dimanche 25 octobre 2009

« Lokis » - L’homme-ours


La Lituanie m’a toujours fait rêver. Une grande puissance déchue qui s’étendait « de la mer à la mer », de la Baltique à la Mer Noire. Une langue étrange, une sorte d’indo-européen originel proche, paraît-il, du sanskrit. Une capitale mythique Vilnius (que j’ai toujours eu tendance à appeler Wilno), merveille d’architecture baroque.

Je croyais aussi que la Lituanie était couverte de forêts primitives peuplées d’animaux sauvages. Mais ce n’est pas du tout ça ; la campagne est cultivée, plate et monotone. Seule la presqu’île de Nida réserve des moments d’émerveillement.

En visitant pour la première fois Vilnius, j’ai découvert, dans ses ruelles entrelacées, le restaurant « Lokis » dont le nom, qui signifie l’ours en lituanien, est un hommage à une nouvelle de l’écrivain Mérimée.






















C’est drôle, les lituaniens connaissent mieux Mérimée que les français qui ne le lisent plus guère. C’est sans doute dommage car son œuvre est fiévreuse et troublante. De plus Mérimée était un personnage hors du commun, cultivé et cosmopolite. Ami de Tourgueniev, il connaissait bien la langue et la culture russes, ce qui n’était pas si habituel à l’époque.

Mérimée a donc écrit une nouvelle « Lokis » qui se passe en Lituanie. Il y retranscrit parfaitement, à mes yeux, l’imaginaire de l’Europe Centrale.






















Mérimée résume lui-même, dans une lettre à l'Inconnue datée de 1867, cette nouvelle dans les termes suivants « La scène se passe en Lithuanie [...). Une grande dame du pays, étant à la chasse, a eu le malheur d'être prise par un ours dépourvu de sensibilité, de quoi elle est restée folle, ce qui ne l'a pas empêchée de donner le jour à un garçon bien constitué, qui grandit et qui devint charmant; seulement, il a des humeurs noires et des bizarreries inexplicables. On le marie; et, la première nuit de ses noces, il mange la femme toute crue. Vous qui connaissez les ficelles, puisque je vous les dévoile, vous devinez tout de suite le pourquoi. C'est que ce monsieur est le fils illégitime de cet ours mal élevé'".

Une sorte de nouvelle vampirique donc… On peut y voir une réflexion sur la part d’animalité en l’homme.

Plus profondément, il s’agit surtout pour moi de l’étroite imbrication du mal en chacun de nous.


Ivan Shishkin Иван Шишкин
Constantin Flavitskiï, (Константин Флавицкий) La mort de la princesse Tarakanova
Franciszek Starowieyski
Arkhip Kuinji , Архип Куинджи

dimanche 18 octobre 2009

Morsures d’automne

Vous me demandez souvent de parler davantage de ma vie quotidienne, concrète, bref de préciser qui je suis et comment je vis.















Je crois pourtant l’avoir déjà évoqué mais c’est en fait très simple. Je vis absolument seule, du fait de mon histoire personnelle mais surtout par goût, par choix, par horreur de la sujétion des relations sentimentales. Par horreur aussi de la vie familiale, de sa promiscuité et de sa malpropreté, de l’intrusion permanente de l’autre dans votre vie intime.

Pour beaucoup, le blog semble avoir une vertu compensatoire à une vie médiocre et morose. On tente alors de se présenter sous un jour aimable et sympathique et de justifier ses échecs. La demande d’amour fonctionne à plein sous un registre mensonger et conventionnel.




















Pour moi, ça n’est pas ça. J’ai la chance de n’avoir aucun souci, ni professionnel, ni matériel. Je suis libre, dégagée des contingences, je n’ai personne à envier. Je n’ai donc rien à compenser et n’ai pas à chercher à plaire ou à être sympathique. Surtout, j’ai en horreur la pensée commune. Le blog, c’est de la décharge émotionnelle pure.

