vendredi 25 décembre 2009

с Рождеством, Wesołych Świąt,…le banquet des morts


Evidemment, vous allez trouver que mon illustration n’est pas de très bon goût pour une soirée de Noël, mais est-ce qu’on peut demander à une vampire d’avoir bon goût ?


Et puis, il s’agit d’une image de mon amie Natalie Shau, en passe de devenir mondialement célèbre. Natalie est une lituanienne de Vilnius mais elle a aussi des origines mongoles et a beaucoup vécu à Londres. Natalie se met le plus souvent elle-même en scène. Elle a trouvé une partie de son inspiration à Vilnius même; la tendance gothique y est très forte chez les jeunes filles et puis on y adore la figure du diable.

Surtout, ce tableau de Natalie Shau constitue pour moi une parfaite illustration d’un article extraordinaire de Claude Levi-Strauss : « Le père Noël supplicié ». Il vient d’être republié dans la revue « Philosophie magazine » de ce mois.

On y apprend que les fêtes de Noël, avec leurs orgies de cadeaux et leurs repas fastueux, ne sont pas tellement une manifestation profane ou l’apogée de la société de consommation. Deux choses essentielles se jouent en réalité dans les fêtes de Noël : d’abord, une sorte de rite d’initiation qui vient marquer la frontière entre les enfants et les adultes. Les enfants se voient confirmés dans leur exclusion de la société des hommes par l’ignorance de certains mystères.

Plus profondément, derrière cette opposition entre les enfants et les adultes se joue une opposition entre les vivants et les morts. Dans la dynamique de l’échange, du don et du contre-don, les enfants occupent la position des morts qui viennent harceler et tourmenter les vivants.
Cela est évident dans les fêtes d’Halloween mais c’est également manifeste dans les fêtes de Noël ; les adultes, en offrant des cadeaux aux enfants, les offrent, en fait, à l’au-delà et cherchent un bref compromis, durant le quel seront suspendues toute crainte et toute amertume.
Avec le cadeau de Noël, nous rejouons un rituel très païen et demandons aux enfants de nous aider à ne pas mourir et à croire en la vie.
Et le repas du réveillon est un moment de réconciliation, un temps de suspens dans le cadre d’un banquet qui associe les vivants et les morts.
D’ailleurs, dans les pays slaves, on réserve toujours un couvert pour un convive inattendu, inconnu. « Le convive de la dernière fête ».

dimanche 20 décembre 2009

снег, schnee, śnieg,… Tombe la neige


Je suis heureuse ! J’ai trouvé un peu de fraîcheur cette semaine et surtout j’ai vécu l’émerveillement de la neige. Comme cela me manque ! J’ai envie d’assassiner les français catastrophés, paniqués, apeurés mais en fait simplement ridicules et petits bourgeois.




L’imaginaire russe et d’Europe Centrale est évidemment façonné par la neige. C’est la joie et la beauté mais c’est surtout cette idée que rien n’est irréversible, que la laideur peut tout à coup s’effacer et le monde être magiquement transfiguré. Avec la neige, le cours de votre vie peut soudain s’infléchir, s’arracher à la grisaille quotidienne, trouver une dimension esthétique. C’est ce qui explique la joie avec laquelle est vécue l’apparition des premiers flocons.



Pour illustrer mon post, je publie deux tableaux célébrissimes (du moins en Russie) l’un de Kuindhzi (Архип Куинджи) l’autre de Surikov (Василий Суриков).



Архип Куинджи, Василий Суриков,

dimanche 13 décembre 2009

Сталкер – le braconnier



En ce moment, je fréquente évidemment beaucoup les cimetières. C’est la saison propice.

Je viens de faire une petite incursion au cimetière russe de Sainte Geneviève des Bois que j'avais un peu oublié ces dernières années.


