Les relations humaines les plus banales, on a tendance à croire qu'elles se tissent sur un mode neutre, égalitaire et bienveillant.
En fait, dès qu'on rentre en contact avec quelqu'un, s'établit un rapport de confrontation/domination. Le conflit est le moteur de la vie. On est agités par un irrépressible besoin de reconnaissance, même au sein de sa famille, même avec ses voisins, ses collègues ou ses amis.
Les relations humaines sont, à chaque instant, modelées par une violence hiérarchique. Mais on prend soin de dissimuler cette brutalité sous les dehors de la politesse et d'une apparente attention à l'autre. Mais, en réalité, on se fiche bien des propos de notre interlocuteur. On cherche simplement à le rapetisser pour asseoir notre domination sur lui. Et à cette fin, tous les moyens sont bons: le mensonge, la tromperie, la mystification.
Ca fonctionne à tous les niveaux de la société et plus particulièrement, bien sûr, dans les relations entre les sexes. D'emblée, il y en a un qui cherche à prendre le pouvoir et qui est sans scrupules sur les méthodes utilisées.
Evidemment, l'initiative, elle est encore, dans 99% des cas, du côté des mecs. La Révolution en la matière, elle n'est pas près de se produire.
Mais ce qui est le plus sidérant, c'est les gros sabots qui continuent d'être chaussés à cette occasion. Ma copine Daria et moi, on aime échanger sur toutes nos aventures sentimentales et c'est cet aspect qui nous fait le plus hurler de rire.
Il est vrai que je dois passer pour une proie facile parce qu'en dehors de mon apparence extérieure, je fais tout pour impressionner le moins possible. Je ne brille vraiment pas dans une conversation, je me tiens plutôt coite et je dois, généralement, passer pour une idiote.
Surtout, je n'évoque jamais ma situation professionnelle ni mes études. Je laisse simplement entendre que je survis laborieusement grâce à un job alimentaire (administration et comptabilité).
C'est ma tactique générale. Ne jamais me découvrir, toujours apparaître neutre, insaisissable. C'est sans doute parce que, comme beaucoup d'étrangers qui se sont assimilés, je souffre du syndrome de l'imposteur. Je n'arrive pas à intégrer que j'aie pu réussir en France au point de vivre dans le quartier de la Plaine Monceau. On ne peut que me détester pour cela. Qu'est-ce qu'elle vient encombrer nos plates bandes, celle-là ?
Je suis convaincue que ma situation est imméritée; elle n'est due qu'au hasard, à la chance, voire au favoritisme (parce que ne suis pas trop mal foutue). Je me dis ainsi que les voisins de mon immeuble, tous des bourgeois bien installés, doivent me soupçonner de vivre d'activités peu recommandables.
Ou alors, mon rêve le plus fréquent: je dois repasser tous mes examens, d'abord le baccalauréat, et bien sûr, j'échoue lamentablement. Je n'ai plus d'autre solution que de retourner là-bas, d'où je viens, pour me coltiner des gosses et un mari alcoolique dans une affreuse banlieue de l'époque stalinienne.
Je porte donc en moi un fort sentiment d'illégitimité qui explique beaucoup mon comportement et mon attitude générale. Mais j'agis alors de manière paradoxale : j'ai un sentiment d'imposture mais je me mets à la pratiquer moi-même de manière retournée, en m'affichant de manière dépréciée.
Et puis, j'ai l'impression que ça contribue à beaucoup enhardir ceux qui s'approchent de moi, pour me draguer. Comme ils m'abordent avec un sentiment de supériorité, ils ne semblent trouver aucune limite en ma compagnie. Ils font aussitôt étalage de leur vie extraordinaire. Tous des grands artistes ou sportifs ou bien des professions prestigieuses. Et puis des loisirs extraordinaires avec de multiples séjours dans des endroits paradisiaques.
Je les écoute, je fais semblant d'être admirative, je glisse juste quelques remarques dont ils ne perçoivent pas la perfidie. Evidemment, ils se montrent plein de commisération quand je dis que je passe mes vacances dans "les pays de l'Est" et que je fais "de la comptabilité". Mais ils sont alors convaincus que je vais me dépêcher de sauter dans leur lit.
Mais quand je les éconduis sèchement, ils deviennent fous furieux. Quelle conne je dois être, moi qui n'ai que mon cul comme atout, pour ne pas saisir ma chance de rencontrer des types aussi bien qu'eux !
Les expériences de ce type, je ne sais pas pourquoi mais je les multiplie. Sans doute parce qu'on m'assimile tout de suite à l'image de la fille paumée de l'Est. C'est plutôt lassant et déplaisant. Mais ça m'en apprend beaucoup sur la psychologie humaine.
Les imposteurs et les mythomanes sont sans doute les plus nombreux dans nos sociétés. C'est même encouragé au point qu'on entretient avec eux une étrange complicité et fascination. C'est en effet la logique de la société du spectacle et de l'apparence: on se doit d'être pleins de qualités, dynamiques, séduisants, originaux et créatifs. On s'engage donc dans la surenchère. L'important, c'est d'apparaître exceptionnel. On a alors vite fait de sombrer dans l'esbrouffe et le mensonge et finalement, on n'abuse souvent, mais pas toujours, que soi-même.
Mentir, c'est ce donc ce qui les maintient en vie, en rendant celle-ci supportable. C'est ce qui nous fascine et nous terrifie chez eux.
Mais est-ce qu'on n'est pas tous des menteurs ? Moi-même, est-ce que je n'en suis pas une à tout cacher, tout dissimuler, de ma vie personnelle ? Il est vrai aussi que je peux me permettre ce luxe de la modestie parce que je ne traîne pas de sentiment d'échec et que je n'éprouve pas le besoin d'embellir les choses. De ma situation réelle, je suis satisfaite mais qu'en serait-il si ça n'était pas le cas ? Peut-être que je me mettrais à broder, enjoliver ma vie.