jeudi 25 décembre 2008

Du sang sur la neige
























Je n’ai jamais beaucoup aimé le Père Noël. Ce vieux mâle tout puissant et tout libidineux, avec sa barbe blanche et son bonnet rouge, qui vient offrir des cadeaux aux enfants après être passé par la cheminée, c’est d’une grossièreté symbolique insultante. Je m’étonne même, avec l’hystérie anti-pédophile actuelle, que certaines ligues de vertu n’aient pas cherché à interdire le Père Noël.

Enfin…, le plus important est, paraît-il, non pas qu’on croie au Père Noël mais qu’on cesse un jour, brusquement, d’y croire. A partir de là prend naissance l’esprit critique et débute l’apprentissage de la réalité.
























Pour ma part, je préfère des symboles plus féminins. Blanche-Neige en particulier qui décrit bien l’angoisse de l’initiation sexuelle de la jeune fille, en maniant, là encore mais de manière plus subtile, les couleurs rouge et blanche. Blanche Neige : « une enfant, au teint blanc comme la neige, aux lèvres rouges comme le sang et aux cheveux noirs comme le bois d´ébène. » Et puis, il y a la question du narcissisme et la haine implacable que se vouent Blanche-Neige et sa marâtre. La haine rarement évoquée des parents pour leurs enfants, leur peur d’être évincés…

Donc, plutôt que ce vieux pervers-pépère Noël, j’ai choisi de rêver avec ces images d’une Blanche-Neige moderne réalisées par un photographe russe, Konstantin Zilberburg.



















A part ça, j’ai passé un excellent réveillon. Je me suis goinfrée : une petite carpe, une cinquantaine d’écrevisses, une anguille fumée toute entière, arrosées d’un Bollinger. Ce qui était pénible, c’est qu’il fallait assassiner la carpe qui commençait à s’habituer à mon évier et châtrer les écrevisses (hi ! hi !) avant de les plonger dans un chablis bouillant. En dessert heureusement, mon « Ispahan » de Pierre Hermé, pour lequel j’ai patienté une demi-heure tout près de la place Saint Sulpice ; une évocation puissante du Japon et de l’Iran .

samedi 20 décembre 2008

Les petits chevaux du Dalarna

























Culturellement, la Suède a encore un temps d’avance. Elle préfigure notre avenir : le triomphe de la transparence et de l’hygiénisme. Avec un Etat maternant plein de sollicitude pour des citoyens sains et équilibrés. Pacification, domestication maximales, éradication complète du crime. Tout est adouci, feutré, sans aspérités ; même mon plat favori, les harengs, a un arrière goût sucré de cannelle.


Les choses vont même au delà des prohibitions anecdotiques et aujourd’hui universelles sur le tabac et l’alcool ; elles touchent plus profondément à la relation entre les sexes. A Stockholm, on remarque une femme qui porte une jupe. Si en plus, elle est maquillée ou porte des talons, elle est soit une prostituée, soit une touriste. Quand on vient de Moscou, le contraste est saisissant.



Andy JULIA

Lors de mon premier séjour en Suède, je m’étais dit que j’y ferais fortune en ouvrant une boutique de lingerie fine. Mais c’était sûrement une fausse bonne idée et j’y aurais sans doute rapidement fait faillite. Ici la séduction est proscrite ; on affirme le naturel, la simplicité et la vérité de l’individu. Le modèle sexuel n’est même pas l’androgynie, c’est l’atonie, la dépression du désir. Du reste, dans cette espèce d’indifférenciation, les femmes deviennent étrangement transparentes.

De prime abord donc, ces suédois trop clairs, trop évidents, si prosaïques, sont bien éloignés de moi, Carmilla la vampire, qui n’aime que les déglingués et les déjantés. Qui ne vois l’amour que comme une transgression.


Pourtant, j’ai un jour remarqué que leurs deux plus célèbres artistes, l’écrivain Strindberg et le peintre Josephson, sont morts après avoir sombré dans une folie totale.











