samedi 25 septembre 2010

« La terre est plate » : le mal comme banalité


Evidemment, je suis Houellebecquienne.

C’est vrai, la vie, notre vie, est prosaïque et cynique. C’est la rançon de l’immanence, du désenchantement.

Sur Michel Houellebecq, je ne vais bien sûr pas chercher à en rajouter aux torrents critiques récents et je me contenterai d’évoquer quelques filiations, en rapport avec mes derniers voyages : Arthur Schopenhauer d’abord, originaire de Gdańsk (Danzig); Nicolas Gogol ensuite. Il faut en effet rappeler que Michel Houellebecq apprécie, même s’il les connaît très mal, la féminité russe (évoquée, de manière caricaturale, par Olga dans « la carte et le territoire) et la Russie contemporaine, ce qui n’est pas si commun en France.



Schopenhauer, donc :

Le réel est inatteignable. Il n’y en a que des représentations et singulièrement, en nos temps modernes, que des images banalisées, standardisées, bref que des stéréotypes.

Du réel, nous n’appréhendons que le retour toujours semblable de formes monotones, vidées de toute substance, dépourvues de toute profondeur. Formes insistantes de l’ennui et de la vacuité, de l’éternel retour du même, telles les figures suspendues des tableaux d’Edward Hopper.



C’est vraiment d’un romantisme désuet ou c’est de la prétention que de croire qu’il existe des identités, des individus, des héros. Il n’y a qu’un réel insupportable, des manifestations infiniment répétées d’une puissance inconsciente, le Vouloir. L’homme n’est qu’une simple expression mécanique de ce vouloir, sans intention et sans fin. L’Histoire n’existe pas. Il n’y a que la ritournelle infinie d’une horloge, remontée à chaque naissance, avec des variations infimes.

Notre monde est devenu celui de la vérité et de la transparence. Cela a eu pour conséquence une banalisation et un appauvrissement de l’imaginaire. Ne subsistent que la pensée commune et la vulgarité mondialisée.


Basculement dans l’insignifiance, disparition du tragique.

Dans ce monde vitrifié, comment l’art, la beauté sont-ils encore possibles ?

Réponse de Michel Houellebecq : la copie, le simulacre, est plus intéressante que l’original.

Il faut aller jusqu’au bout de la logique du Vouloir Schopenhauerien : faire des copies de copies de copies pour vider complètement le monde du tragique, pour atteindre à la beauté de la synthèse absolue.



Gogol ensuite :

La proximité de Houellebecq avec Gogol est évidente. Une même attention portée aux scènes de la vie quotidienne, à tous les personnages, humbles ou puissants, de la comédie humaine, ses acteurs tous grotesques et lamentables.



Ce n’est pas seulement une fresque vivante et moderne, une peinture de la vie en société. C’est surtout cette vision profonde que le Mal ce n’est pas seulement la transgression d’un interdit à la façon de Dostoïevsky.

Le Mal, c’est aussi, de manière simple et prosaïque, cette absence de tragique qu’a diagnostiquée Schopenhauer.



Le Mal, c’est la banalité, l’ennui, la répétition, la routine.

Le Mal, c’est le monde moderne, ses armées de bureaucrates bien-pensants, zélés et serviles, ses « hommes sans qualités », ses serviteurs pusillanimes et mesquins.

Le Mal, c’est l’obéissance, la compliance; c’est la servitude volontaire et heureuse.



Rimel NEFFATI (photos non libres de droits) – immense photographe qui a largement inspiré ce texte

samedi 18 septembre 2010

Il est mort, le soleil…

Enfin ! L’été, cette saison stupide, est à l’agonie…

Finies la lumière blessante, les nuits trop courtes. A moi l’ombre et le froid, je peux aiguiser mes canines.


Pour fêter cela, je m’habille hyper-sexy ce week-end : talons hauts, jupe courte, bas noirs, bijoux modernes. Je vais sûrement foudroyer quelques dizaines d’hommes et de femmes au cours de mes promenades.


