samedi 11 juillet 2009

« Eloge de la corruption »



De même que du secret, personne ne se hasardera aujourd’hui à faire l’éloge de la corruption. Nous vivons sous un gouvernement des purs, nous nous proclamons tous honnêtes et intègres. Pas un parti qui n’affiche à son programme la lutte contre la corruption.



Je ne peux cependant m’empêcher d’éprouver de l’empathie pour les corrupteurs et les corrompus. Ou plutôt, je me méfie encore plus de ceux qui se proclament incorruptibles, de tous ceux qui veulent pourchasser le mal. Comme l’a montré Marie-Laure Susini, les personnes qui clament leur intégrité, qui appellent à la purification et à la vertu, embarquent souvent les peuples dans des idéologies totalitaires. « Ce n’est pas la corruption, mais bien la logique de l’incorruptible qu’il faut redouter, et qui laisse le souvenir terrible de tous les hommes qu’on a maltraités, injuriés, honnis, dégradés, exclus et assassinés au nom d’une idéologie de la pureté”.





Les gens qui se prétendent intègres sont peut être, finalement, les plus mauvais d’entre nous.




























Certes, la corruption a aujourd’hui largement perdu son sens moral et se concentre sur sa définition économique. Mais même celle-ci n’est pas, à mes yeux, entièrement condamnable. Personne n’a en fait mesuré et évalué ce qu’impliquait la mise en place d’un état de droit, l’application de la Loi comme forme pure égalitaire.


C’est non seulement l’Etat Orwellien, la société de contrôle généralisé qui assure une « traçabilité » complète de votre vie quotidienne, de votre naissance à votre mort.


C’est aussi la destruction des rapports humains et sociétaux, le règne des relations impersonnelles, la généralisation de la solitude.



Il faut ainsi comprendre la détresse des populations dans l’ancien bloc soviétique. Ce n’est pas seulement le bouleversement économique qui est angoissant. C’est aussi la disparition de l’ancienne convivialité slave, de la vie en communauté joyeuse et festive.





























Le monde de Gogol, décrit dans « les âmes mortes », était encore extraordinairement vivant jusqu’à une époque récente. On y ignorait tout, évidemment, de l’Etat de droit mais cette vie sociale intense reposait assez largement sur une petite corruption généralisée, où chacun était l’obligé de chacun dans un système de dons et contre dons. La vie était certes difficile mais tout pouvait finalement s’arranger.


Quoique vous ayez pu lire sur ce sujet à l’Ouest, le système était en fait assez débonnaire et finalement très égalitaire (la nomenklatura était un mythe). Aujourd’hui, en revanche, on se heurte au mur incompréhensible de la Loi tandis que s’accroissent vertigineusement les inégalités.



L’Etat moderne, c’est en fait un bouleversement psychologique considérable. C’est la glaciation complète de la vie collective et sentimentale sous le couvert d’une exigence totalitaire d’intégrité et de pureté.





Clovis TROUILLE

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