Andy JULIA

Et puis, j’ai appris l’existence de ces groupes, pas seulement de jeunes, qui disparaissent soudainement, fuient la civilisation et se retirent au fin fond d’une forêt, au bord d’un lac, là où personne ne pourra jamais venir les chercher. Et il est vrai que c’est encore l’un des rares pays au monde où l’on puisse vivre dans une solitude absolue.

J’ai appris un mot : le « stamning » ; c’est un peu une mélancolie heureuse de la nature ; une relation symbolique, ritualisée, non utilitaire avec elle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Linné était suédois. J’ai alors compris que les orchidées, au nombre de 37 sur l’ile d’Oland, ne sont pas des fleurs, mais le réceptacle d’un secret, que le bouleau n’est pas un arbre, tel que peut le percevoir un français, mais une légende, la source de la lumière au sein de la forêt. Et que la forêt elle-même n’est pas un regroupement d’essences diverses mais un immense organisme vivant, fabuleux et terrifiant, peuplé de nains, de sorcières et de trolls.

Tony Murphy

Alors, une année, il n’y a pas si longtemps de cela, j’ai voulu faire l’expérience et je suis partie moi aussi, au hasard, tel Nils Holgersson, dans la nature immense, errant de fermes en fermes dans la province suédoise. Je me souviens de la lumière blanche et rasante des soirs d’été, des grands aplats de couleurs, ocre, mauve, bleu, blanc, de la géométrie des fleurs, du bruissement incessant des insectes, rythmé par le battement des pales des moulins. Et puis les paysans suédois tellement différents de leurs homologues français ; des paysans poètes, érudits, dotés d’impressionnantes bibliothèques, vivant dans des maisons de bois revêtues de peinture mélangée à du cuivre.














Se perdre pour mieux se retrouver, tel est le sens de l’errance. J’ai terminé mon périple au Dalarna, la Dalécarlie en français, dans cette province située au Nord-Ouest d’Uppsala, où l’on fabrique ces petits chevaux de bois peint, symboles de la Suède.

Je me suis arrêtée à Falun, tout près de la maison du peintre Carl Larsson. Carl Larsson résume extraordinairement la mentalité suédoise et il semble démontrer, au rebours de tous les principes aujourd’hui admis, que l’on peut faire aussi de l’art avec de bons sentiments.




































Impossible d’imaginer endroit plus paisible, plus bucolique, que Falun et la maison de Larsson. Même moi, j’ai failli y devenir écologiste.

Chose très étrange. L’une des très rares photos que l’on possède de Ben Laden adolescent a été prise à Falun où il passait des vacances avec sa famille dans les années 70.
























Carl LARSSON

samedi 13 décembre 2008

"Le Sphinx des Glaces"














Ellen KOOI

Non loin de chez moi, se trouve, rue Médéric, la Svenska Kyrkan, l’église suédoise de Paris, à quelques pas, étrangement, de l’église orthodoxe de la rue Daru. L’église suédoise, c’est un petit morceau de Suède, fiché en plein cœur de Paris avec son architecture détonante de briques rouges.














Aujourd’hui 13 décembre, grande animation, c’est la Sainte Lucia, la fête de la lumière… des jeunes filles en aube blanche, des couronnes de bougies. On boit du glögg toute la journée.

Ici, on ignore presque tout de la Suède. Ce qui est étonnant, c’est à quel point l’imaginaire historique diffère d’un pays à l’autre. Je n’ai rencontré presque personne en France à qui les batailles de Varna (1700) et de Poltava (1709) disaient quelque chose. Pourtant, à cette époque pas si lointaine, il s’en est fallu d’un cheveu que l’on assiste à une recomposition radicale de l’Europe qui aurait eu la Suède pour pivot (plus de Russie, plus de Pologne, plus de Prusse). Moi, les « lumières du Nord » m’ont toujours fascinée.

J’aime d’abord la reine Christine, reine démissionnaire de son plein gré, par simple lassitude, qui s’était aliénée la noblesse par ses excentricités, son mépris des convenances et ses dépenses fastueuses.

















Christine érudite, qui recevait des leçons de Descartes, chaque matin à 5 heures. Le philosophe écrivit pour elle le très curieux « Traité des Passions » avant de s'éteindre d'épuisement à Stockholm au bout d'un an.