Je pense aux très belles et longues pages qu’a consacrées Eric Reinhardt à l’automne, sa saison préférée, depuis la terrasse d’un café du Palais-Royal.



Je me permets aussi de reproduire un extrait de texte de l’un de mes admirateurs qui a beaucoup de talent :


« Bientôt l'hiver et le monde en merveille pour écrin de vos lèvres rouges... de votre corps en perfection, le cri, l'aveu, la courbe et l'offrande...circulant de glace comme de veines, bleues et argentées, et de mes ongles arracher, sous les regards, la peau et dans le délice, brûler l'encens de ce qui seul brille dans mes yeux percés,...vos lèvres encore, passées de subtil et de morsures… »

Comme je ne suis pas rancunière, j’illustre ce post avec quelques oeuvres de Wojciech WEISS célébrant l’été.



Weiss, je doute qu’il soit connu en France. C’est un artiste cracovien. Pour moi, il a surtout peint , lors d’un séjour à Paris au début du 20 ème siècle, le tableau troublant d’un nu allongé (Akt leżący), sur un fond de velours moiré de rouge, le visage noyé dans ses cheveux et portant un masque noir.



Wojciech Weiss

samedi 11 septembre 2010

Pérégrinations vampiriques


C’est drôle ! Vous ne semblez pas tous convaincus que je suis bien une vampire.

Vous avez l’assurance du bon sens mais c’est simplement parce que vous n’avez pas fait beaucoup de rencontres et que vous avez peu voyagé.

Alors aujourd’hui, pour introduire un peu de doute, je vous livre quelques images de mes vacances. Vous voyez bien que je fréquente des lieux inhabituels.

D’abord, je voyage beaucoup en train, pour avoir le temps de rêver ou pour faire des rencontres. Ou alors, je sillonne l’Europe à toute allure au volant de mon impressionnante BM.


Voici donc l’entrée du château où j’étais hébergée.




Les vitraux de ma chambre.



Les ruines avoisinantes.


Les forêts profondes où j’aimais me perdre.




Et puis, la ville gothique proche.

Enfin, la mer, la mer... Les vampires ont besoin de la proximité de la mer pour pouvoir s’échapper ou entamer d’autres voyages.

Evidemment, je ne vous dis pas où tout cela se trouve. A vous de deviner mais ça n’a d’ailleurs pas tellement d’importance parce que je ne reviens jamais sur les mêmes lieux.



Photos de Carmilla Le Golem sur Sigma DP 1 et 2 et sur Olympus E-P1

samedi 4 septembre 2010

Le voyage, le désir et l’Empire


Toujours bouger, sans cesse se déplacer, mais ça n’a pas grand-chose de touristique.

Voyager, c’est chercher à accélérer le rythme de la vie; c’est une expérience mentale où l’espace, le temps, la géographie, l’histoire se superposent, se confondent.

De Varsovie, j’ai dégringolé jusqu’à Kharkov (Харкiв ou Харьков). Je dois bien être à 3 000 kilomètres de Paris. C’est au fin fond de l’Ukraine.

Un voyage épuisant et infini dans des trains surchauffés. J’ai toujours dans la tête le rythme lancinant du claquement des roues sur les rails.

Je suis arrivée hébétée de fatigue, après deux nuits de train. Mais je crois aussi être, ce jour là, extatiquement belle, dans un surlignement presque vulgaire de mon apparence : une pâleur accentuée par le manque de sommeil, la balafre sanglante d’un rouge à lèvres, une chevelure comme javellisée par le soleil. Et puis des vêtements aussi éclatants que le ciel chauffé à blanc.


