vendredi 27 juin 2008

Deep End

















Sophie PAWLAK

Je pense à Jerzy Skolimowski, à "Deep End", à l'Angleterre des années 6O. Au crime qui vous transfigure, vous libère... de votre sentiment de culpabilité.


Je me rends chaque semaine à la piscine du Forum des Halles, vaste et propre et surtout exposée à la curiosité des promeneurs grâce à une grande baie vitrée donnant sur le centre commercial. J’aime ces visages agglutinés matant les nageurs, ces ricanements apeurés de la foule, cette fausse hilarité déguisant la misère sexuelle.

A la piscine, je trouve un monde souple et silencieux, où les corps se frôlent sans s’entrechoquer où les sons matifiés sont rythmés par le seul mouvement liquide. Plus d’écho agressif, plus d’angles aigus.

J'adore la natation; je me sens délivrée de mon corps, de sa vile pesanteur.

Anonyme, bonnet de caoutchouc, masque de silicone, maillot de peau moirée, je nage en me propulsant tout au fond de la piscine, tel un inquiétant sous-marin. « Bleu presque transparent » : froide opalescence aux reflets irisés traversée par des corps en suspension, plaisir de l’indifférenciation dans un monde monochrome, sensualité exacerbée par la confusion du corps avec l’eau.

Et puis soudain, je suis prise de haine pour les nageurs qui gâchent mon magnifique horizon, qui crèvent le cadre de mon beau ciel bleu liquide Yves Klein. Je remonte alors brutalement à la surface et frappe une silhouette au hasard du tranchant d’une lame de rasoir; cou de cygne, ventre soyeux, jambes effilées. Surprise totale, la victime ne se rend d’abord compte de rien ; blessure superficielle presque indolore tant mon arme est affûtée.














Je sors alors lentement du bassin et je m’en vais contempler l’épanouissement progressif, un filet une corolle, d’une magnifique fleur carmin dans un azur glacial, jusqu’à l’explosion d’un cri horrifié.


Sérénité, transfiguration… je quitte la piscine pleine d’assurance, presque rassérénée. J’évacue définitivement ma fièvre dans une orgie d’achats à la Fnac.

Dostoievski : criminelle à force de culpabilité.
La culpabilité précède la faute.

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