Christine ensuite grande voyageuse, reine ambulante, sportive, aux mœurs sulfureuses. Des rumeurs sur son lesbianisme terrifient le pape qui accueille néanmoins avec faste cette convertie au catholicisme. A Rome, elle s'entiche d'un marquis avec qui elle se rend à la cour du jeune roi de France, Louis XIV. Elle y rencontre des femmes de sa trempe, Ninon de Lenclos et Mlle de Montpensier.

Un jour, au château de Fontainebleau, Christine aurait fait exécuter à l'épée son dévoué marquis, peut-être parce qu'il se serait moqué d’elle. Admirable !

Christine enfin qui termine sa vie à Rome, devenue ascète, mystique. Elle est inhumée dans la basilique Saint Pierre.

Et puis j’adore Charles XII à qui Voltaire a consacré une biographie. Charles XII, véritable héros au sens lacanien du terme : celui qui ne cède jamais sur son désir. Charles XII, le roi adolescent qui aimait la neige, les deuils et le soleil froid. Eperdu de fêtes sanglantes et lugubres. D’une témérité sans frein, il a choisi de vivre dans un monde glacial, inexorable, purgé de toute douceur féminine, sans tendresse, sans apitoiement. Il est un roi noir, fatal, d’autant plus redoutable qu’il est un ascète et lit inlassablement la Bible et la vie d’Alexandre.




Van der Stappen


Charles XII, « punk héroïque et boréal », qui contemple impassible, à Narva, les interminables colonnes de soldats russes qui rendent, humiliés, leurs drapeaux.

Charles XII méprisait les russes mais favorisera indirectement l’éclosion de leur puissance. Il sera en effet balayé quelques années plus tard par Pierre le Grand, à Poltava, dans les plaines de la lointaine Ukraine.

Désirée DOLRON

vendredi 5 décembre 2008

Rêve noir d'un lapin blanc vêtu d'une redingote rouge



J’ai retrouvé la France. Tout m’apparaît gris et vieux.

Je me console en rêvant. Je contemple fascinée cette photographie qui évoque avec force celle que j’étais quand j’étais plus jeune.

Mon côté délavé,
Mon côté évanescent, tremblant,
Mon côté sainte-nitouche.
Mon amour des lapins.

Je regrette parfois de ne pas être comme la vraie Carmilla, sombre et forte, alors que je suis frêle et gracile. Je n’ai même pas de seins, je suis presque androgyne. Mais peut-être que cela n’entame en rien ma séduction de vampire.

Mais ne rêvez pas, je vous le rappelle… je suis trop belle, vous les mecs, pour être hétérosexuelle et trop belle aussi, vous les nanas, pour supporter d’être embêtée par qui que ce soit. Je n’aime pas l’amour, je suis une grande solitaire.

Vous remarquerez peut-être que j’utilise un vernis noir pour mes ongles. Ce n’est certes pas de très bon goût mais je suis tout de même une vampire. Et puis c’est pour faire écho aux yeux en boutons de bottine des lapins.

J’aime les lapins pour deux raisons avouables :

- le lapin est un champion de course à pied, ce qui lui vaut évidemment toute ma considération

- le lapin est un animal absolument doux et pacifique ; un chat griffe et un chien mord mais on n’a jamais entendu parler de quelqu’un qui avait été attaqué par un lapin.
 

















Catherine SERVEL

Ce qui m‘effraie, me donne la nausée : en France et dans tous les pays méditerranéens, on mange du lapin. Quelle horreur ! Quelle barbarie ! Heureusement, on est plus civilisés en Europe du Nord.

Les raisons inavouables de mon amour pour les lapins, je vous les laisse deviner. Je vous mettrai peut-être sur la piste en précisant que j’adore les escarpins. A Moscou, je me suis acheté une magnifique paire, d’un rouge éclatant. J’ai aussi trouvé un collant soyeux assorti. L’impératrice rouge, c’est moi !

Alors…, je me sens très heureuse… lorsque je me contemple dans un miroir, protégeant mon lapin blanc de l’arc rouge de mes jambes, vêtue de mes seuls escarpins et de mon collant.

Ce n’est pas innocemment que le lapin blanc d’Alice portait lui-même une redingote rouge.