C’est étrange. Tout le monde, à Moscou, connaît Sainte Geneviève des Bois mais je ne suis pas sûre que le parisien du quartier Bastille ou Latour-Maubourg sache de quoi il s’agit. D’ailleurs, quelle drôle d’idée un cimetière russe dans un pays républicain. Le cimetière communautariste est même interdit par la loi.


Cependant, c’est vraiment un petit morceau de terre russe avec la végétation, les bouleaux, les couleurs, les coupoles bleues et or.



J’y allais surtout pour deux tombes remarquables.



D’abord celle d’Andreï Tarkovsky (Андрей Тарковский). Je ne vais évidemment pas disserter sur Andreï Tarkovsky dont les films m’ont tellement impressionnée visuellement. Ce qui est effrayant, c’est la légende qui entoure, à Moscou, le film « Stalker » : tous ceux, acteurs, réalisateurs, qui ont participé à ce film résolument métaphysique, sont décédés prématurément, à commencer par Tarkovsky lui-même.




Il y a aussi l’extraordinaire caveau de Rudolf Noureev (Рудольф Нуриев). Il évoque puissamment l’Asie Centrale, sous la forme d’un kilim réalisé en mosaïque.












Alors voilà ! J’ai rêvé devant les tombes de Tarkovsky et de Noureev. Et j’étais en même temps toute imprégnée de l’extraordinaire film de Bruno Dumont : « Hadewijch ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne craint pas d’être inactuel. Si vous voulez avoir une idée de qui je suis, le personnage de Julie Sokolowski (dont le nom polonais évoque un épervier) vous fournira une excellente illustration. Elle est encore plus jetée que moi. Elle est folle du Christ comme je suis folle de la mort. Et aussi, un même détachement vis-à-vis des contingences matérielles, une même force absolue. Mais finalement, la découverte que l’accès à la grâce passe par l’épreuve du corps, de la chair…




Photos Carmilla Le Golem (SIGMA DP2)-tombes d’Andreï Tarkovsky et Rudolf Noureev – cimetière de Sainte Geneviève des Bois

vendredi 4 décembre 2009

L’ange déchu


Depuis les états baltes, il est facile, via Tallinn, de gagner Helsinki. Je prenais un magnifique hydroglisseur, le Super Sea Cat, qui vient malheureusement, parait-il, de disparaître.

La Finlande, c’est très curieux. C’est un pays qui a été opprimé par les suédois puis par les russes qui y ont laissé une forte empreinte : on parle encore beaucoup suédois et l’architecture évoque souvent irrésistiblement la Russie.
On dit qu’Helsinki ressemble à Saint Petersbourg mais je trouve qu’il faut vraiment beaucoup d’imagination pour penser cela. C’est vrai cependant que, pendant la guerre froide, on tournait à Helsinki les films censés se passer en Union Soviétique.
J’aime bien la Finlande parce qu’on a l’impression d’être dans une sorte de bout du monde, confus et indistinct, presque toujours perdu dans les brumes et la grisaille. Rien n’est net, aigu, solide, tout est flou, spongieux, élastique. Ca me rappelle toujours un film de Ruy Guerra, « Tendres chasseurs », tourné à Saint Pierre et Miquelon.

A Helsinki, j’aime beaucoup les boîtes de jazz et l’architecture art nouveau, art déco. La gare centrale est époustouflante, sûrement la plus étonnante d’Europe.

Et puis, j’adore la statue symbole de la ville. Elle s’appelle Havis Amanda et surmonte une fontaine qui est un lieu de rencontre privilégié.




Surtout, je suis fascinée par le peintre Hugo Simberg et son extraordinaire tableau « l’ange blessé » (1903) qui a été reconnu, récemment, peinture nationale de la Finlande.

Un ange blessé, c’est une figure presque scandaleuse. C’est la corruption par le mal d’une image qu’on voudrait parfaite et asexuée.

L’ange blessé de Simberg me fait toujours penser à l’ange pleureur de la cathédrale d’Amiens. Là aussi, c’est une représentation, paraît-il, unique et d’autant plus troublante.



