dimanche 15 novembre 2009

L’implosion du réel ou la révolution du désir



J’ai évidemment suivi avec attention les commentaires consacrés au 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. C’est drôle, tous ces « spécialistes », journalistes et politologues, qui ressassent les mêmes clichés et dépeignent l’ancien monde communiste sous les couleurs les plus noires : la terreur policière et la misère.

Ce n’est certes pas complètement faux mais ce n’est pas non plus complètement vrai et ce n’est en tous cas pas l’explication première de la chute du mur.


C’est d’abord négliger que l’immense majorité de la population avait une vie à peu près normale et n’avait qu’exceptionnellement affaire au KGB, la STASI ou la SB. Je vous étonnerai même sans doute en vous disant qu’en ce qui concerne la vie privée, la liberté des mœurs et même la création artistique (même si ça ne bénéficiait pas forcément d’une reconnaissance officielle et que ça variait sensiblement selon les pays), tout était à peu près possible. On ne s’exposait en fait à des ennuis que si l’on s’avisait de monter un groupe politique ou un syndicat dissidents.


Je vais aussi vous choquer en vous disant que, s’agissant du niveau de vie, la pauvreté était très relative car chacun bénéficiait d’un minimum vital et beaucoup de choses étaient presque gratuites (livres, cinéma, théâtre, médecine, université, transports). En fait, on vivait tous médiocrement mais pas dans la gêne. On avait même un rapport complètement détaché vis-à-vis de l’argent comme s’il n’avait aucune valeur, aucun pouvoir.

















En fait, la vie était simplement frugale et morose, sans aucun relief. On jouissait même d’une absolue sécurité, matérielle et psychologique, et il n’y avait normalement pas lieu de s’inquiéter pour l’avenir.


Etrangement cependant, c’est cela justement, cette absence de tonalité, cette matité du réel, qui était lancinant. Tout était tracé, programmé d’avance, de telle sorte que rien ne pouvait arriver, ni sur le plan individuel, ni sur le plan collectif. Le poids du réel était écrasant car il était de béton ou de plomb.


Un sentiment d’immobilisme absolu, voilà ce qui nous plongeait dans une dépression profonde. On a pu dire que L’Afrique n’était pas encore rentrée dans l’histoire; c’était évidemment stupide, mais ce qui est sûr c’est que le monde communiste, lui, en était sorti pour une éternelle stagnation. Et puis, il y avait la honte, l’humiliation vis-à-vis de l’Occident qui nous considérait avec condescendance.


Retrouver l’histoire, le mouvement, l’incertitude et éventuellement la peur, voilà ce qui explique, avant même les aspirations démocratiques et les revendications économiques, le mouvement qui a conduit à l’effondrement du système communiste. Retrouver la brûlure de l’imprévisible, de l’aventure et de la passion. Tout, plutôt que ce monde momifié, entièrement prévisible, qui ne faisait jamais vibrer.


Rien n’est plus oppressant qu’une société sécurisée, planifiée, sans aspérité, chatoiement, mystère.


Un monde sans désir, voilà ce qu’avait réalisé l’Union Soviétique.



















D’ailleurs, ce qui nous fascinait dans l’Occident, c’était moins son confort matériel que ses aspects sulfureux : le luxe, les beaux objets, les beaux vêtements, la supposée liberté sexuelle, les paradis artificiels, les stars, les boîtes de nuit, bref tout ce qui fait la beauté et l’esthétique de la vie.


Cela vous apparaîtra trivial mais on avait d’abord envie de boire du champagne, avoir des produits de maquillage et des parfums raffinés, porter de la lingerie chic, rouler dans de belles bagnoles et s’éclater dans une grande fête nocturne.

Je sens votre réprobation moralisatrice mais vous ne pouvez négliger que les groupes LVMH (Louis Vuitton, Dior) et l’Oréal ont autant contribué, en nous faisant rêver, au renversement du communisme que les théoriciens des droits de l’homme.






Boris Koustodiev (Борис Кустодиев), Nick Hannes, photo Carmilla le Golem sur SIGMA DP2

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