vendredi 8 août 2008

J'irai comme un cheval fou















Angela Strassheim


On fait maintenant de la prévention des addictions une préoccupation majeure de santé publique. Perplexité de ma part car le champ des addictions s’étend sans cesse (au début simplement le tabac, l’alcool et la drogue ; s’y ajoutent aujourd’hui l’anorexie et la boulimie ; bientôt peut-être, le jeu et la compulsion d’achat). En outre, les populations concernées sont toujours plus nombreuses, au point que chacun d’entre nous est désormais appelé à bénéficier de la sollicitude collective. Il est vrai que ces pathologies diverses sont étroitement liées et relèvent d’une même logique existentielle; il est ainsi fréquent qu’un patient les présente toutes, simultanément ou successivement.


Les addictions : un mouvement irrépressible, débordant... On peut s’interroger sur l’intervention de l’Etat, avec application de dispositifs souvent très répressifs (interdiction de fait des blogs pro ana), dans la régulation de nos existences et la préservation de l’ordre sexuel. La société écolo-hygiéniste poursuit en fait deux objectifs : nous exproprier de notre vie et de notre mort en nous déresponsabilisant; nous dicter aussi notre identité…, soyez homme ou femme et surtout bons parents.

Si l’on prend le cas le plus marquant, celui de l’anorexie, 50 à 60 000 femmes en France souffriraient d’anorexie grave. Sur ces 50 000, 15 % sont appelées à décéder, soit environ 7 000. Plus largement, ce serait près de 2 % de la population féminine qui serait concernée par l’anorexie, ce qui représenterait tout de même plus de 600 000 personnes. Chiffres impressionnants : imaginons la ville de Nantes et son agglomération entièrement peuplée d’anorexiques. Leur fiabilité est certes contestable mais ils donnent néanmoins le sentiment d’une véritable épidémie.


Les analyses les plus simplistes évoquent l’impact de la publicité et de la mode.


Le processus est en fait exactement inverse. On ne devient pas anorexique pour se conformer à un modèle mais au contraire parce que l’on refuse un modèle, le modèle de la cellule familiale et de la relation sexuelle duelle vouée à la reproduction.


Le développement de l’anorexie traduit en fait l’émergence d’une sexualité nouvelle, en dehors du couple et de la procréation.


La sexualité humaine n’est aujourd’hui pensée qu’en termes de choix d’objet, d’orientation hétérosexuelle ou homosexuelle. Tout tourne autour de l’idée d’un couple et d’une parentalité et il s’agit toujours de préserver le cocon familial et la dualité sexuelle. Il n’y a que deux sexes, affirme-t-on et le débat est définitivement clos.


C’est cela, ce monde incestueux et fermé de la famille, que refuse absolument l’anorexique. Elle est une révolutionnaire : pour elle, la sexualité va au-delà de l’opposition des deux sexes, elle est multiple, infinie.












Justine Kurland
Comme les schizophrènes de Deleuze et les transsexuels de Stoller (et j’ajouterai évidemment les vampires), l’anorexique permet de concevoir une sexualité sans objet. Non pas l’appropriation, la conquête d’un autre, mais la pure extase d’un rôle, d’un jeu, d’un personnage endossé, bref de la séduction.

La diffraction, pulvérisation de l’identité féminine…la simple affirmation de la plénitude d’une existence dans la succession de ses masques.

Certes, le masque de l’anorexique est terrifiant, effroyable. Cependant, le message véhiculé n’est peut être pas totalement négatif. J’apporterai mon témoignage : les anorexiques sont des personnes très douces, radicalement non violentes. Leur jeûne évoque ceux de Gandhi dans sa lutte contre l’empire britannique.

Pour que cesse enfin la violence du monde…


Delphine Balley

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