samedi 27 juin 2009

Pour NEDA



A Téhéran, les tueurs ont provisoirement repris le contrôle de la rue. Les tueurs, c'est-à-dire Mahmoud Ahmadinejad et ses sbires, avec l’approbation d’Ali Khameneï. Il faut dire que la tactique des bassidjis, ces délinquants-déshérités soutiens du régime, est d’une effroyable efficacité : en s’attaquant, au hasard, à des manifestants, et plutôt même à des gens pacifiques, des jeunes femmes, des étudiants, en les massacrant sur place en toute impunité à coups de couteau et de barres de fer, ils ont su répandre un climat de terreur qui a envahi tout le pays. « Shock and awe » (« choc et effroi »), dit-on en américain, c’est bien ce sentiment de lugubre stupeur qu’éprouve aujourd’hui la population iranienne.

On a rarement souligné, dans la presse occidentale, que Mahmoud Ahmadinejad était non seulement un personnage inculte et illuminé mais aussi un simple criminel. Etudiant déjà, dans une université de second ordre de Téhéran (Elm-o Sanat), il s’était fait remarquer, moins par l’excellence de ses résultats, que par sa participation à une organisation, l’OSU, dont les membres « compensaient leur impopularité croissante par le recours à la violence. Ils faisaient la chasse aux femmes qui ne portaient pas de tchador, ils leur interdisaient l'accès aux cours ». Ahmadinejad, rapporte Michel Taubmann, était révulsé par le spectacle de jeunes femmes habillées à l'occidentale, symbolisant "la débauche, la promiscuité, la perversité et la liberté des mœurs" ».

Plus tard, durant la guerre Iran-Irak, Ahmadinejad aurait été instructeur au sein de l’organisation des Bassidji. Plusieurs rapports suggèrent qu’il était alors chargé de l’élimination de dissidents en Iran et à l’étranger et qu’il aurait personnellement participé à des tortures et des exécutions à la prison d’Evin.

En fait, Ahmadinejad aurait été très influencé dans sa jeunesse, selon Michel Taubmann, par un mouvement hérétique, le « mahdisme ». Cette secte, fondée dans les années 50, considère que « les croyants, loin d'apprendre passivement, doivent au contraire hâter le retour du Madhi [messie] en précipitant le monde dans l'apocalypse».

Ce charmant personnage fait frissonner. On le voit, il n’y a pas d’apitoiement envisageable de la part du tueur Ahmadinejad; rien qu’une guerre totale, sans merci, jusqu’à la mort, jusqu’à l’apocalypse, pour maintenir le pouvoir des religieux.

La lutte sera donc difficile, probablement sanglante mais le basculement du régime est inéluctable. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un combat contre Ahmadinejad et sa personne mais d’une lutte pour la démocratie et l’esprit des Lumières; la fin de l’ « Irano Nox » et de la terreur, la redécouverte de tout ce qui fait la beauté de la vie, le plaisir et la sensualité.

Je trouve ainsi merveilleux que l’on ait fait d’une jeune femme, Neda, tragiquement assassinée, le symbole et l’icône de la révolution en cours.

Neda, magnifiquement belle et cultivée, aujourd’hui porteuse des espoirs d’un nouvel Iran.

Quant à nous, renonçons à nos vacances idiotes au bord d’une plage et rendons-nous, les plus nombreux possible, en Iran pour exprimer notre soutien à la population. Nous y serons toujours extraordinairement reçus.

dimanche 21 juin 2009

Téhéran, mon amour


Samira Makhmalbaf (سمیرا مخملباف)














Beaucoup le savent : la révolution est en marche en Iran ; mais il ne faut pas se méprendre : la révolution n’a pas commencé, il y a quelques jours, avec les élections. C’est un bouillonnement social, une effervescence démocratique qui remontent à plusieurs décennies, peut-être jusqu’à Mossadegh.



Les mollahs ne s’étaient attachés qu’à détourner puis écraser cette ébullition. Je ris quand certains journaux français évoquent le fort soutien populaire dont continue de bénéficier le régime. On reproduit le même aveuglement, la même ignorance que pour l’ancien empire soviétique autrefois supposé éternel. La vérité est qu’on exècre les religieux en Iran (relisez « Hadji Aghah » de Sadegh Hedayat) et qu’on ne veut pas plus de Moussavi que d’Ahmadinedjad ou de tous les autres guignols islamistes. On aspire simplement à un gouvernement normal, ouvert sur le monde et qui ne fasse plus honte sur la scène internationale.
















