Le constat est cruel: si l'on met en parallèle les deux grands conflits en cours, il est évident que celui qui suscite les adhésions les plus fortes, celle des jeunes en particulier, c'est bien celui entre Israël et la bande de Gaza.
L'Ukraine, les jeunes de l'Europe de l'Ouest s'en fichent de plus en plus. Et il faut bien constater que les quelques manifestations en sa faveur ne rassemblent aucun étudiant français, aucun militant politique "de gauche". Juste quelques malheureux Ukrainiens et ressortissants des pays d'Europe Centrale.
J'ai, pour ma part, cessé d'essayer de dialoguer avec de jeunes mélenchono-gauchistes. On me sert tout de suite, avec l'aplomb ironique de ceux à qui "on ne la fait pas", deux arguments : d'abord l'Otan qui aurait initialement provoqué la Russie et puis celui du "deux poids, deux mesures". On ne s'intéresserait à l'Ukraine que parce qu'elle a la bonne couleur, celle de l'Occident, et on se ficherait bien des autres causes. L'Ukraine, c'est le bastion avancé de l'impérialisme, inféodé aux USA. Qu'est-ce qu'on peut répondre à de pareils ânes butés ?
Mais l'indifférence ne concerne pas que l'Ukraine. Qui s'intéresse, parmi les jeunes Français, au mouvement "Femmes, Vie, Liberté" (Zân, Zendegui, Azadi), en Iran ? Juste une attention polie et distante. L'esprit n'est vraiment pas à la bagatelle chez les militants révolutionnaires et ce n'est tout de même pas d'Iran qu'on va recevoir des leçons de féminisme. Et pourtant...
Gaza, en revanche, déplace les foules, suscite l'enthousiasme des jeunes. Des lycéens, des profs, des "intellectuels" s'engagent, avec passion, en sa faveur. On mélange tout et on veut subordonner l'aide du gouvernement français à l'Ukraine à un soutien inconditionnel à Gaza. Quant au "génocide israélien", il efface le génocide russe. Et on brandit même des foulards et des voiles en symbole de révolte (?). Pourquoi n'aurait on pas le droit d'affirmer son identité ? On se met à aimer ce qui nous oppresse. Les Iraniennes peuvent remettre leur tchador.
Mais à l'Etat démocratique d'Israël, on préfère Gaza et on se livre à une véritable surenchère victimaire: le peuple palestinien est le peuple opprimé, supplicié, par excellence. On le pare du titre mondial de peuple banni, réprouvé. Et on se met alors, logiquement, à imputer tous les maux, y compris celui de génocide, au minuscule Etat d'Israël. Et surtout, on exige de l'agressé (Israël) qu'il se soumette à l'agresseur. C'est hélas le même processus que pour l'Ukraine.
On n'a tiré aucun enseignement de l'aveuglement et de l'imbécilité totalitaires qui avaient transformé, dans les années 60-70, de nombreux étudiants européens en militants intransigeants du trotskysme ou du maoïsme. On a oublié le véritable terrorisme intellectuel qui était alors pratiqué.
Alors, les jeunes sont-ils des cons ou des fachos ? J'avoue que, personnellement, j'en veux plutôt à ces idiots qui soutiennent indirectement, en toute mauvaise foi, des dictatures.
Moi, c'est sûr qu'à 18-20 ans, je n'étais vraiment séduite par aucune utopie révolutionnaire. Et pour cause: le bonheur des peuples sous un régime marxiste ou islamique, j'ai tout de même connu un peu ça. Plutôt que Marx et le Coran (que j'ai, malgré tout, étudiés avec attention), je préférais donc trouver un refuge en lisant la littérature libertine française du 18ème siècle et les romans noirs du 19ème. Disons que j'étais plus intéressée par le sexe et les aventures sentimentales que par le matérialisme historique et dialectique. Et j'ai d'ailleurs toujours détesté le puritanisme des militants politiques. S'en prendre au corps des femmes, c'est le premier moyen d'affermir une dictature.
Alors Gaza, oui bien sûr, c'est dramatique ! On ne peut que compatir aux souffrances infligées à sa population. Mais derrière Gaza, je ne cesse de voir le Hamas et le Hezbollah. Et le modèle politique, en même temps que le financeur, du Hamas et du Hezbollah, c'est, il faut tout de même le rappeler, l'Iran des mollahs.