Hugo SIMBERG, photo Carmilla le Golem (SIGMA DP2)

vendredi 27 novembre 2009

« L’oeil écoute »



A plusieurs reprises, j’ai passé des vacances d’été en Lituanie. Au bord de la mer, plus précisément, dans l’une de ces admirables maisons en bois de la presqu’île de Neringa, peintes en bleu de Prusse et ocre rouge.


D’immenses dunes de sable, bordées de forêts de pins et de bouleaux, des étendues de bruyère rose composent un paysage austère auquel était sensible Thomas Mann qui y avait une grande maison, à Nida tout près de la frontière russe.
























Il y a aussi une célèbre photo de Jean-Paul Sartre faisant péniblement l’ascension d’une dune lituanienne. Il était là, en 1965, accompagné d’une traductrice russe, Lena Zonina, qui fut sa maîtresse. Curieusement, presque tout a été occulté de cette liaison, tant du côté russe que des proches de Sartre.


La Lituanie, c’est aussi pour moi le peintre et compositeur Čiurlionis. Je crois qu’il est un peu connu, en France, comme musicien. Il était contemporain de Maurice Ravel.


























Personnellement, je l’apprécie surtout comme peintre. Un musée lui est consacré à Kaunas. Il est bien sûr influencé par le symbolisme et l’art nouveau mais ce qui est intéressant, c’est que toute son œuvre cherche à établir une correspondance, ou plutôt une interpénétration, entre deux sphères, l’une picturale, l’autre musicale. Une commune réflexion de l’œil et de l’ouïe, en somme.
Que « l’œil écoute », comme disait Claudel, Čiurlionis en donne une illustration.



Mikalojus Konstantinas Čiurlionis

vendredi 20 novembre 2009

Par delà la ligne d’horizon



Alors, parfois, …lorsque je suis stressée..., je quitte Paris, à la nuit tombante et m’engage sur l’autoroute;
alors, je pousse à fond ma BM, aussi vite que possible, aussi loin que possible, vers le Nord, vers la mer, vers le ciel.

Vers le cimetière marin de Varengeville-sur-mer, là où Georges Braque est enterré.



Photos Carmilla le Golem sur Sigma DP 2

dimanche 15 novembre 2009

L’implosion du réel ou la révolution du désir



J’ai évidemment suivi avec attention les commentaires consacrés au 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. C’est drôle, tous ces « spécialistes », journalistes et politologues, qui ressassent les mêmes clichés et dépeignent l’ancien monde communiste sous les couleurs les plus noires : la terreur policière et la misère.

Ce n’est certes pas complètement faux mais ce n’est pas non plus complètement vrai et ce n’est en tous cas pas l’explication première de la chute du mur.


C’est d’abord négliger que l’immense majorité de la population avait une vie à peu près normale et n’avait qu’exceptionnellement affaire au KGB, la STASI ou la SB. Je vous étonnerai même sans doute en vous disant qu’en ce qui concerne la vie privée, la liberté des mœurs et même la création artistique (même si ça ne bénéficiait pas forcément d’une reconnaissance officielle et que ça variait sensiblement selon les pays), tout était à peu près possible. On ne s’exposait en fait à des ennuis que si l’on s’avisait de monter un groupe politique ou un syndicat dissidents.


Je vais aussi vous choquer en vous disant que, s’agissant du niveau de vie, la pauvreté était très relative car chacun bénéficiait d’un minimum vital et beaucoup de choses étaient presque gratuites (livres, cinéma, théâtre, médecine, université, transports). En fait, on vivait tous médiocrement mais pas dans la gêne. On avait même un rapport complètement détaché vis-à-vis de l’argent comme s’il n’avait aucune valeur, aucun pouvoir.

















En fait, la vie était simplement frugale et morose, sans aucun relief. On jouissait même d’une absolue sécurité, matérielle et psychologique, et il n’y avait normalement pas lieu de s’inquiéter pour l’avenir.