Donc…, je vis principalement à Paris, tout près du parc Monceau, dans un appartement à mon image, mélange d’extrême modernité et d’esprit art nouveau-art déco.

Durant la semaine, je ne fais rien. Rien que travailler dans une sorte de tension frénétique en affrontant chaque jour des situations improbables. Les nuits, en revanche, sont toutes entières pour moi et je les épuise à essayer d’abaisser mes piles de livres.



















Le week-end, je sillonne inlassablement Paris. J’ai en effet déjà parlé du bonheur d’être une vampire, de l’hypersensibilité qui s’y attachait. Mais c’est aussi une torture, une obsession, avec le retour continuel de rêveries sensuelles qui réclament un assouvissement. Alors, je recherche dans la ville des objets de satisfaction. Ce n’est heureusement pas difficile de faire plein de rencontres. Je fréquente beaucoup les parcs, les grands magasins, la Fnac, certains cafés.


Je m’amuse aussi à fixer mes émotions en faisant des photographies. Je fais partie d’un cercle très fermé, conduit par un jeune suédois, Carl Rytterfalk, celui des adorateurs d’un drôle d’appareil, le Sigma DP 2. Je connais bien la technique mais je n’ai pas de talent, enfin… vous me reconnaîtrez probablement dans mes photos.



Alexandre Séon, Photos Carmilla le Golem, fontaine Médicis, les Tuileries, le parc Monceau

dimanche 11 octobre 2009

Le temps des victimes



Ouh la la !!! Les premiers développements de l’affaire Polański m’avaient laissé croire qu’on avait parfois un jugement éclairé en matière de mœurs. Ca n’a évidemment pas duré. Bien vite, ça a été le déchaînement, l’hallali, y compris de la part de personnalités que l’on croyait libérales. Un long article d’une tartufferie exemplaire dans « le Monde » ; des commentaires réprobateurs de Daniel Cohn-Bendit mais celui-là, entouré d’Eva Joly et de Dominique Voynet, qui déclare se distraire en jouant au football le dimanche, on se doute bien qu’il est en voie de fossilisation.

Un seul courageux, Alain Finkielkraut, que l’on se plaît pourtant à présenter, absurdement, comme hyper-réactionnaire.

























Et puis, l’écoeurante affaire Frédéric Mitterrand. Frédéric Mitterrand, le seul homme politique pour lequel j’accepterais de voter. Je n’ai lu que ses « Aigles foudroyés » mais croyez-moi, je suis compétente en la matière, c’est le meilleur bouquin sur l’Europe centrale du début du 20 ème siècle.

Quel drôle de pays ! On a vraiment l’impression de vivre entouré de petits boutiquiers haineux. Un pays où la révolution sexuelle en est restée à un stade pré-oedipien, avec une sur érotisation graveleuse de l’ensemble du champ social (les media, la publicité), mais en développant une vision apeurée et effrayée du monde.

Il faut tout de même rappeler qu’en France, le quart de la population carcérale est composé de délinquants sexuels. La loi pénale est en outre devenue extrêmement lourde et même absurdement disproportionnée : heureusement que Bertrand Cantat s’est contenté d’assassiner Marie Trintignant ; il a pu s’en sortir au bout de 4 ans (je ne pense pas néanmoins que ce soit trop peu), auréolé de la mystique de l’amour romantique. Mais s’il avait été un abominable pervers, qui avait tenté de caresser une jeune lituanienne, il continuerait sûrement de croupir dans une prison, victime de l’opprobre généralisé.



On a forgé cet étrange concept de « crime sexuel ». Le crime sexuel, j’ai cru comprendre que c’était l’agression qui vous traumatisait définitivement, irrémédiablement.



