Heureusement, dans le train, j’ai pu dévorer le livre, ancien best-seller en Russie, de Viktoria Mironova. Je suis encore toute imprégnée de sa lecture. Evidemment, je me pose des questions sur la façon dont on a traduit ce bouquin, parce que le titre français c’est : « Adieu Saint-Pétersbourg » (éditions Anatolia) et le titre original russe, c’est, plus simplement, « lettres à Lenoussik ».





Enfin, lisez absolument ça. Ca vous en apprendra mille fois plus sur la Russie que les livres mortellement ennuyeux et en dehors des réalités d’Hélène Carrère d’Encausse.


Je vous livre quelques phrases :

« Qui a donc dit qu’on avait l’obligation de se marier, d’avoir des enfants, des chats, des chiens, des oiseaux ? Nous naissons et nous mourons seuls. Nul n’est tenu à rien. Etre libre, c’est non seulement pouvoir choisir mais aussi pouvoir refuser. Sans explications ni justifications. Un loup affamé dans des étendues froides et désertes est beaucoup plus séduisant à mes yeux qu’un petit chien de compagnie avec son collier et sa laisse. Et même si le collier était en diamants, cela ne changerait rien ».

Viktoria confie avoir eu, en toute légèreté, plus de 150 amants. Je trouve ça merveilleux. Vite, il faut que je la rattrape. Mais moi, je panache les hommes et les femmes.

Je médite ça du fond de ma nouvelle retraite. Evidemment, je ne crois pas que vous irez me chercher jusque là-bas et d’ailleurs je ne vous conseillerais pas d’y venir parce que Kharkov, ça n’a pas beaucoup d’intérêt.



Sauf si on veut avoir une idée de ce qu’était une grosse ville de province de l’ancienne U.R.S.S..

Ce qui est curieux quand même c’est qu’il y a, dans cette ville, de nombreux bâtiments issus du constructivisme russe. Dans les années 20-30, Kharkov a même été l’un des centres européens du constructivisme. Le pape du constructivisme, Vladimir Tatline (Владимир Татлин), qui a influencé le Bauhaus et l’art cinétique, officiait à Kharkov. Pour Tatline et ceux qui l'entourent (Rodtchenko,Александр Родченко, Lissitzky, Лазарь Лисицкий), l'art est au service du peuple et doit donc être le messager du pouvoir communiste.

Certes Maîakovski (Владимир Маяковский) et Malevitch (Казимир Малевич) ont complètement récusé ce point de vue, au prix même de leur vie.

Ca me plonge néanmoins dans des abîmes de perplexité. Les années 30, c’était aussi la grande famine en Ukraine et l’apogée de la terreur stalinienne.

Dans le même temps, des théoriciens portaient l’art à son formalisme le plus élevé.





Je ne sais pas quelle conclusion en tirer parce que le constructivisme, c’était tout de même effectivement quelque chose de révolutionnaire. Mais on ne peut évidemment pas manquer de s’interroger sur sa relation avec le pouvoir politique en place. Comme d’ailleurs celle de toute la création artistique contemporaine.


Ce qui est sûr, c’est que le pouvoir manie l’abstraction et les idées désincarnées.

Les révolutions, elles, elles se font au nom des passions, des sentiments, des désirs. Ca n’a rien d’angélique non plus parce que les passions c’est aussi la haine et la vengeance.



Enfin,... le communisme a récemment été abattu pacifiquement ; ou plutôt, il est tombé de lui-même, non pas parce qu’il était un Etat répressif mais tout simplement parce qu’il était incapable de plaire, de séduire, de faire rêver. On s’ennuyait mortellement, voilà tout.


J’illustre ce propos avec cette photo que j’ai faite à Varsovie, confrontant Lénine à la célébrissime mannequin polonaise, Daria Werbowa (que l’on connaît plutôt, en langue internationale, sous le nom de Daria Werbowy). C’est sûr que tout était inévitablement foutu. Car qui peut rêver de Lénine ? Mais Daria Werbowa, en revanche…qui n’a pas envie, homme ou femme, de se damner pour elle ?