Etrangement cependant, c’est cela justement, cette absence de tonalité, cette matité du réel, qui était lancinant. Tout était tracé, programmé d’avance, de telle sorte que rien ne pouvait arriver, ni sur le plan individuel, ni sur le plan collectif. Le poids du réel était écrasant car il était de béton ou de plomb.


Un sentiment d’immobilisme absolu, voilà ce qui nous plongeait dans une dépression profonde. On a pu dire que L’Afrique n’était pas encore rentrée dans l’histoire; c’était évidemment stupide, mais ce qui est sûr c’est que le monde communiste, lui, en était sorti pour une éternelle stagnation. Et puis, il y avait la honte, l’humiliation vis-à-vis de l’Occident qui nous considérait avec condescendance.


Retrouver l’histoire, le mouvement, l’incertitude et éventuellement la peur, voilà ce qui explique, avant même les aspirations démocratiques et les revendications économiques, le mouvement qui a conduit à l’effondrement du système communiste. Retrouver la brûlure de l’imprévisible, de l’aventure et de la passion. Tout, plutôt que ce monde momifié, entièrement prévisible, qui ne faisait jamais vibrer.


Rien n’est plus oppressant qu’une société sécurisée, planifiée, sans aspérité, chatoiement, mystère.


Un monde sans désir, voilà ce qu’avait réalisé l’Union Soviétique.



















D’ailleurs, ce qui nous fascinait dans l’Occident, c’était moins son confort matériel que ses aspects sulfureux : le luxe, les beaux objets, les beaux vêtements, la supposée liberté sexuelle, les paradis artificiels, les stars, les boîtes de nuit, bref tout ce qui fait la beauté et l’esthétique de la vie.


Cela vous apparaîtra trivial mais on avait d’abord envie de boire du champagne, avoir des produits de maquillage et des parfums raffinés, porter de la lingerie chic, rouler dans de belles bagnoles et s’éclater dans une grande fête nocturne.

Je sens votre réprobation moralisatrice mais vous ne pouvez négliger que les groupes LVMH (Louis Vuitton, Dior) et l’Oréal ont autant contribué, en nous faisant rêver, au renversement du communisme que les théoriciens des droits de l’homme.






Boris Koustodiev (Борис Кустодиев), Nick Hannes, photo Carmilla le Golem sur SIGMA DP2

dimanche 8 novembre 2009

Manifeste pour une vampire


Je me réjouis. Le mouvement vampirique prend sans cesse de l’ampleur. Je ne parle pas seulement des nombreux films, très beaux, récemment sortis : « Morse » du suédois Thomas Alfredsson, « Thirst, ceci est mon sang » du coréen Park, « Jennifers’Body » de Karyn Kusama avec la renversante Megan Fox. On annonce également la prochaine sortie de « Twilight n°2 » mais c’est un peu trop ado pour moi. J’ai aussi remarqué que, dans les librairies, il y a maintenant tout un rayon consacré à la littérature vampirique ; ça change des étagères entières autrefois consacrés à Karl Marx. Et puis, il y a, dans les journaux, beaucoup d’articles consacrés au phénomène. Certes, on parle d’un effet de mode, d’adolescents un peu attardés ; quelques parents s’inquiètent, tout de même. Ils ont bien raison, car je suis convaincue qu’il s’agit d’une tendance de fond.






















Le vampirisme, c’est d’abord une révolte :

Contre la société hygiéniste et écologiste,
Contre l’Etat Orwellien qui cherche à nous exproprier de notre vie et de notre mort,
Contre le totalitarisme de la transparence absolue,
Contre le gouvernement des purs et des incorruptibles,
Contre tous les moutons dociles, pour qui la loi intérieure s’assimile à la loi positive, tous ces pieux et zélés fonctionnaires, thuriféraires du familialisme, artisans de la banalité et de l’ordre moral.





















