dimanche 30 mars 2008

Le matin calme

























Magdalena Abakanowicz

Cette nuit, je remonterai la noire Sibérie jusqu'à Vorkouta, via Helsinki, St Petersbourg, Arkhangelsk et je plongerai sur le Pacifique, vers le royaume ermite, du peuple vêtu de blanc, du peuple des chamans d'Asie centrale, du matin frais, du matin calme...

jeudi 27 mars 2008

Bouf-é-Kour La chouette aveugle






































Sadegh Hedayat

Je réapparaissais donc en Iran; exaltation, prostration : apprentissage d'une nouvelle sensibilité et même d'une hypersensibilité, mais horreur et angoisse de ma nouvelle situation; sentir que l'on appartient malgré tout au monde des morts. Seul l'opium, auquel je m'adonnais frénétiquement, me procurait apaisement; un brocanteur lépreux, expert en miniatures, m'approvisionnait en cylindres dorés d'Afghanistan.

Je pris pension à l'hôtel Amir-Kabir, ancien lieu de rendez-vous des routards et hippies. Pendant des semaines, je n'ai pas quitté mon logement crasseux. L'opium faisait sans cesse resurgir les abîmes du passé.

Et puis un soir, de la lucarne de ma chambre, j'aperçus des yeux effrayants et enchanteurs, des yeux bridés comme ceux des turkmènes, animés d'un éclat enivrant...

... et aussi la délicatesse d'une silhouette, l'impassibilté éthérée d'une posture; une attitude mélancolique, une joie navrante, les gestes harmonieux d'une danseuse sacrée de l'Inde; beauté d'une vision d'opium que tout indiquait passagère et fragile.

Je me contemplais dans un miroir...





































Et la résurgence obsédante d'un même motif, répété à d'infimes variations près dans mes rêves :


"Un cyprès au pied duquel est accroupi un vieillard voûté, pareil aux yoguis de l'Inde. Drapé dans un aba, la tête entourée d'un turban, il tient son index gauche sur ses lèvres, figé dans une attitude qui exprime l'étonnement. Face à lui, une jeune fille, drapée de longs vêtements noirs, quelque bayadère peut-être, danse avec des mouvements étranges. Elle tient une fleur de capucine à la main. Un ruisseau sépare les deux personnages."

"Alors je me retournais dans mon lit : mes vêtements étaient déchirés; de la tête aux pieds, j'étais couverte de sang coagulé. Deux hannetons voletaient autour de moi : de minuscules vers blancs se tordaient sur mon corps - et je sentais un cadavre peser de tout son poids sur ma poitrine".


Telles furent mes premières visions vampiriques.

mercredi 26 mars 2008

Le bleu et le jaune


























Raphaële Colombi


L’Iran, ce fut d’abord pour moi l’impression que le réel se jetait sur moi, qu’il cherchait à me mordre, comme une boule de feu un soir d’orage. Pas l’aimable paysage européen contemplé passivement, mais le monde acéré, tranchant, de l’Asie : d’une netteté presque absolue, baignant dans une clarté aveuglante.

Je venais de l’Europe du Nord où tout était brumeux, indécis : des forêts primitives, dégoulinantes d’humidité, des lacs fangeux, des formes molles et proliférantes.

Ici en Iran, pas de nuances, pas de pénombre bistre mais les objets découpés au rasoir, le réel chauffé à blanc, passé sous un arc électrique. Un surcroît de réalité, c’était ce que nous éprouvions lorsque nous franchissions un étrange petit portail à la douane turque, proche de Dogubayazit, et que nous plongions dans la lumière vers Makou. Le voyage passait alors du noir et blanc à la couleur, les coquelicots étaient d’un rouge lucifer, les rivières d’un blanc d’opale, les montagnes bien découpées contre le ciel.

Et puis des paysages d’une évidente simplicité, rien qui égare le regard, l’abstraction presque ultime dans le contraste violent de deux couleurs : le bleu et le jaune. De simples horizons bicolores à l’image d’un tableau de Rotkho, ciel de lapis-lazuli surplombant un plateau ocre et or émaillé ça et là de quelques maisons indistinctes de pisé. Et plus nous descendions vers le sud, plus l’opposition était forte : à Kerman, le bleu saturé qui vire presque au noir, le bleu saturé de la nuit persane plombé d’étoiles précieuses.