Prédire la chute des religieux n’a rien d’une prophétie hasardeuse. Simplement, on ne sait pas précisément quand et sous quelle forme ça se produira.


Mais les faits sont là. Contrairement aux idées reçues, celles diffusées notamment par les adeptes du « choc des civilisations », l’Iran est un pays étonnamment moderne. Le grand mérite des livres de Marjane Satrapi est justement d’avoir révélé cette modernité à ses lecteurs. Les principaux indicateurs de l’Iran rejoignent ainsi ceux des pays occidentaux : le taux de natalité en particulier, alors que le pays était, récemment encore, confronté à une explosion démographique; l’alphabétisation est bientôt achevée et l’accès à l’enseignement supérieur largement répandu. Surtout, les universités sont de bon niveau et la proportion des femmes les fréquentant y est supérieure à celle des hommes. Enfin, l’Iran est parmi les premiers pays au monde pour le nombre de connections à l’Internet. Tout vient conforter un irrésistible bouleversement démocratique.

Surtout, il faut aller sur place, se rendre individuellement dans ce pays magnifique. Depuis une dizaine d’années, c’est très facile et ça ne pose aucun problème. C’est même d’une sécurité presque absolue. Pourtant, je dois être l’une des très rares françaises qui va régulièrement passer des vacances en Iran sans motif particulier. Bien sûr, mes collègues pensent que j’ai des goûts bien sinistres et austères (vu mon look, on ne me soupçonne quand même pas d’être une convertie à l’Islam). Mais non, j’y vais pour m’y amuser et faire la fête et je m’y ennuie sans doute moins que dans leur Club Méditerranée. Car on s’amuse en effet beaucoup en Iran. Ca fait partie des incidences paradoxales des dictatures : une schizophrénie collective, un détachement complet de la sphère publique ; en compensation, une attention extrême accordée aux relations sociales et amicales, une exacerbation émotionnelle et festive permanente. Lisez à ce sujet Nahal Tajadod (l’épouse de Jean-Claude Carrière) : « Passeport à l’iranienne ».


Le pays des paradoxes. Lorsque vous débarquez à Téhéran, dans une lumière continuellement aveuglante, vous avez tout de suite un premier choc : alors que vous vous attendiez à être noyée dans un océan de barbus sinistres, vous découvrez tout à coup que l’Iran est le pays des femmes. Elles sont partout, dans la rue, les bureaux, les entreprises, slalomant comme des cosaques dans les embouteillages monstrueux au volant de leur BM 2002 retapée.

Elles arpentent fièrement l’avenue Jordan, la Vali Asr ou la Gandhi ou les ruelles du bazar de Tajrish ; splendides, sexy en diable, sensuelles, enjôleuses, un sourire ravageur. Leur exhibition est « un pied de nez permanent à la censure » islamiste, comme le dit si justement Delphine Minoui dans son remarquable petit livre « Les pintades à Téhéran ».



Mieux qu’un livre sentencieux de géopolitique internationale, « Les pintades » met en évidence l’imminence de la révolution. Et celle-ci viendra des femmes…

samedi 13 juin 2009

Rencontres fortuites



Quand vous m’écrivez (c’est heureusement beaucoup plus fréquent que vos commentaires), vous m’adressez parfois de drôles de lettres qui expriment une suspicion inquiète sur ma personne.


En règle générale, bien sûr, vous estimez que je suis dingue et malsaine; mais, souvent aussi, c’est vous qui semblez mal à l’aise et je perçois votre curiosité hostile.



























Parfois, vous poussez l’audace jusqu’à me proposer une rencontre.


Hi ! Hi ! Qu’imaginez-vous ? Que mon existence est toute entière planifiée ? Qu’une vampire tient un agenda comme n’importe quel bureaucrate ?


On ne prend pas rendez-vous avec moi. On ne peut me rencontrer que de manière fortuite. Et c’est d’autant plus surprenant, déstabilisant.


Sachez simplement qu’à Paris, j’arpente principalement un territoire qui va de la station Villiers à la Fnac des Ternes, via le parc Monceau, l’annexe de l’ambassade d’Iran, l’église suédoise, l’église orthodoxe de la rue Daru.