Echapper à la grisaille ataraxique du monde, l’atonie du désir, l’indifférenciation généralisée, voilà mes rêves de vampire. Cracher sur les « hommes sans qualités » pour qui tout se vaut, retrouver la dimension tragique de la condition humaine.

Le vampirisme redonne d’abord à la sexualité sa force subversive. Elle n’est pas un choix, une hygiène, une satisfaction. Elle est d’abord un trouble, un bouleversement, une terreur. Elle est transgression, elle a partie liée avec le mal et avec la mort. Ce n’est pas le bien qui nous fait rêver, c’est l’abîme de la perte qui nous attire.
C’est le mal qui nous séduit jusqu’au vertige, tel est le message de Dostoïevsky (Фёдор Достоевский). Personne n’a envie de vivre avec un saint, en revanche nous sommes tous fascinés par les criminels.

Le vampirisme, c’est donc la conscience du mal en chacun de nous, cette pulsion de mort qui nous travaille sans cesse, nous pousse au crime et au suicide. Pas de désir sans interdit,… reconnaître cela c’est comprendre que nous sommes pêcheurs pas essence, ce qui fait notre grandeur et nous rapproche peut-être du divin.

Le sentiment de la faute, l’ivresse de la destruction, voilà ce qui nous entraîne, dicte nos conduites, sans que l’on sache si le crime précède la faute ou inversement. On peut aussi être criminel à force culpabilité dit Freud.

Le mal, le péché, la faute, l’interdit, voilà des notions qui font ricaner aujourd’hui à l’heure où tout le monde se proclame innocent, sincère, transparent, honnête, spontané.



Le vampirisme ne craint pas de réhabiliter tout cela. De même, il réaffirme l’absolu de la différence des sexes alors que l’on semble aujourd’hui croire à leur possible communion, confusion, réconciliation, dans une vision idyllique et pacifiée. Mais non !! Le mythe androgyne qui hante nos sociétés est là encore un fantasme totalitaire visant à évacuer le désir et la sexualité. Qu’on s’en réjouisse ou s’en afflige, il y a le roc du destin, l’incontournable de l’anatomie.

Le vampirisme est donc une exaltation de la féminité, sous ses aspects aujourd’hui les plus occultés : la séduction, l’artifice, l’apparence et surtout le pouvoir, un pouvoir terrifiant, maléfique. Ce n’est pas pour rien que je m’appelle Carmilla. Je sais bien en effet que certaines femmes ont une puissance d’effroi sur les hommes, une capacité à provoquer la terreur et l’angoisse. Comment ? Je ne vous le dirai évidemment pas mais c’est un thème qui affleure de plus en plus dans le cinéma et la littérature.

La toute puissance féminine, voilà ce qui me transporte. J’ajouterai évidemment, pour conclure, le goût des voyages insolites et la folie des langues.


Lord Leighton, Hugo Simberg, Photos Carmilla Le Golem sur SIGMA DP 2 à Montmartre

dimanche 1 novembre 2009

« Trouble everyday »



« Trouble everyday », en hommage au film magnifique de Claire Denis, avec Béatrice Dalle et la musique idoine des Tindersticks.











« Trouble everyday », pour la saison de ténèbres et d'angoisse qui s’ouvre aujourd’hui.

Pour le 1er novembre, le plus beau jour de l’année, je vous ai concocté, hier matin, quelques photos.

Comme la plus banale des touristes, je suis allée me balader du côté de la Tour Eiffel. Voilà un aperçu de ce que cela donne.
J’ai montré, hier soir, à quelques copines mes photos de la Tour Eiffel. Elles m’ont regardée avec un drôle d’air.


Il faut croire, décidément, qu’on ne voit pas le monde de la même manière, nous les vampires. Pourtant, la Tour Eiffel, c'est bien ça aussi.