Des mollahs qui se frottent sûrement les mains du bordel total qu'ils viennent de semer au Proche-Orient. Secoués par le grondement de la Révolution chez eux, ils étaient en perte de vitesse et d'influence. Et surtout, un rapprochement général des pays arabes (le Maroc, les Emirats Arabes Unis, l'Arabie Saoudite) et d'Israël se profilait avec des accords de paix et de sécurité. La Paix, c'est ce dont ne veulent surtout pas les mollahs iraniens dont le pouvoir ne repose, depuis 1979, que sur la guerre et la déstabilisation générale.
D'une certaine manière, l'attaque terroriste du 7 octobre 2023 contre Israël était absurde, insensée. Elle était tellement épouvantable, un véritable pogrom, qu'elle ne pouvait que provoquer une réaction forte et légitime d'Israël. Mais son absurdité se révèle aujourd'hui un coup de génie politique des mollahs. D'autant que dans cette affaire, le monde arabo-musulman s'est tenu sinistrement coi et a évité d'exprimer toute réprobation morale: une véritable faillite sur le plan de l'éthique internationale !
Les voilà requinqués, nos barbus iraniens. Ils étaient crevards mais ils reprennent du poil de la bête d'autant qu'ils ont maintenant deux grands amis: d'abord la Russie qu'ils alimentent généreusement en armes mais aussi la Chine. Les trois sinistres compères viennent d'ailleurs de mener des exercices militaires conjoints dans le Golfe d'Oman, non loin de la Mer Rouge. C'est aussi une manière d'appuyer les rebelles houtis, autres créatures des mollahs, qui contrôlent de vastes régions du Yémen et mènent des attaques contre des navires dans la région.
Et surtout, la République Islamique d'Iran redevient, grâce au chaos général créé par le Hamas, le véritable patron du Proche-Orient. Le foutoir est maintenant tel, les passions à ce point exacerbées, que tout espoir de paix durable y est maintenant anéanti.
Le grand cadavre des mollahs est en train de ressusciter sur les ruines fumantes de la pacification qui s'esquissait au Moyen-Orient. Les "barbus de Téhéran" sont devenus les mères maquerelles du Grand Bordel qu'ils viennent d'y installer.
Mais j'espère, je pense, que ça n'est qu'un ultime sursaut. Parce qu'en Iran, la cocotte-minute est tellement sous pression qu'elle ne peut qu'exploser.
Rappelons nous cette manifestation dans un stade de Téhéran au mois d'octobre dernier. Les spectateurs criaient :"va te foutre dans le cul ton drapeau palestinien". Ca n'était pas très élégant mais, du moins, très significatif.
Ce n'est sûrement pas contre Israël qu'il faut se révolter, c'est contre Téhéran et sa clique de religieux tueurs. Le vrai combat, ce n'est pas Gaza. Le vrai combat, c'est le mouvement "Femmes, vie, liberté". En Iran bien sûr, mais aussi en France. La liberté des corps et l'éducation à la démocratie, c'est indissociable. Et ce sont les femmes qui sont les plus aptes à les promouvoir.
Mes conseils littéraires :
- En matière de littérature d'Israël, tout le monde connaît, bien sûr, la grande Zeruya SHALEV (normalement nobélisable mais...). Mon livre préféré : "Vie amoureuse".
- Personnellement, j'aime beaucoup Eshkol NEVO. C'est très psy et très troublant. On aime évidemment la psychanalyse en Israël. Je recommande, en particulier, "Trois étages" et son tout dernier, qui vient, juste de sortir : "Turbulences". C'est un recueil de 3 nouvelles qui pose cette question essentielle: est-ce qu'on connaît vraiment les autres, en particulier nos proches ?
- Jean-Pierre FILIU: "Histoire du Moyen-Orient de 395 à nos jours". Un très bon bouquin de synthèse, juste et précis, sur cet Orient compliqué.
- Gilles KEPEL: "Prophète en son pays". Un auteur qui ne craint pas de dénoncer les idéologies dominantes, du tiers-mondisme d'hier à l'islamo-gauchisme d'aujourd'hui.
- Chowra MAKAREMI: "Femme ! Vie ! Liberté !" et Marjane SATRAPI, Collectif : "Femme ! Vie ! Liberté !". Comment penser le mouvement révolutionnaire en Iran ? Un mouvement inédit, totalement nouveau, qui a pour point de départ une révolte des femmes et un bouleversement des mentalités.
- Abnousse CHALMANI: "J'ai péché, péché dans le plaisir". J'ai déjà évoqué ce bouquin mais c'est celui-là que vous devez, avant tout, lire. La libération des corps précède, et est même la condition, de la libération des esprits. Une leçon qu'on oublie, de plus en plus, en Occident.
Je vous incite, enfin, à voir le récent film: "Chroniques de Téhéran" d'Ali Asgari et Alireza Katami.