dimanche 15 juin 2008

L'indicible monstruosité et la banalité du mal















Je me suis longtemps interrogée sur la transposition de l’indicible monstruosité à la société politique toute entière, autrement dit sur la forme d’expression de la psychologie individuelle dans un système totalitaire.

Des cinéastes italiens grandiloquents (Luchino Visconti, Liliana Cavani, Pier Paolo Pasolini) ont en leur temps tranché. Le fascisme, c’est la perversion et c’est à la limite l’expression achevée du sado-masochisme.

Etrange falsification et manière de nous rendre étranger le totalitarisme. Il est d’abord bien connu que les dictatures s’attachent en premier lieu à réprimer l’exubérance sexuelle. Une sexualité parcimonieuse d’épicier, vouée exclusivement à la reproduction, tel est l’imaginaire puritain des dictatures.

Le langage de Sade n’est pas celui du bourreau mais celui de la victime. Georges Bataille a sur ce point apporté une démonstration définitive.

Les bourreaux, ce sont des gens ordinaires, des « hommes sans qualités » qui agissent par devoir. Assistant au procès d’Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt constate que le monstre sanguinaire qu'on a décrit est un homme tristement banal, un petit fonctionnaire ambitieux et zélé, entièrement soumis à l'autorité, incapable de distinguer le bien du mal. Un criminel de bureau peut-être même pas antisémite et possédant un vernis de culture puisqu’il se justifie en invoquant la « Critique de la Raison Pratique » de Kant.











La pensée humaniste nous a appris la compassion pour les victimes mais en déshumanisant le bourreau, en nous le rendant étranger pour qu’on ne s’y reconnaisse pas.
En évoquant « la banalité du mal », Hannah Arendt exhibe la proximité essentielle du bourreau. Ceux qui choisissent en effet d'accomplir les activités les plus monstrueuses, dans les sociétés totalitaires, ne sont pas si différents de nous : l'inhumain se loge en chacun de nous.

On se penche sans cesse sur les victimes mais on parle rarement du bourreau. On ne naît pas bourreau et le monde ne se répartit pas entre les bons et les méchants. Entre le saint et le criminel sadique, il y a en nous des potentialités terribles.

Alors que faire ? Continuer à "penser" (c'est-à-dire s'interroger sur soi, sur ses actes, sur la norme) est la voie unique pour ne pas sombrer dans la banalité du mal.

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