Photos Carmilla Le Golem sur SIGMA DP 2, garanties sans montage ni bidouillage Photoshop.

dimanche 25 octobre 2009

« Lokis » - L’homme-ours


La Lituanie m’a toujours fait rêver. Une grande puissance déchue qui s’étendait « de la mer à la mer », de la Baltique à la Mer Noire. Une langue étrange, une sorte d’indo-européen originel proche, paraît-il, du sanskrit. Une capitale mythique Vilnius (que j’ai toujours eu tendance à appeler Wilno), merveille d’architecture baroque.

Je croyais aussi que la Lituanie était couverte de forêts primitives peuplées d’animaux sauvages. Mais ce n’est pas du tout ça ; la campagne est cultivée, plate et monotone. Seule la presqu’île de Nida réserve des moments d’émerveillement.

En visitant pour la première fois Vilnius, j’ai découvert, dans ses ruelles entrelacées, le restaurant « Lokis » dont le nom, qui signifie l’ours en lituanien, est un hommage à une nouvelle de l’écrivain Mérimée.






















C’est drôle, les lituaniens connaissent mieux Mérimée que les français qui ne le lisent plus guère. C’est sans doute dommage car son œuvre est fiévreuse et troublante. De plus Mérimée était un personnage hors du commun, cultivé et cosmopolite. Ami de Tourgueniev, il connaissait bien la langue et la culture russes, ce qui n’était pas si habituel à l’époque.

Mérimée a donc écrit une nouvelle « Lokis » qui se passe en Lituanie. Il y retranscrit parfaitement, à mes yeux, l’imaginaire de l’Europe Centrale.






















Mérimée résume lui-même, dans une lettre à l'Inconnue datée de 1867, cette nouvelle dans les termes suivants « La scène se passe en Lithuanie [...). Une grande dame du pays, étant à la chasse, a eu le malheur d'être prise par un ours dépourvu de sensibilité, de quoi elle est restée folle, ce qui ne l'a pas empêchée de donner le jour à un garçon bien constitué, qui grandit et qui devint charmant; seulement, il a des humeurs noires et des bizarreries inexplicables. On le marie; et, la première nuit de ses noces, il mange la femme toute crue. Vous qui connaissez les ficelles, puisque je vous les dévoile, vous devinez tout de suite le pourquoi. C'est que ce monsieur est le fils illégitime de cet ours mal élevé'".

Une sorte de nouvelle vampirique donc… On peut y voir une réflexion sur la part d’animalité en l’homme.

Plus profondément, il s’agit surtout pour moi de l’étroite imbrication du mal en chacun de nous.


Ivan Shishkin Иван Шишкин
Constantin Flavitskiï, (Константин Флавицкий) La mort de la princesse Tarakanova
Franciszek Starowieyski
Arkhip Kuinji , Архип Куинджи

dimanche 18 octobre 2009

Morsures d’automne

Vous me demandez souvent de parler davantage de ma vie quotidienne, concrète, bref de préciser qui je suis et comment je vis.















Je crois pourtant l’avoir déjà évoqué mais c’est en fait très simple. Je vis absolument seule, du fait de mon histoire personnelle mais surtout par goût, par choix, par horreur de la sujétion des relations sentimentales. Par horreur aussi de la vie familiale, de sa promiscuité et de sa malpropreté, de l’intrusion permanente de l’autre dans votre vie intime.

Pour beaucoup, le blog semble avoir une vertu compensatoire à une vie médiocre et morose. On tente alors de se présenter sous un jour aimable et sympathique et de justifier ses échecs. La demande d’amour fonctionne à plein sous un registre mensonger et conventionnel.




















Pour moi, ça n’est pas ça. J’ai la chance de n’avoir aucun souci, ni professionnel, ni matériel. Je suis libre, dégagée des contingences, je n’ai personne à envier. Je n’ai donc rien à compenser et n’ai pas à chercher à plaire ou à être sympathique. Surtout, j’ai en horreur la pensée commune. Le blog, c’est de la décharge émotionnelle pure.

