dimanche 27 juin 2010

Ultrarouge


Nancy Huston, jusqu’alors je n’avais jamais lu. Une américaine, mariée, qui plus est, à un « intellectuel » parisien, pour moi ça ne pouvait pas donner de bonne littérature. Pourtant, son dernier bouquin « Infrarouge » m’a presque transportée. J’ai même trouvé ça assez audacieux en matière de sexualité féminine; c’est évidemment un peu trop hédoniste pour moi mais j’y ai quand même retrouvé une bonne part de mes obsessions vampiriques. Je ne suis donc pas la seule à vivre dans une continuelle exacerbation sensuelle.

Cette idée d’abord que l’on n’a jamais de rapport neutre, distancié avec le réel. L’objectivité, c’est vraiment de la rigolade : on est en fait continuellement submergé, assailli, par ses rêveries, fantasmes diurnes. Le réel, c’est un entrelacs émotionnel, complètement faux et complètement vrai à la fois.
Les rêveries, pas seulement celles qui naissent à l’instant « T » d’une rencontre, d’un regard, d’une silhouette, d’un jeu de couleurs. Cet homme, cette femme avec lesquels je vais tout de suite m’imaginer faire l’amour.


Toutes celles surtout qui ressurgissent de votre histoire personnelle et avec lesquelles vous recomposez sans cesse le monde, le plus souvent à votre avantage évidemment. On n’est donc jamais complètement présents, on vit toujours à plusieurs niveaux, aussi bien dans l’espace que dans le temps, toujours un peu ailleurs, toujours un peu avant.

Nous réécrivons sans cesse des scripts pour rendre la vie supportable, pour pouvoir vivre dans l’illusion d’un triomphe éphémère sur les blessures du réel.

Ainsi la narratrice d’ « Infrarouge », en compagnie touristique de son père et de sa belle-mère.
Ca se passe à Florence, haut lieu reconnu de la contemplation esthétique désintéressée, de l’apaisement normal des mœurs et des sentiments. Mais tout se passe dans un mélange d’ennui, de rage, d’exaltation, d’hyper sensibilité érotique.


On découvre que l’art, la beauté, l’histoire ne nous émeuvent pas par eux-mêmes. S’ils ne sont que des objets de contemplation, nous y sommes même complètement indifférents.

Nous ne nous intéressons en fait à un paysage, une ville, une oeuvre d’art que si nous parvenons à nous « brancher » dessus pour trouver de nouveaux scénarios, réécrire notre histoire personnelle. Mais c’est très efficace : un voyage est souvent l’occasion de découvertes ou de ruptures amoureuses.


Bogdan PRYSTROM

samedi 19 juin 2010

Solstice




Enfin ! Lundi 21, à 11H 29, les choses basculent et la durée du jour commence à décliner : 2 minutes de soleil en moins chaque jour, ¼ d’heure chaque semaine, 1 heure chaque mois et cela jusqu’au 21 décembre. On est sur la bonne pente, celle qui nous conduit à la nuit profonde.


J’en ai vraiment marre de ces jours interminables, de l’ennui et de la quotidienneté étirés à l’infini.


La nuit, c’est le désir et l’émotion. C’est de cela dont j’ai besoin.


C’est vrai que j’ai le soleil et la chaleur en horreur. L’écrasement, la prostration…
Je n’aime pas le soleil mais j’aime beaucoup certaines lumières, en particulier la lumière blanche de l’Europe du Nord en été.


Affleurent mes souvenirs de Saint-Petersburg (Санкт-Петербург) au mois de juin; de cette lumière qui transfigure les visages, les bâtiments, les remodèle dans une magnifique irréalité.

Wyeth Mc Calls

samedi 12 juin 2010

« Le match du siècle »


Ca vous étonnera peut-être, mais j’aime beaucoup le sport et je suis très sportive.

Il est de toute manière bien connu que les vampires ont des capacités physiques exceptionnelles. C’est mon cas.

Et puis, on entretient dans le sport un rapport particulier avec son corps. D’une certaine manière, il s’agit de s’en libérer, de s’en affranchir. C’est la démarche des mystiques,…ou des anorexiques.

C’est maintenant le début de la Coupe du Monde. Le football, ça ne me dit pas grand-chose. Je ne vais de toute manière regarder aucun match puisque ni la Russie, ni l’Ukraine, ni la Pologne ne sont qualifiées. Le foot, ça m’irrite même beaucoup en France où ça a pris une importance démesurée, grotesque. Face à l’hystérie et au matraquage médiatiques, on se dit que le pays est vraiment descendu bien bas et j’espère vraiment une bonne raclée des bleus qui permettra peut-être de revenir à plus de modestie et d’esprit critique.



Je me souviens cependant qu’en Ukraine, le football a joué un rôle très important dans le développement de la conscience nationale et la conquête de l’indépendance. Les Ukrainiens se considéraient en effet comme les artistes et les prodiges du football, surtout par rapport aux Russes.

