samedi 4 septembre 2010

Le voyage, le désir et l’Empire


Toujours bouger, sans cesse se déplacer, mais ça n’a pas grand-chose de touristique.

Voyager, c’est chercher à accélérer le rythme de la vie; c’est une expérience mentale où l’espace, le temps, la géographie, l’histoire se superposent, se confondent.

De Varsovie, j’ai dégringolé jusqu’à Kharkov (Харкiв ou Харьков). Je dois bien être à 3 000 kilomètres de Paris. C’est au fin fond de l’Ukraine.

Un voyage épuisant et infini dans des trains surchauffés. J’ai toujours dans la tête le rythme lancinant du claquement des roues sur les rails.

Je suis arrivée hébétée de fatigue, après deux nuits de train. Mais je crois aussi être, ce jour là, extatiquement belle, dans un surlignement presque vulgaire de mon apparence : une pâleur accentuée par le manque de sommeil, la balafre sanglante d’un rouge à lèvres, une chevelure comme javellisée par le soleil. Et puis des vêtements aussi éclatants que le ciel chauffé à blanc.


Heureusement, dans le train, j’ai pu dévorer le livre, ancien best-seller en Russie, de Viktoria Mironova. Je suis encore toute imprégnée de sa lecture. Evidemment, je me pose des questions sur la façon dont on a traduit ce bouquin, parce que le titre français c’est : « Adieu Saint-Pétersbourg » (éditions Anatolia) et le titre original russe, c’est, plus simplement, « lettres à Lenoussik ».





Enfin, lisez absolument ça. Ca vous en apprendra mille fois plus sur la Russie que les livres mortellement ennuyeux et en dehors des réalités d’Hélène Carrère d’Encausse.


Je vous livre quelques phrases :

« Qui a donc dit qu’on avait l’obligation de se marier, d’avoir des enfants, des chats, des chiens, des oiseaux ? Nous naissons et nous mourons seuls. Nul n’est tenu à rien. Etre libre, c’est non seulement pouvoir choisir mais aussi pouvoir refuser. Sans explications ni justifications. Un loup affamé dans des étendues froides et désertes est beaucoup plus séduisant à mes yeux qu’un petit chien de compagnie avec son collier et sa laisse. Et même si le collier était en diamants, cela ne changerait rien ».

Viktoria confie avoir eu, en toute légèreté, plus de 150 amants. Je trouve ça merveilleux. Vite, il faut que je la rattrape. Mais moi, je panache les hommes et les femmes.

Je médite ça du fond de ma nouvelle retraite. Evidemment, je ne crois pas que vous irez me chercher jusque là-bas et d’ailleurs je ne vous conseillerais pas d’y venir parce que Kharkov, ça n’a pas beaucoup d’intérêt.



Sauf si on veut avoir une idée de ce qu’était une grosse ville de province de l’ancienne U.R.S.S..

Ce qui est curieux quand même c’est qu’il y a, dans cette ville, de nombreux bâtiments issus du constructivisme russe. Dans les années 20-30, Kharkov a même été l’un des centres européens du constructivisme. Le pape du constructivisme, Vladimir Tatline (Владимир Татлин), qui a influencé le Bauhaus et l’art cinétique, officiait à Kharkov. Pour Tatline et ceux qui l'entourent (Rodtchenko,Александр Родченко, Lissitzky, Лазарь Лисицкий), l'art est au service du peuple et doit donc être le messager du pouvoir communiste.

Certes Maîakovski (Владимир Маяковский) et Malevitch (Казимир Малевич) ont complètement récusé ce point de vue, au prix même de leur vie.

Ca me plonge néanmoins dans des abîmes de perplexité. Les années 30, c’était aussi la grande famine en Ukraine et l’apogée de la terreur stalinienne.

Dans le même temps, des théoriciens portaient l’art à son formalisme le plus élevé.





Je ne sais pas quelle conclusion en tirer parce que le constructivisme, c’était tout de même effectivement quelque chose de révolutionnaire. Mais on ne peut évidemment pas manquer de s’interroger sur sa relation avec le pouvoir politique en place. Comme d’ailleurs celle de toute la création artistique contemporaine.


Ce qui est sûr, c’est que le pouvoir manie l’abstraction et les idées désincarnées.

Les révolutions, elles, elles se font au nom des passions, des sentiments, des désirs. Ca n’a rien d’angélique non plus parce que les passions c’est aussi la haine et la vengeance.



Enfin,... le communisme a récemment été abattu pacifiquement ; ou plutôt, il est tombé de lui-même, non pas parce qu’il était un Etat répressif mais tout simplement parce qu’il était incapable de plaire, de séduire, de faire rêver. On s’ennuyait mortellement, voilà tout.


J’illustre ce propos avec cette photo que j’ai faite à Varsovie, confrontant Lénine à la célébrissime mannequin polonaise, Daria Werbowa (que l’on connaît plutôt, en langue internationale, sous le nom de Daria Werbowy). C’est sûr que tout était inévitablement foutu. Car qui peut rêver de Lénine ? Mais Daria Werbowa, en revanche…qui n’a pas envie, homme ou femme, de se damner pour elle ?



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