Donc…, je vis principalement à Paris, tout près du parc Monceau, dans un appartement à mon image, mélange d’extrême modernité et d’esprit art nouveau-art déco.

Durant la semaine, je ne fais rien. Rien que travailler dans une sorte de tension frénétique en affrontant chaque jour des situations improbables. Les nuits, en revanche, sont toutes entières pour moi et je les épuise à essayer d’abaisser mes piles de livres.



















Le week-end, je sillonne inlassablement Paris. J’ai en effet déjà parlé du bonheur d’être une vampire, de l’hypersensibilité qui s’y attachait. Mais c’est aussi une torture, une obsession, avec le retour continuel de rêveries sensuelles qui réclament un assouvissement. Alors, je recherche dans la ville des objets de satisfaction. Ce n’est heureusement pas difficile de faire plein de rencontres. Je fréquente beaucoup les parcs, les grands magasins, la Fnac, certains cafés.


Je m’amuse aussi à fixer mes émotions en faisant des photographies. Je fais partie d’un cercle très fermé, conduit par un jeune suédois, Carl Rytterfalk, celui des adorateurs d’un drôle d’appareil, le Sigma DP 2. Je connais bien la technique mais je n’ai pas de talent, enfin… vous me reconnaîtrez probablement dans mes photos.



Alexandre Séon, Photos Carmilla le Golem, fontaine Médicis, les Tuileries, le parc Monceau

dimanche 11 octobre 2009

Le temps des victimes



Ouh la la !!! Les premiers développements de l’affaire Polański m’avaient laissé croire qu’on avait parfois un jugement éclairé en matière de mœurs. Ca n’a évidemment pas duré. Bien vite, ça a été le déchaînement, l’hallali, y compris de la part de personnalités que l’on croyait libérales. Un long article d’une tartufferie exemplaire dans « le Monde » ; des commentaires réprobateurs de Daniel Cohn-Bendit mais celui-là, entouré d’Eva Joly et de Dominique Voynet, qui déclare se distraire en jouant au football le dimanche, on se doute bien qu’il est en voie de fossilisation.

Un seul courageux, Alain Finkielkraut, que l’on se plaît pourtant à présenter, absurdement, comme hyper-réactionnaire.

























Et puis, l’écoeurante affaire Frédéric Mitterrand. Frédéric Mitterrand, le seul homme politique pour lequel j’accepterais de voter. Je n’ai lu que ses « Aigles foudroyés » mais croyez-moi, je suis compétente en la matière, c’est le meilleur bouquin sur l’Europe centrale du début du 20 ème siècle.

Quel drôle de pays ! On a vraiment l’impression de vivre entouré de petits boutiquiers haineux. Un pays où la révolution sexuelle en est restée à un stade pré-oedipien, avec une sur érotisation graveleuse de l’ensemble du champ social (les media, la publicité), mais en développant une vision apeurée et effrayée du monde.

Il faut tout de même rappeler qu’en France, le quart de la population carcérale est composé de délinquants sexuels. La loi pénale est en outre devenue extrêmement lourde et même absurdement disproportionnée : heureusement que Bertrand Cantat s’est contenté d’assassiner Marie Trintignant ; il a pu s’en sortir au bout de 4 ans (je ne pense pas néanmoins que ce soit trop peu), auréolé de la mystique de l’amour romantique. Mais s’il avait été un abominable pervers, qui avait tenté de caresser une jeune lituanienne, il continuerait sûrement de croupir dans une prison, victime de l’opprobre généralisé.



On a forgé cet étrange concept de « crime sexuel ». Le crime sexuel, j’ai cru comprendre que c’était l’agression qui vous traumatisait définitivement, irrémédiablement.



