Je ne suis pas capable de juger mais il y a un club, le « Dynamo de Kiev » (Динамо Київ), porteur de la fierté ukrainienne. Le stade officiel du club, c’est le Lobanovski Dynamo Stadium. C’est assez curieux, à la différence de tous les autres stades, il est situé en plein centre ville et tout le monde peut y accéder librement.

Pour les ukrainiens, c’était évidemment le meilleur club d’URSS. D’ailleurs, la meilleure équipe d’URSS qui ait jamais existé, c’était celle de 1986-1988. Emmenée par Oleg Blokhin (Олег Блохин) et Igor Belanov (Ігор Бєланов), elle était composée presque uniquement de joueurs du Dynamo de Kiev. Seule une malchance invraisemblable l’a empêchée de conquérir un titre majeur.



Enfin…, tout cela n’est pas très intéressant et vous vous demandez sûrement où je veux en venir.

En fait, le plus grand titre de gloire du club remonte à 1942. C’est une histoire extraordinaire, dont on trouve le récit à l’entrée du stade Lobanovski et que rappelle, avec beaucoup d’à propos, Laurent BINET dans son remarquable livre, HHhH, consacré à Heydrich, chef d’Eichmann et bras doit d’Himmler. Un type pour lequel il n’y a aucun qualificatif.

L’Ukraine en 1942, c’est la terreur absolue. L’extermination finale bat son plein. Les populations, d’abord les juifs et les politiques, sont impitoyablement massacrées par la Wehrmacht et les Einsatzgruppen, les commandos de la mort. Des fusillades en masse, traumatisantes, paraît-il, pour les bourreaux eux-mêmes ce qui les conduira à rechercher des solutions moins impliquantes et plus efficaces. A Lvov, à Kiev, à Kharkov, des milliers de cadavres, suspendus aux arbres, aux lampadaires, aux balcons décorent, sinistrement, les grandes avenues.




Dans ce monde de mort, les Allemands, de manière très étrange, ont souhaité, pour se distraire, organiser des matchs de football avec les différents pays occupés. Or, une équipe se fait remarquer par les occupants, qui décident d’organiser un match de prestige à Kiev entre elle et la Luftwaffe. Cette équipe est principalement composée de joueurs du Dynamo de Kiev, regroupés sous le nom de Start.

Le match se joue en juillet 1942. « Le match de la mort », dans une ambiance funèbre.



Les joueurs du Dynamo auraient ridiculisé les allemands, gagnant par 8 à 0.

Après cette victoire éclatante, l’équipe a été arrêtée par les SS.

La plupart des joueurs seront torturés, conduits à Babi Yar (Бабин яр) et assassinés.


C’était incontestablement le match du siècle.



Raphaëlle COLOMBI – Le trottoir bleu

vendredi 4 juin 2010

De la beauté


La beauté, de même que l’art, est d’abord une insulte à l’esprit démocratique.

La souffrance, le sombre ressentiment, de la fille qui se sait laide. La vie lugubre et sans joie de celle qui ne suscitera jamais le désir.

L’assurance et souvent l’arrogance de celle qui se sait belle. Une vie pleine d’éclat, beaucoup plus facile. Imagine-t-on que Natalia Vodianova (Наталья Водянова) puisse être, à un quelconque instant, malheureuse ou même simplement triste ?

Cynisme de la vie en société : l’inégalité économique redouble souvent l’inégalité physique. Les riches sont généralement beaux ou du moins les beaux sont rarement pauvres.


Le plaisir premier d’une femme : capter l’attention, être admirée, regardée. Le délice de la séduction, de cela on ne se lasse jamais; d’où l’angoisse face à la vieillesse, au temps qui passe. Je pense à Isabelle Adjani, à Marlena Dietrich : quand on a cessé d’être belle et de séduire, on n’a pas d’autre choix que de se retirer de la vie sociale, de s’isoler pour dissimuler sa déchéance.

Quoi qu’on en dise aussi, la beauté n’est pas relative. Elle s’impose comme une évidence. On peut ne pas apprécier Kate Moss mais personne ne dira, sauf esprit mesquin, qu'elle n'est pas belle. La beauté est en ce sens un scandale, un scandale absolu. Elle transcende la banalité, la grisaille quotidienne. Elle est une pure élection au sein d'un monde égalitaire et indifférencié.


On peut même dire que la beauté est une provocation, une agression. Une très belle femme ne fascine pas seulement. Elle provoque surtout, sans qu’elle le soupçonne, une souffrance et une frustration immenses parmi les hommes. Une souffrance que rien ne permet d’apaiser.

Alors, la beauté est tellement dérangeante, tellement perturbante, qu’on a envie de la détruire, de l’éliminer.

La beauté suscite le terrorisme. Une très belle femme est un appel au meurtre.
Il y a des tueurs parce que la beauté insupporte.
La beauté à l'origine du crime...à méditer.


Desiree DOLRON, très grande photographe néerlandaise. Vous n'osez plus faire une seule photo après avoir vu ses oeuvres