vendredi 9 mai 2008

Le sexe solaire





















Guy Bourdin


On l’aura compris, je vis entièrement seule. Pas de famille, pas d’ami(e)s, pas d’amant(e)s. Le mortel ennui des repas du dimanche, ce n’est pas pour moi, la promiscuité malpropre du couple, ce n’est pas pour moi, les dîners de filles, ce n’est pas pour moi, les hurlements des enfants, ce n’est pas pour moi.

J’apprécie cette solitude et ne me sens pas du tout malheureuse. En effet, être une vampire est d’abord une jouissance extraordinaire, l’acmé de la féminité, le sommet de sa puissance et de sa sombre séduction. Comment dire le plaisir de tous ces regards, fascinés et inquiets, qui se portent sur moi, m’effleurent, me caressent, me déshabillent dans une interrogation muette ? Savoir aussi que je viens habiter les pensées d’hommes et de femmes, que je hante leurs rêves et leurs cauchemars. Focaliser ainsi l’attention, dicter le désir, devenir un motif obsessionnel, jouer du pouvoir, cela est finalement bien plus intense que n’importe quelle relation physique. Freud avait raison, il n’y a qu’une sorte d’énergie sexuelle, une seule libido universelle mais il est aujourd’hui évident que son essence est féminine. Le sexe solaire à l’irrésistible force de gravitation, c’est bien sûr le sexe féminin.

Alors oui … mon premier plaisir est de séduire, sans jamais bien sûr me révéler ni me donner : jamais personne ne me possèdera, ne me rendra amoureuse, n’atteindra ma nudité. Je ne donne donc rien mais je vous arrache subrepticement votre vie toute entière, je me nourris de vous et vous dépérissez petit à petit, dans une lancinante langueur, parce que vous avez cru que vous pourriez me conquérir.

Ma première préoccupation porte donc sur mon apparence extérieure, corporelle et vestimentaire. Temps infini consacré à dessiner la balafre purpurine d’un rouge à lèvres (Fever Gloss Roses de Lancôme), à accentuer d’une poudre (Shu-Uemura) la pâleur de mon visage, à acérer mes ongles d’un vernis carmin (Blood Flower de Dior), à laquer ma blonde chevelure (luscious curls de Fekkai), à choisir une petite culotte (Aubade), un parfum (Hypnotic Poison), des escarpins (Foxy de Repetto), une veste (Kenzo). Quand j'ai enfin réussi à me désincarner, à me sentir abstraitement belle, je m'en vais simplement me livrer au regards de la foule, arpentant les grands boulevards, longeant les terrasses des cafés, généralement toute de noir vêtue ou bien, en été, d'une éclatante blancheur qui surligne mon caractère diaphane. La fulgurance des regards portés suffit à mon extase.

Le monde de la séduction, de l'artifice, je le revendique entièrement même sous ses formes les plus superficielles, les plus triviales. Une sorte de combat contre l'idéologie commune qui, au nom du naturel et de l'authenticité, voudrait aujourd'hui éradiquer la séduction. Mais cet idéal de naïve simplicité a pour moi son envers : la promotion du monde de la famille, du monde incestueux où l'on vit peureusement entre soi.


La séduction, comme esprit d'aventure mais aussi comme esprit esthétique; une esthétique de la vie où je trouve plaisir créateur, fantaisie et somme toute liberté dans un jeu avec les codes de l'apparence.

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