dimanche 19 avril 2009

Le pays où l’amour n’existe pas



L’intérêt de Claude Levi-Strauss pour le Japon est bien connu. Il s’y est rendu à cinq reprises et a notamment préfacé l’étonnant petit livre (éditions Chandeigne) d’un père jésuite portugais, Luis Frois, qui résida, au 16ème siècle, dans l’archipel nippon et y fit une description comparative des mœurs japonaises et européennes.





















On y lit ceci : « Les femmes du Japon ne font aucun cas de la pureté virginale, et la perdre ne les déshonore ni ne les empêche de se marier….Au Japon, les filles vont seules là où elles le veulent, pour une ou plusieurs journées, sans avoir de comptes à rendre à leurs parents…Les japonaises ont la liberté d’aller où bon leur semble, sans que leur mari n’en sache rien ».




















De même, au 19 ème siècle, les premiers visiteurs, après la réouverture de l’Empire, se déclarèrent impressionnés par la liberté de mœurs des japonaises.


Tout cela demeure bien sûr d’actualité et les japonaises continuent de jouir, contrairement aux idées reçues, d’une indépendance enviable, au sein même d’une société incontestablement machiste. La sexualité n’est certes pas survalorisée, mais elle n’est du moins pas vécue comme un tabou ou une transgression ; elle est en fait un simple élément, parmi d’autres, de la vie émotionnelle.


Il est vrai, cependant, que l’on est frappé par la forte séparation, ségrégation des sexes au Japon. On ne rencontrera jamais un couple se tenant par la main ou s’embrassant dans la rue. Au lieu de cela, des groupes nombreux de jeunes femmes ou de jeunes gens qui remontent bruyamment les avenues ou s’amusent comme des fous dans les restaurants. L’attraction-séduction des deux sexes l’un par l’autre ne fonctionne pas selon les mêmes codes. La sexualité n’est pas une sexualité de conquête, de possession. Elle est plutôt identificatoire, théâtrale, dans le jeu des apparences.



















C’est au Japon que sont montées-exhibées les plus belles « machines désirantes » chères à Gilles Deleuze (qui n’a hélas jamais voyagé), comme en témoignent le spectacle de la rue et le goût effréné pour le cosplay, les kigurumi, le travestissement. Expérimenter une nouvelle identité, être un autre, est probablement plus fascinant, exaltant, que le posséder, l’assujettir.


Du reste, l’amour est, au Japon, un sentiment, si ce n’est inconnu, du moins faiblement valorisé. Ce n’est en tout cas qu’une motivation secondaire de la relation sexuelle ou du mariage. C’est en fait en allant au Japon que l’on comprend à quel point nous sommes façonnés en Europe, à travers la littérature en particulier, par le sentiment de l’amour. C’est une esthétique et une culture magnifiques, sans aucun doute, mais c’est aussi, finalement, un véritable asservissement. A vouloir s’inscrire obligatoirement dans ce cadre, à en faire un impératif et un absolu, on s’expose forcément à la désillusion et on limite surtout le champ de ses expériences.




Alors, ouvrez grands vos yeux,déployez votre "corps sans organes" et allez au Japon.


Cartes postales japonaises du musée de Boston-Nakazawa Hiromitsu

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