J’ai un restaurant attitré, le meilleur japonais de Paris, « le Kifune », rue Saint Ferdinand, et un café, « le café de la Paix ».





















Et puis, il est un endroit que j’adore, à l’épouvantable réputation : l’immense halle vitrée de la Gare du Nord. Voici un lieu de rencontres extraordinaire. Un brassage de voyages, de langues, de cultures, de milieux sociaux ; des noms qui font rêver (Berlin, Copenhague, Vienne, Moscou). Un appel insistant au départ, à l’aventure.


"Ce qui arrive dans le monde n'arrive à personne, mais quelque chose arrive à quelqu'un, valant pour tout ce qui arrive dans le monde." Pierre Klossowski




Joanna CHROBAK

lundi 1 juin 2009

« A l’Est de moi »



Dans quelques jours, on va voter. Evidemment, je suis internationaliste et mondialiste (y compris en matière financière). C’est une profession de foi qui réclame presque du courage aujourd’hui. Mais j’aime bien aussi l’Europe des nations et tous ces petits pays et régions auxquels personne ne s’intéresse : les trois états baltes, l’enclave de Kaliningrad, le Belarus, la Ruthénie, la Moldavie, la Transnistrie…


J’ai déjà parlé de mon amour pour la Slovaquie. C’est le pays d’Andy Warhol, de Martina Hingis et d’Adriana Sklenaříková (Karembeu).
Pourtant, l’histoire de la Slovaquie est presque effrayante et me déplaît de prime abord. L’Etat slovaque est en effet né d’un ressentiment : celui éprouvé par une population rurale et provinciale à l’encontre d’une classe urbaine et industrieuse, représentée par les tchèques.















A sa création en 1993, le pays était jugé non viable économiquement. Mais rien ne s’est passé comme on l’avait prédit ; on a au contraire assisté à un impressionnant décollage économique qui a permis à la Slovaquie d’accéder, dès cette année, à l’euro. Incroyable revanche : ces ploucs de slovaques vont maintenant faire leurs courses à Prague, à Cracovie et à Budapest.


Mais les slovaques, tellement attachés à la terre, au pays natal, sont aujourd’hui minés par une angoisse intérieure. Cet étrange petit pays de 5 millions d’habitants abrite en effet une forte communauté tsigane d’au moins 500 000 personnes. Compte tenu d’un taux de natalité élevé, les tsiganes peuvent devenir majoritaires dans quelques décennies et la Slovaquie deviendrait ainsi le premier Etat tsigane.


Ils sont concentrés à l’est du pays, tout le long de la frontière ukrainienne. C’est une chose extraordinaire, lorsque l’on se dirige en voiture vers Lvov et Kiev, de basculer tout à coup dans un autre monde ; finis les yeux bleus et les cheveux blonds, ce sont des hommes et des femmes taciturnes, à la peau sombre et aux yeux noirs, que l’on croise désormais dans les rues; leurs ancêtres sont probablement venus d’Inde il y a plusieurs siècles.
Et puis, c’est un environnement lamentable, complètement déglingué ; des villages informes, des bâtiments en ruine, des hôtels sordides, des bars envahis de prostituées et de trafiquants… Je crois vraiment qu’il n’y a pas plus glauque en Europe que cette région.




















Je ne vous étonnerai pas, je pense, en vous disant que j’adore, bien sûr, ce genre d’endroits.


Je pense souvent aux tsiganes. Je les admire et ils m’interpellent. J’admire leur rébellion passive, leur absolu refus de la socialisation. Mais en même temps, comme l’a souligné l’écrivain polonais Andrzej Stasiuk dans un article percutant, « leur vie marginale remet radicalement en question le sérieux de notre européanité ».


Qu’en est-il en effet de notre prétention à l’universalité face aux tsiganes ?



« Voici un peuple analphabète qui parcourt depuis des siècles l’Europe et l’européanité exactement comme s’il traversait des régions peu attrayantes. Tout indique qu’ils n’ont rien appris de nous et qu’aucune de nos gloires ne suscite leur admiration… Ce n’est même pas une haine du sauvage pour le civilisé, une soif de vengeance ou de destruction…Mais non : ce n’est que de l’indifférence, un manque d’intérêt. »



Est-ce que nous n'avons pas tous envie de devenir, un jour, des tsiganes ?


Katarina Vavrová