Le traumatisme, c’est la tarte à la crème de la psychologie contemporaine. On serait, presque tous, des victimes. Un jour, on aurait subi une agression ou une tentative de séduction. Vous ne vous en souvenez pas toujours mais votre psychiatre est là pour en faire ressurgir le souvenir. Bien sûr, la victime ne s’en remet jamais, elle est définitivement traumatisée. Mieux, les « spécialistes » nous apprennent que les victimes deviennent souvent plus tard des agresseurs.



Inutile de rappeler que le point de vue de Freud est tout à fait différent : chaque événement est une « reconstruction », un mélange de réel et de fantasme ; en outre, la « cohérence » d’une vie ne se construit pas autour d’événements successifs mais dans l’articulation, inédite pour chacun de nous, du désir et de l’interdit.



























Ce qui est problématique pour moi, c’est que cette posture victimaire conduit à vivre dans une peur et une angoisse permanentes. Le monde serait plein de dangers, peuplé, durant l’enfance, de parents incestueux et de pervers pédophiles et plus tard, à l’âge adulte, de violeurs, de harceleurs et de criminels sadiques.


Un troupeau apeuré, cette image nietzschéenne rend souvent bien compte de la société française. C’est la domestication de l’homme, le renoncement à l’audace et à l’indépendance de l’esprit des Lumières.





Lenartowicz, Wiktor Sadowski, Franciszek Starowieyski

dimanche 4 octobre 2009

« Cul de sac »


Polański (prononcer Polagn’ski en accentuant sur le a), évidemment j’adore.

Certes, il me fait d’abord enrager parce qu’il parle bien mieux que moi le polonais, le russe, le français, l’allemand et l’anglais. Son cosmopolitisme est d’abord fascinant, de même que sa connaissance intime du judaïsme et du christianisme.


Et puis, il y a le lien très fort avec la ville médiévale de Cracovie (Kraków), avec ses artistes fous, et les merveilleuses montagnes avoisinantes des Tatras, avec leurs villages de maisons en bois.


On présente souvent Polański comme un réalisateur de films d’horreur. Son cinéma refuse pourtant tous les effets et repose plutôt sur la suggestion.




























Il montre simplement, me semble-t-il, l’affleurement continu du mal dans la vie la plus banale. Et puis, il aborde beaucoup de thèmes « inactuels » : l’effraction de l’autre dans notre intimité, l’ambiguïté du rapport bourreau-victime, la relation maître-esclave, l’absence de héros, les oubliés de l’histoire.


Curieusement, c’est sur « le Bal des vampires », dont je n’ai pas aimé le caractère de comédie, que j’exprimerais le plus de réserves. Mais il faut absolument redécouvrir certaines œuvres anciennes : « le Couteau dans l’eau » (Nóż w wodzie), Deux hommes et une armoire (Dwaj Ludzie z Szafą), Quand les anges tombent (Gdy Spadają Anioły) et puis bien sûr « Cul de sac », « le locataire » et « Tess ».


L’arrestation à Zürich, la semaine dernière, de Roman Polański a soulevé une saine indignation des personnalités politiques et artistiques. Cependant, si on lit quelques commentaires sur Internet, on se rend compte tout de suite que « les braves gens » ne suivent pas : on souhaite vraiment que Polański fasse ses 30 ans de prison.























C’est sûr, la nouvelle morale sexuelle, sous ses masques émancipateurs et hédonistes, est aujourd’hui triomphante. Nous vivons une drôle d’époque obsédée, hantée jusqu’à l’hystérie, par la figure du monstre et du criminel sexuel (même Bernard-Henri Levy, que j’aime pourtant bien, a parlé d’acte criminel concernant Polański !!). Le fantasme d’un monde étrange qui, comme l’a bien montré Marcela Iacub, serait peuplé d’une foule de dangereux pervers, des pédophiles en premier lieu mais aussi des violeurs, des harceleurs, des manipulateurs.


C’est le triomphe de la victime : qu’il est loin le temps des Lumières, quand on considérait l’homme capable d’assumer, par lui-même, son propre destin.



Jan Lenica – Andrzej Pagowski