samedi 19 septembre 2009

Le retour, la répétition, la reprise



Aussitôt revenue à Paris, je me suis précipitée aux Galeries Lafayette pour voir les vitrines de David Lynch.


Evidemment, j’ai été déçue ; il est vrai qu’il ne fallait pas non plus attendre un joli décor de la part de David Lynch mais plutôt quelque chose de percutant, déconcertant.


Cela dit, je suis une fan absolue de David Lynch et tant pis si c’est hyper snob.


Pour nous les vampires, David Lynch est quelqu’un de très important car il donne une légitimité à notre existence. Il rend compte en effet de ces monstres qui nous hantent tous, tueurs psychopathes et vampires, en révélant l’étrange rapport au temps du psychisme humain.
On croit, dans la civilisation occidentale, que le temps est linéaire et qu’il est irréversible. C’est sans doute vrai de l’histoire collective mais c’est beaucoup moins évident concernant la psychologie individuelle.














En effet, qui parmi nous n’est pas régulièrement visité, assailli, pas seulement dans ses rêves, par les figures effrayantes de l’angoisse ? Le retour incessant de monstres qui viennent vous reprocher d’être en vie.


Le plus souvent, ce sont les morts qui reviennent, nos parents et tous ceux qui ont fait partie de notre entourage. Ce sont aussi d’impitoyables criminels qui veulent vous punir et vous arracher à la vie.


Tout cela est classique, ce sont les figures communes du sentiment de culpabilité qui signe notre condition humaine.


Ces figures de l’angoisse, ces morts qui nous recherchent, David Lynch les représente, dans «Inland Empire », par des lapins hallucinés. On retrouve le même lapin fou, aux yeux de tueur et aux incisives affutées, dans « Donnie Darko ».



Le retour continuel des figures de la mort, cette infinie répétition, cela montre bien que le temps humain n’emprunte pas un chemin rectiligne. Quand on veut le remonter, on s’égare dans des labyrinthes atroces mais il nous reprend sans cesse, dans le mouvement peut-être pas d’un cercle mais plutôt d’une spirale.




























Dans le retour, la répétition, dans ce qui insiste continuellement, dans cette angoisse dont on n’arrive pas à remémorer la source, dans ces lapins fous et ces vampires qui surgissent sans cesse, Freud voyait la manifestation même de la pulsion de mort.


La répétition, c’est ce qui nous tue et nous détruit à petit feu. La répétition, c’est ce qui tend à vider la vie d’elle-même pour un retour à un état mécanique, anorganique, pour toucher à l’indifférence de la mort.





Pourtant, la répétition, c’est ce que nous aimons, c’est ce à quoi nous sommes attachés. Nous croyons que c’est en elle que se constitue notre identité.


Et nous n’arrêtons pas de nous raconter, de dévider la pelote de notre vie, de chercher à retrouver un premier amour. C’est ce qui fait aujourd’hui la fortune de toutes les psychothérapies.

Mais attention, prenez garde à la nostalgie, aux souvenirs ressassés, ruminés. La répétition vous appauvrit et vous rend esclave.

Pendant longtemps, je n’ai absolument rien compris aux livres de Soeren Kierkegaard. J’étais simplement impressionnée par son nom (qui veut dire « cimetière » en danois) et je me suis rendue à maintes reprises à Copenhague. Je croyais moi aussi que l’on pouvait retrouver un moment heureux de sa vie, en se rendant simplement sur les lieux mêmes de ce bonheur. J’ai ainsi beaucoup voyagé dans cette quête, à Berlin, à Prague, à Budapest, à Moscou, à Stockholm.


Mais on découvre vite que ça ne marche pas comme ça. Dans l’un des livres les plus célèbres de Kierkegaard, « la reprise » (qui a longtemps été traduit, de manière erronée, par « la répétition »), le narrateur, l’amoureux nostalgique, essaie de reproduire à l’identique un séjour à Berlin. Tout semble parfait, tout est là, les lieux sont les mêmes, mais en fait rien ne va car c’est l’amoureux qui n’est plus là.

Pour échapper à la mort, à la maladie, pour choisir la vie, il faut se défaire de l’emprise, de l’étau, de la répétition. C’est « la reprise » de Kierkegaard, c'est-à-dire notre capacité à tester une vie nouvelle.


Photos de Carmilla Le Golem – Sigma DP2

Aucun commentaire: