dimanche 30 mai 2010

Pedigree


Dans les messages-lettres que vous m’adressez, vous témoignez d’une curiosité accrue à mon égard. Qui suis-je vraiment ? Ce qui m’amuse, ce sont les figures extrêmes que vous composez : l’étudiante déjantée vivant dans une chambre de bonne ou l’affreuse zombie dans un château inaccessible.


Il n’y a pourtant pas de doute. Je suis bien une vampire. J’en ai d’abord la psychologie tellement j’aime séduire et suis fascinée par le côté sombre de l’humanité.


C’est vrai toutefois que je n’emprunte aucun des aspects folkloriques et trash du vampire. Si vous me rencontrez, je pense que vous me rangerez tout de suite dans la catégorie des « bourges » parisiennes. Et il faut dire que j’aime donner le change. En apparence, il n’y a pas plus conventionnelle, plus intégrée que moi. C’est sans doute mon côté slave : j’ai des côtés très superficiels, j’aime être bien habillée, bien maquillée, j’aime le luxe, les quartiers de l’ouest parisien, les immeubles Art Nouveau, les voitures de sport.



Jusque dans ma profession, on peut me taxer de conformisme. J’exerce dans un domaine unanimement vilipendé, méprisé : la finance. Je suis ainsi parfaitement compétente pour vous conseiller à l’achat ou à la vente d’une entreprise, pour investir en Bourse, pour interpréter instantanément des documents financiers. Je puis vous parler de la crise financière avec pertinence : je sais très bien ce que sont la titrisation, les instruments de couverture, les marchés obligataires et monétaires.


Je me doute bien qu’en vous racontant cela, je m’effondre dans votre estime. Evidemment, en France, c’est la honte. Vous êtes perçue non seulement comme une crapule mais comme quelqu’un de forcément inculte.



Moi pourtant, j’aime l’abstraction de la finance qui vous délivre de tout sentimentalisme et vous apprend à avoir des nerfs d’acier. Je suis ainsi quelqu’un de parfaitement maîtrisé, contrôlé, en apparence insensible aux aléas extérieurs. Savoir ne pas se laisser déborder par l’affectivité, cela permet de progresser.



Surtout, j’ai en horreur les contingences matérielles, faire des économies, vérifier son compte en banque, contrôler son budget. De cela, je suis délivrée et j’ai bien conscience que c’est une liberté et un privilège immenses.


Evidemment, j’imagine que tout cela n’aide pas à composer de moi un portrait bien sympathique. Je n’ai rien d’une « victime » vertueuse.


Vous comprenez enfin que mon blog se situe à mille lieux de ma vie quotidienne. Il n’en est pas un reflet, il en est la face dissimulée, occulte.


Il ya quand même en moi plusieurs lignes de fracture qui me démarquent des gens bien pensants et des petits bourgeois. Il y a tout de même une profonde légitimité à tout ce que je vous écris. La subversion, ça ne se mesure pas aux apparences.


La plénitude, je ne sais pas ce que c’est. Je ne connais que le manque et l’attirance pour l’abîme.
C’est d’abord la conséquence d’un vacillement continuel de tout mon être. Je me perds d’abord sans cesse dans de multiples langues et cultures sans me reconnaître dans aucune; je m’égare ensuite dans les jeux de la séduction.


Voilà donc mon pedigree. Vous avez bien compris que si j’emploie ce terme, c’est que je n’en ai justement aucun, que je ne dispose d’aucune qualité éminente, que je suis simplement écartelée par mes contradictions propres.


J’illustre ce post avec l’immense Leonora Carrington qui fut la compagne de Max Ernst. Son œuvre est au croisement du surréalisme européen et de la culture mexicaine.



Leonora CARRINGTON

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