, c’est évidemment agréable. Tout le monde est souriant, agréable; on s’empresse autour de vous. Vous pouvez avoir l’impression d’être devenue extraordinairement séduisante. Mais vous vous rendez rapidement compte qu’il s’agit d’une politesse forcée et que vos rapports humains sont tous faussés par la relation hiérarchique.


Mais c’est vrai aussi que vous focalisez l’attention et vous pouvez devenir très vite paranoïaque. Il faut ainsi apprendre à vivre sous le regard des autres et c’est très perturbant. Se sentir continuellement épiée, surveillée, déshabillée. Savoir que vous alimentez une bonne part des conversations à la cantine ou en famille. Les multiples anecdotes rapportées, les horreurs racontées… Ca vous incite évidemment à une prudence de sioux et ça vous conduit à entretenir une distance continuelle avec les autres. Surtout pas de copinage, ne jamais se livrer, ne jamais parler de soi.


Du reste, ce que vous apprenez très vite, c’est que vous ne pouvez nouer aucune relation amicale au sein de votre entreprise. Je ne parle pas de vos collègues du comité de direction qui rêvent de vous éliminer et avec les quels vous êtes généralement en guerre permanente. Je parle surtout des relations avec ceux qui vous sont subordonnés.




C’est le thème bien connu de la solitude du pouvoir. C’est une rançon inévitable et c’est surtout une mesure de précaution élémentaire : il ne peut y avoir de relation désintéressée avec vous et vous courez les plus grands risques en vous rapprochant de quelqu’un. Tôt ou tard, cette personne cherchera à vous nuire ou à tirer vengeance. Je me suis ainsi assez largement reconnue dans les personnages de Kristin Scott-Thomas et Ludivine Sagnier du dernier film d'Alain Corneau.

Sachez le, vous êtes enviée et haïe à la fois. Vos collaborateurs ne travaillent d’ailleurs pas pour que vous réussissiez ou vous donner satisfaction. Ils travaillent plutôt à votre perte. Personne n’aime le succès des autres. Leur rêve véritable, c’est votre échec, l’écroulement, le scandale, la faillite.

D’ailleurs, votre sentiment de solitude est accentué par le fait qu’à la différence de tous les autres salariés, vous ne pouvez pas vous construire psychologiquement en opposition à un Grand Autre, responsable de vos malheurs, votre patron. Pas de figure exutoire, c’est vous qui êtes seule responsable.




Je terminerai sur une note amusante : une femme qui exerce un pouvoir, ça n’augmente pas du tout son attrait érotique à la différence de ses collègues masculins. Ca a plutôt un effet réfrigérant et tétanisant sur les hommes. Dans l’entreprise, personne ne vous drague ou ne vous invite. Ce n’est peut-être pas la peur, c’est plutôt un sentiment de malaise par rapport à un basculement des rôles.

Voilà ! Je vous apparais sans doute bien noire et cynique. Je pourrais encore en rajouter et vous parler de ma souffrance, des humiliations que, moi aussi, je vis, de ma fatigue, de l’angoisse qui me ronge, de la réduction à la portion congrue de ma vie privée. Tout cela, en fait, c’est, hélas, le lot de toutes les personnes qui travaillent.


Mais quoi ? Souhaiterais-je la vie anonyme d’une banale salariée, où je gagnerais en calme et tranquillité ? Non bien sûr, pas du tout ! Ce n’est même pas une question financière. C’est d’abord le sentiment de vivre plus intensément, plus fortement, d’échapper à la grisaille et l’ennui du monde.

C’est d'abord se sentir forte, capable de maîtriser et dépasser le réel; c'est aussi se sentir plus libre, plus détachée, échappant aux pesanteurs des relations affectives et aux contraintes de la vie quotidienne. C’est moi qui choisis mes amis et si j’ai envie de m’acheter quelque chose, ce n’est vraiment pas un problème.


Surtout, c’est se sentir différente, ne pas être comme les autres; c’est bénéficier d’une reconnaissance et d’une espèce d’élection. Narcissiquement, c’est très puissant.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. De quoi avons-nous en fait avant tout besoin ? De reconnaissance. De nous sentir singuliers et élus. Avant même le besoin de dominer, c’est la motivation première de la compétition pour le pouvoir.



Josef Maria AUCHENTALLER – un sécessionniste viennois aussi important que Klimt mais beaucoup moins connu.

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