Le traumatisme, c’est la tarte à la crème de la psychologie contemporaine. On serait, presque tous, des victimes. Un jour, on aurait subi une agression ou une tentative de séduction. Vous ne vous en souvenez pas toujours mais votre psychiatre est là pour en faire ressurgir le souvenir. Bien sûr, la victime ne s’en remet jamais, elle est définitivement traumatisée. Mieux, les « spécialistes » nous apprennent que les victimes deviennent souvent plus tard des agresseurs.



Inutile de rappeler que le point de vue de Freud est tout à fait différent : chaque événement est une « reconstruction », un mélange de réel et de fantasme ; en outre, la « cohérence » d’une vie ne se construit pas autour d’événements successifs mais dans l’articulation, inédite pour chacun de nous, du désir et de l’interdit.



























Ce qui est problématique pour moi, c’est que cette posture victimaire conduit à vivre dans une peur et une angoisse permanentes. Le monde serait plein de dangers, peuplé, durant l’enfance, de parents incestueux et de pervers pédophiles et plus tard, à l’âge adulte, de violeurs, de harceleurs et de criminels sadiques.


Un troupeau apeuré, cette image nietzschéenne rend souvent bien compte de la société française. C’est la domestication de l’homme, le renoncement à l’audace et à l’indépendance de l’esprit des Lumières.





Lenartowicz, Wiktor Sadowski, Franciszek Starowieyski

dimanche 4 octobre 2009

« Cul de sac »


Polański (prononcer Polagn’ski en accentuant sur le a), évidemment j’adore.

Certes, il me fait d’abord enrager parce qu’il parle bien mieux que moi le polonais, le russe, le français, l’allemand et l’anglais. Son cosmopolitisme est d’abord fascinant, de même que sa connaissance intime du judaïsme et du christianisme.


Et puis, il y a le lien très fort avec la ville médiévale de Cracovie (Kraków), avec ses artistes fous, et les merveilleuses montagnes avoisinantes des Tatras, avec leurs villages de maisons en bois.


On présente souvent Polański comme un réalisateur de films d’horreur. Son cinéma refuse pourtant tous les effets et repose plutôt sur la suggestion.




























Il montre simplement, me semble-t-il, l’affleurement continu du mal dans la vie la plus banale. Et puis, il aborde beaucoup de thèmes « inactuels » : l’effraction de l’autre dans notre intimité, l’ambiguïté du rapport bourreau-victime, la relation maître-esclave, l’absence de héros, les oubliés de l’histoire.


Curieusement, c’est sur « le Bal des vampires », dont je n’ai pas aimé le caractère de comédie, que j’exprimerais le plus de réserves. Mais il faut absolument redécouvrir certaines œuvres anciennes : « le Couteau dans l’eau » (Nóż w wodzie), Deux hommes et une armoire (Dwaj Ludzie z Szafą), Quand les anges tombent (Gdy Spadają Anioły) et puis bien sûr « Cul de sac », « le locataire » et « Tess ».


L’arrestation à Zürich, la semaine dernière, de Roman Polański a soulevé une saine indignation des personnalités politiques et artistiques. Cependant, si on lit quelques commentaires sur Internet, on se rend compte tout de suite que « les braves gens » ne suivent pas : on souhaite vraiment que Polański fasse ses 30 ans de prison.























C’est sûr, la nouvelle morale sexuelle, sous ses masques émancipateurs et hédonistes, est aujourd’hui triomphante. Nous vivons une drôle d’époque obsédée, hantée jusqu’à l’hystérie, par la figure du monstre et du criminel sexuel (même Bernard-Henri Levy, que j’aime pourtant bien, a parlé d’acte criminel concernant Polański !!). Le fantasme d’un monde étrange qui, comme l’a bien montré Marcela Iacub, serait peuplé d’une foule de dangereux pervers, des pédophiles en premier lieu mais aussi des violeurs, des harceleurs, des manipulateurs.


C’est le triomphe de la victime : qu’il est loin le temps des Lumières, quand on considérait l’homme capable d’assumer, par lui-même, son propre destin.



Jan Lenica – Andrzej Pagowski